Accueil mise à jour le 10 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

Pas d'armes et pèlerinages

Tout au long du Moyen Age, le chevalier-pèlerin est une figure banale sur les routes, un prolongement du Croisé qui dès le départ, était voulu comme un pèlerin revêtu d’une armure. Après, ou entre les expéditions en Terre Sainte, il continue volontiers d’aller vers les grands sanctuaires, en particulier vers Compostelle où l’attire la gloire de l’un des saints militaires les plus prestigieux, saint Jacques, indissolublement lié à son imaginaire par Charlemagne et la lutte contre les Infidèles.
A la fin du Moyen Age, lorsqu’apparaissent de nouvelles formes de tournoi, les Pas d’armes, grandes et coûteuses manifestations semi-sportives semi-théâtrales, des chevaliers choisissent pour cadre une route de pèlerinage. Jean de Werchin en 1401 annonce son départ pour Compostelle et son intention, au long du chemin, de défier tous les chevaliers qui le veulent. Suero de Quinones, lui, se poste en un endroit du chemin et défie tous les chevaliers-pèlerins qui passent. Les Pas dArmes offrent aux passants la possibilité de s’identifier, sans trop de danger, aux héros du Turpin partis défendre le tombeau de saint Jacques.


Le Pas d’Armes de Suero se déroule en 1434, sur le Camino frances à l’endroit où il traverse ses propriétés, au pont d’Orbigo. Suero de Quinones appartient à la plus puissante famille des Asturies et du Léon. Il a 25 ans et cherche à faire un cadeau de rupture à la Dame de ses pensées. Aux combats s’ajoute le thème romanesque du pont, qui apparaît dans les légendes celtiques et arthuriennes comme un lieu hanté par les forces du Mal qui veulent empêcher la traversée. Suero veut affronter ces forces et ainsi se délivrer d’une “ emprise ”, une chaîne d’argent doré. Chaque jeudi, il arborait ce  signe visible de la captivité de son cœur.

Les origines du pas d'armes


Les pas d'armes sont une forme dérivée du tournoi dont les premiers sont apparus vers 1050-1060, peut-être à l'initiative de l'angevin Geoffroy de Preuilly, mais le mot "tournois" lui-même date de 1100 et la popularité de la chose de 1125-1130 (comme les premières condamnations de l'église !).

Vers 1150 toute l'Europe du Nord et de l'Est s'y adonne avec ferveur. Ce sont alors des simulacres de  batailles réelles dans un site de campagne accidenté et vaguement limité. Ils opposent deux équipes régionales (Angevins contre Français par exemple). On se bat à cheval , à la lance ou à l'épée. Les mêlées sont confuses et violentes, les risques sont les mêmes que la guerre, avec des morts et des blessés.

En 1241, il y a dix-huit morts à Neuss, que l'église refuse d'enterrer, car ils sont excommuniés comme participant à un tournoi. C'est un excellent moyen de s'entraîner et de faire carrière. Les meilleurs champions sont payés très cher. Au début du XIII° siècle, Guillaume le Maréchal vit des rançons qu'il y gagne. Peu à peu apparurent de nombreuses modifications  ; partout se diffusent des armes de plaisance, qui deviennent obligatoires en Grande-Bretagne sous Edouard Ier. Les premières installations pour les spectateurs et les combats individuels apparaissent en 1285 à Chauvenay. On y adjoint également des décors variés : bergeries, décors arthuriens et carolingiens; la Table Ronde est particulièrement utilisée en Grande-Bretagne et en terre d'Empire.

Il est interdit d'en instituer pendant les croisades et les guerres royales, tant en France qu'en Grande-Bretagne. Paradoxalement, on entoure peu à peu ces tournois de rites religieux : messe et confession pour tous les participants. Par ailleurs, on en profite parfois pour recruter des Templiers ou des Croisés, le tournoi étant une étape sur la voie de la perfection chevaleresque.

