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mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil

Lambert le jacquet

Etienne Delmotte, pèlerin de Namur à Compostelle à bicyclette en 2002, visiteur de notre site, nous adresse une étude sur la pierre tombale d’un pèlerin du XVIIe siècle qui, pour toute épitaphe, rappelle qu’il a effectué trois fois le pèlerinage à Compostelle en partant des rives de la Meuse proches de Dinant (province de Namur). Cette pierre est située à proximité du chœur, sans que l’on puisse savoir si elle occupe sa place initiale. Une famille modeste. Une pierre relativement coûteuse. Un pèlerin vicaire ? Un souvenir émouvant.

Côté nord du chœur, dans l'église Saint-Lambert, à Bouvignes, on trouve une curieuse pierre tombale rectangulaire (0,66 m. x 0,29 m.) [1] . Elle est partagée verticalement en trois rectangles. L'épigraphie est placée au centre (0,39 m. x 0,29 m.). Elle indique…


cl. Etienne Delmotte

LAMBERT MELAU

LEQUELLE AT

FAICT PAR TROY

FOIS LE VOYAIE

MSR ST JACQZ 1677

Les deux extrémités sont décorées de manière identique, avec recherche. Deux bourdons [2] en croix de saint André sur les diagonales. Le centre est occupé par une coquille Saint-Jacques entourée d'une couronne en feuilles de laurier et quatre petites fleurs disposées en croix. La couronne est surmontée au centre par une calebasse [3] , reliée par un ruban à un des bourdons.

Que sait-on du défunt ?

Une recherche fort intéressante de Cécile Léonard nous en informe, autant que faire se peut [4] . Il a été baptisé à Bouvignes le 27 mars 1601. Le 24 février 1637, il a épousé une Marie Mesnil. Le couple a eu cinq enfants. Le cadet, prénommé Jacques, a été baptisé le 6 mars 1647.

Les comptes communaux et paroissiaux signalent souvent quelques rémunérations au profit de notre homme, tantôt comme sergent de ville, tantôt pour des services ponctuels. Parfois, la famille reçoit des aides, par charité. On ne vit pas dans l'aisance.

Et comme marcheur [5]  ?

Notre auteur de référence situe les trois pèlerinages de Lambert entre 1642 et 1647. Admettons, par hypothèse, qu'il ait suivi un itinéraire « facile » : la Meuse, puis le Viroin, l'Oise, Paris (ou Conflans, ou Triel) Orléans (ou Chartres), Tours, Poitiers, Bordeaux, Saint-Jean-Pied-de-Port (ou Bayonne) et le camino francès, dès que possible ; quelque 2.200 km pour atteindre Compostelle. Aux normes d'aujourd'hui (25 km/jour, en moyenne), ça donnerait 88 jours de marche. Lambert était vraisemblablement moins chargé de bagages que nos contemporains et avait sans aucun doute une longue habitude de la marche. Considérons qu'il a pu franchir une moyenne de 50 km par jour. Durée minimale : 44 jours. A moins qu’il n’ait embarqué dans quelque port, ce qui raccourcit considérablement la durée d’absence. Trois fois en cinq ans ?… Plus de 13.000 km parcourus. Bravo, Lambert !

Pourquoi est-il parti ?

On ne dispose pas d'informations explicites : on doit donc procéder par élimination.

Il peut s'agir de pèlerinages de dévotion. Mais… D'une part, ces voyages sont coûteux. D'autre part, si la famille est dans le besoin, la place du père n'est pas sur les routes (trois fois en cinq ans).
Il peut s'agir de pèlerinages pénitentiels imposés par une autorité, civile ou religieuse. Mais, d’une part, il n'y a aucune condamnation connue. D’autre part, avoir sa tombe dans son église paroissiale, c’est bénéficier d’un privilège recherché[6]. Des condamnations sont peu vraisemblables, d’autant plus qu’au XVIIe siècle, les pèlerinages judiciaires n’étaient plus dans les mœurs, note avec raison C. Léonard.

Il peut s'agir de pèlerinages « vicaires ». Un personnage qui en avait les moyens, tenu par un vœu ou une peine, pouvait parfois payer une tierce personne qui effectuait le pèlerinage à sa place [7] . Il arrivait même qu'un défunt ait organisé par testament son pèlerinage posthume. Dans ces hypothèses, notre Lambert aurait été pèlerin pour gagner son pain.

Et cette pierre tombale ?

Elle est de dimensions modestes. Par contre, la décoration est soignée, de qualité. Il est peu probable que la dépense ait été supportée par la famille (ou alors tardivement) : Cécile Léonard note que la veuve a reçu « 18 souls pour achapter un linseul pour ensevelir sondit mary le 10 avril 1657 » [8]

Cependant, la même chercheuse nous donne connaissance de l'existence d'une confrérie de jacquets, à Bouvignes, dès 1500. Cette confrérie (si elle était toujours vivante un siècle et demi plus tard) a peut-être décidé d’honorer un de ses membres défunt, méritant, dont les proches étaient dans le besoin [9] . Des amis lui souhaitaient bonne route ?

Etienne Delmotte



[1]   Les dimensions sont indicatives.

[2]   Bâton de pèlerin.

[3]   La gourde

[4]   Cécile LEONARD, « Sur la route de Compostelle », Les échos de Crèvecoeur, n° 9, Bouvignes, déc. 2001, p. 4–25. Remercions Mr D. RATY pour la très intéressante documentation fournie.

[5]   N’abordons pas la question de la sécurité sur les routes.

[6] Il faut noter qu’on ignore quand la pierre a été placée, là où on la trouve de nos jours.

[7] On a pu payer le prix du pèlerinage, comme on paye une amende.  Une habitude de l’époque. 

[8] 1657… 1677 ? Curieuse discordance. Nul ne sait de quand date la commande. Le tailleur de pierre s'est peut-être trompé.  Il y a peut-être erreur sur la personne : le fils aîné de Lambert Melau, baptisé à Bouvignes en 1601, est un Lambert Melau (junior, dont on ne sait pratiquement rien) baptisé dans la même paroisse en 1638…

[9] C'est une des vocations classiques des confréries.

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