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Denise Péricard-Méa, recherches de 1993, rev.2002
LE CORPS ET LE SANG DE SAINT JACQUES A LOCQUIREC |
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Le grand Pardon du 25 juillet, Chaque 25 juillet, sur la côte nord de la Bretagne, au fond de la baie de Lannion, le village de Locquirec fête solennellement saint Jacques avec un faste et une originalité uniques qui ne doivent rien ni au folklore ni au tourisme. D'année en année, de mémoire d'homme et bien au-delà puisque les premiers documents historiques le mentionnent en 1704 comme un fait habituel , le " Grand Pardon " réunit toute la communauté villageoise d'obtenir les faveurs de saint Jacques et d'un autre saint au nom de consonance spécifiquement bretonne, Kirec. Le cérémonial en est réglé de génération en génération avec une constance qui s'explique par la pérennité des familles villageoises dont les noms restent les mêmes depuis la tenue des premiers registres paroissiaux. Il s'ordonne autour d'un double thème, l'enfance et la mer. c'est en effet sous la figure de deux enfants que saint Jacques en costume de pèlerin et saint Kirec en costume d'évêque précèdent les prêtres, eux-mêmes suivis des enfants du village, filles et garçons, vêtus d'aubes blanches. A la fin de la messe s'organise la procession, qui se dirige en chantant vers le port, et dont les insignes furent portés par les marins tant qu'il y en eut : statues et bannières de saint Jacques et de la Vierge, grand voilier offert jadis en ex-voto par des marins sauvés d'un naufrage, et reliquaire contenant, nous le verrons plus en détail, une relique de saint Jacques. Arrivés sur le môle, clergé, statue et enfants embarquent sur un bateau, s'éloignent de quelques encablures et s'immobilisent pour bénir tous les bateaux du port qui viennent demander la protection de saint Jacques, sous les yeux de la foule des fidèles assemblés sur les quais. | |
Cette pointe de Locquirec abrite depuis fort longtemps une petite communauté de pêcheurs reliée à l'intérieur des terres par une unique route. Comme tous les pauvres, elle a très peu d'archives, mais elle compense le manque de précisions historiques par une légende particulièrement riche. Cette petite église protégeant le port fut longtemps sous la protection simultanée de trois saints, Jean-Baptiste, Kirec et Jacques. Paradoxalement, le premier a disparu alors qu'il est le seul ayant valeur historique en tant que patron de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem dont dépendait Locquirec. |
Les trois patrons de Locquirec | ||
Saint Jean-Baptiste. Saint Kirec. |
Saint Jacques. | |
" Un jour, à ce que j'ai ouï dire, ou plutôt une nuit, des marins de cette côte virent sur la mer une barque étrange, en forme de huche à pétrir, qu'enveloppait une nuée lumineuse. Elle venait vers le rivage, contre vents et marées, sans voiles, sans équipage, sans gouvernail. Quand elle eut abordé, les gens s'approchèrent et virent, étendu dans le fond, le corps d'un moine vêtu d'un habit de pèlerin. Des pêcheurs qui avaient voyagé reconnurent saint Jacques et dirent c'est saint Jacques, d'Espagne ou de Turquie. Il vient pour faire des miracles dans notre contrée. Recevons-le avec respect, d'autant plus que saint Kirek est bien vieux. Ainsi fut fait et, depuis lors, saint Jacques habite parmi nous et il est honoré comme patron de la paroisse ". | ||
L'arrivée d'un corps en barque de pierre n'est pas faite pour étonner ces marins. Pline parle déjà, au premier siècle de notre ère, des marins bretons franchissant la mer d'Irlande et l'Océan sur des barques d'osier garnies de cuir et Sidoine Apollinaire des marins d'Irlande abordant en Aquitaine au Ve siècle avec leurs bateaux faits de cuir et de phoque graissé , l'un et l'autre largement confirmés par les récits bretons relatant les arrivées de pieux ermites sur des barques lestées de pierres qui deviennent parfois leur tombeau, partis sans voiles ni gouvernail afin de suivre la seule volonté de Dieu. La légende daterait-elle de ce même XVIIe siècle où fut placée la statue sur le clocher ? Pourquoi saint Jacques ? En ce début de XVIIe siècle où la Contre-Réforme se préoccupe de mettre de l'ordre dans le calendrier des saints, Kirec put paraître un saint peu conforme aux nouvelles exigences de l'Eglise catholique. Le clergé aurait pu le supprimer simplement, au profit de saint Jean. Il n'en a rien été, mais on n'en connaît pas la raison. Saint Jacques, apôtre non contesté, fut souvent choisi à cette époque pour patronner des églises nouvelles, ou remplacer d'anciens saints. Peut-être a-t-on pensé à lui à Locquirec parce que deux familles nobles du village portaient des coquilles dans leurs armes ? | ||
Ces armes étaient reproduites sur des vitraux
offerts au XVIe siècle, ainsi qu'en témoigne cette description faite en
1679 : Un tombeau nommé "reliquaire" Ces parents qui confient leurs enfants à saint Jacques rappellent que l'apôtre fut aussi, au Moyen Age en Allemagne, patron des enfants orphelins, s'il est capable de protéger les enfants vivants, il est capable de protéger les enfants morts. Rappelons qu'il est réputé savoir guider les morts au long de leur voyage vers le ciel. En plusieurs autres endroits, saint Jacques ressuscite des enfants morts. Qui sait si la coutume n'était pas de les porter sur ce reliquaire avec cet espoir ? La présence, aujourd'hui, de deux enfants représentant saint Kirec et saint Jacques plaide en faveur de cette hypothèse, les pouvoirs du second ayant pu succéder à ceux du premier. |
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Sang de saint Jacques " ... particules sacrées du sang de saint Jacques le Majeur, apôtre ... que nous avons trouvées dans une boîte que l'on nous a montrée. Cette boîte est en argent, de forme ovale, elle est munie d'un unique cristal et est garnie à l'intérieur d'un tissu de soie de couleur rouge ... ". L'évêché de Quimper ne conserve aucun dossier sur le sujet . Cette authentification tardive ne signe pas une création, mais laisse
supposer, comme cela s'est produit parfois, que la relique, cachée à la Révolution, a été retrouvée dans quelque tiroir par un héritier
qui l'a restituée à l'église. Qui s'est soucié de l'authentique, et pour répondre à quels doutes, émis par qui ? Aucun souvenir n'a été
gardé par la mémoire du village. La facture du reliquaire peut le dater du XVe siècle, mais rien ne prouve que la relique n'a pas été
glissée dans un écrin plus ancien. |
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Une conclusion en forme d'hypothèses : Au XVIIe siècle, saint Jacques remplaça saint Kirec dans le coeur des fidèles de Locquirec. Comme lui, il avait le pouvoir de protéger les enfants morts, voire de les ressusciter. Les familles nobles du village ont pu être à l'origine de ce changement de vocable. Après la Révolution, une fois détruit le corps de saint Jacques et son Reliquaire, la goutte de sang de saint Jacques resta comme le seul témoignage d'une dévotion que rien n'autorise à dater d'avant ce début du XVIIe siècle où fut reconstruit le clocher de l'église. |
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