Pas d'armes et Compostelle

Il peut paraître paradoxal d'installer un pas d'armes, imposant un important arrêt, un combat et des risques, sur une route de pèlerinage. Pourtant sur les chemins qui conduisent aux sanctuaires de saints militaires, en particulier à Compostelle du XIV° au XVI° siècle, ce fut, pour la noblesse, une façon spectaculaire de se singulariser. Jean de Werchin, serviteur du duc d'Orléans, en 1402 livre ainsi combat sur la route de Saint-Jacques à tous ceux qui se présenteraient entre Coucy et Santiago. En 1434, Suero de Quinones préféra se poster sur ses terres, sur le pont d'Orbigo, au sud-est de Compostelle, sur le "camino frances". En fait, cela n'interdisait pas le pèlerinage au plus grand nombre. Le pas/pèlerinage ne visait que la clientèle nobiliaire et faisait même dans ce groupe social une propagande active en faveur du pèlerinage, démontrant que les nobles pouvaient avoir une façon propre de faire pèlerinage, différente de celle du commun des mortels.

Le Pas d'armes de Suero de Quinones

Au pont d’Orbigo en 1434

Le jeu est proclamé le premier janvier 1434, et s'ouvre le 10 juillet, en présence du roi et de la cour, par un défilé des défenseurs et des armures dans un char précédé de hérauts et de musiciens. Le lendemain commencent les joutes, précédées d'une messe quotidienne. C'est Suero de Quinones qui ouvre, contre Arnold von Rotwalde (un allemand), puis chaque jour un chevalier différent garde le pas contre les assaillants.
Par ailleurs, Suero s'était fait remarquer le 25 juillet, jour de saint Jacques, en voulant affronter trois chevaliers à lui seul, dépourvu de trois pièces de son armure, sous prétexte qu'il l'avait déjà fait à la guerre de Grenade. Les juges l'avaient prudemment consigné sous sa tente pour la journée !
Le roi assista de même à la clôture où Suero fut délivré de son collier de fer, puis fit une entrée triomphale à Leon où il fut accueilli par les regidores puis conduit au palais Quinones où il se remit de ses blessures. Guéri, il effectua le pèlerinage à Santiago et offrit le collier d'argent doré qu'il avait porté jusque là en l'honneur de sa dame. Il est conservé à la chapelle des Reliques de la cathédrale, autour du cou du buste-reliquaire de saint Jacques Alphée, à l'endroit même où Suero l'a déposé.

Extraits des lettres de défi envoyées dans toute l’Europe :

Au nom très saint de Dieu et de la Bienheureuse Vierge Notre-Dame, et de l'apôtre saint Jacques, moi, Suero de Quinones, chevalier et vassal légitime du grand roi de Castille, et de la maison du magnifique seigneur connétable, je notifie et fais connaître les conditions d'une mienne entreprise, que j'ai rendues publiques le premier jour de l'an devant le très puissant roi déjà nommé : lesquelles sont celles qui sur son ordre personnel paraissent dans les chapitres ci-dessous consignés :
Premièrement: il doit être manifeste à tous les chevaliers et gentilhommes, qui auront connaissance du présent fait d'armes, que je serai avec neuf chevaliers qui seront avec moi dans l'exécution du dit engagement et de l'entreprise, au passage près du pont d'Orbigo, un tantinet retiré du chemin, quinze jours avant la fête de saint Jacques, jusqu'à quinze jours après, si avant cette date je ne m'en étais pas libéré. La condition de cette libération est de trois cent hampes rompues avec des armures de guerre en fer solide, sans bouclier ni targe, ni plus d'un cheval de rechange pour chaque pièce.
Deuxièmement: tous les chevaliers étrangers trouveront là harnais,chevaux et lances sans aucun avantage ni profit pour moi, ni pour les chevaliers qui seront avec moi. Quiconque voudra apporter ses propres armes pourra le faire.
Troisièmement: on courra avec chacun des chevaliers ou gentilhommes qui se présenteront, trois lances rompues par la hampe, en comptant pour rompue celle quiferait tomber à terre le chevalier ou lui ferait une blessure sanglante. …

Pero Rodriguez de Lena, Le livre du Pas honorable (1434), éd. partielle
et trad. E. Kohler, Anthologie de la littérature espagnole, Paris, 1957, t.II, p. 366-368

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