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mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil

Aux sources du tracé du premier Itinéraire Culturel Européen
de l’origine des neufs chemins de Compostelle

Le tracé géographique des « chemins de Compostelle » dans le cadre du programme des Itinéraires Culturels du Conseil de l’Europe lancé en 1987 s’est appuyé sur des considérations présentées comme historiques alors que les historiens les savaient fausses. Mais ils n’ont pas été entendus. Il est bon de leur donner à nouveau la parole à l’heure où se réalise la crainte exprimée dès 1969 par l’historien Charles Higounet :
« on se complait peut-être un peu trop dans les mini-enquêtes locales qui, après la phase des itinéraires stéréotypés du Guide du pèlerin, nous plongent dans un chevelu de chemins dans lesquels on risque de se perdre ».
Il faisait référence aux travaux entrepris en France sous l’impulsion de la Société des amis de saint Jacques. Ceux-ci avaient leur origine dans la traduction du dernier Livre du Codex Calixtinus publiée en 1938 sous le titre de Guide du Pèlerin.
Les réserves des historiens ont été exprimées au congrès organisé en 1988 à Bamberg, en Bavière, par le Conseil de l’Europe sur le thème Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Deux médiévistes allemands, Hedvig Röckelein et Gottfried Vendling osaient répondre par la négative à l’invitation qui leur était faite de trouver des « Chemins et traces de pèlerins de Saint-Jacques dans la Haute-Rhénanie ».

Hedvig Röckelein est aujourd’hui professeur à l’université de Göttingen. Elle nous a autorisés à reproduire le résumé de sa communication. Nous le faisons suivre d’une analyse rapide de quelques autres communications faites à ce congrès afin de mesurer à quel point, en une dizaine d’années, s’est mise en place une pseudo-histoire simplement basée sur le mauvais choix d’une méthode de travail, contestée dès le départ par les historiens professionnels.
Ces voix oubliées jusqu’ici vont peut-être aider à prendre conscience du fait qu’on a limité la dévotion à saint Jacques à la constitution de cartes menant vers Compostelle. Elles rappelleront qu’en 1984 l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe était ouverte à tous les itinéraires de pèlerinage et ne prônait pas le « tout Compostelle » auquel ces itinéraires ont été réduits aujourd’hui. Oubliant cette variété et cette richesse qui ont vraiment fait l’Europe pèlerine, on a fait de Compostelle du carton-pâte dont les plus curieux commencent à se lasser.
Nous espérons que ces sages avis d’historiens vont aujourd’hui porter leurs fruits et ouvrir à une prise de conscience collective. Elle aboutira à la mise en valeur de découvertes racontant les cultes à saint Jacques dans toute l’Europe, en de nombreux lieux dotés d’une histoire et de légendes originales toutes auréolées de la magie de Compostelle. Elle pourrait contribuer à faire mieux connaître les hommes et les femmes qui ont été pèlerins, de Compostelle ou d'ailleurs, et ont eux façonné l'Europe en parcourant les chemins de leurs contemporains. Le Bohémien Léon de Rosmital est un de ces personnages précurseurs de l'Europe actuelle.
Higounet C., « Les relations franco-ibériques au Moyen Age », Bulletin philologique et historique jusqu’à 1610, C.T.H.S., Pau, 1969 Paris, 1972, vol.1, p.3-16

CHEMINS ET TRACES DES PÈLERINS DE SAINT-JACQUES DANS LA HAUTE-RHÉNANIE

Entourée par les sommets de la Forêt-Noire et des Vosges, la Haute-Rhénanie s'étend le long du Rhin entre Bâle et Rastatt. Aujourd'hui divisée par des frontières politiques entre trois pays -la Suisse, la France et l'Allemagne - cette région constitua un ensemble du point de vue politique, économique et religieux jusqu'à la fin du XVIIe siècle.

Les chemins

Dans la direction nord-sud, il y avait plusieurs routes romaines qui étaient encore partiellement utilisées au Moyen Age. Le long des versants des Vosges, la route la plus à l'ouest menait directement à la porte de Bourgogne, à la ligne Belfort-Lyon. Une route romaine directe, évitant les habitations entre Strasbourg et Bâle, se déplaça au Moyen Age en faveur d’agglomérations comme Sélestat, Colmar et Mulhouse.
Les communications vers l'est par la Forêt-Noire :
1. Fribourg - Höllental - Hüfingen - Donaueschingen.
2. Strasbourg - Offenburg - Vallée de la Kinzig - Villingen.
3. Strasbourg - Durlach - Bruchsal - Cannstadt.
Ces communications existaient dès l'époque romaine. L'artère la plus importante passait par Bruchsal en contournant la Forêt-Noire.
Au Moyen Age, la voie Strasbourg - Oppenau - Kniebis - Freudenstadt n'était pas encore praticable.
Les routes menant de la vallée du Rhin vers l'ouest :
Strasbourg - Saverne - Lunéville – Saint-Nicolas de Port - Nancy.
Sélestat - Sainte-Marie-aux-Mines - Saint Die.
Colmar - Kaysersberg - Col du Bonhomme - Saint Dié.
Derrière le col du Bonhomme, il y avait une bifurcation vers le sud-ouest par Gérardmer - Remiremont. Le chemin le plus favorable vers le sud-ouest était sans aucun doute l'ancienne voie romaine par la porte de Bourgogne, en évitant tous les cols des Vosges.
Au Moyen Age, on ne pouvait traverser le Rhin que par les ponts à Bâle, Vieux-Brisach et Strasbourg. Entre ces ponts, on utilisait des gués et des bacs. D'autre part, le fleuve représentait « une route », utilisée par exemple par de nombreux groupes de pèlerins au retour de Rome.
Les récits des pèlerins médiévaux nous montrent que les pèlerins suivaient principalement les grandes voies commerciales. Certaines raisons les entraînaient à s'en écarter :
des circonstances extérieures, comme par exemple des guerres, des maladies, des inondations ;
le motif de visiter certains sanctuaires à l'écart des grandes artères, par exemple : Einsiedein, Thann, le Mont-Sainte-Odile.

Les gîtes

La plupart des pèlerins étaient à la merci des institutions charitables des communautés monastiques, plus tard aussi de celles des villes. Depuis le Haut Moyen Age déjà, les Bénédictins logeaient des étrangers et des pèlerins ; Cela faisait partie de leurs actes de charité. Quelquefois, l'auberge ne se trouvait pas directement à côté du cloître mais un peu plus loin au bord de la route (par exemple, à Eschau). Souvent ces auberges monastiques ont été remplacées par des Elendenherbergen des villes (par exemple, à Sélestat et à Strasbourg).
Les ordres nouveaux du XIIe et XIIIe siècles reprenaient la tradition de l'hébergement des étrangers et des pèlerins, par exemple les Franciscains sur le Kniebis, les chanoines de Saint-Augustin à Truttenhausen près du Mont-Sainte-Odile et à Saint-Arbogast à Strasbourg, l'ordre de Saint-Antoine à Isenheim. C'est à Haguenau que nous trouvons une auberge dédiée à saint Jacques (1374). Dans cette Elendenherberge, on accueillait tous les pèlerins et tous les étrangers. L'hôpital Saint-Martin à Haguenau n'accueillait par contre pas de pèlerins, bien que l'église de l'hôpital possédât un autel dédié à saint Jacques. Les sources mentionnent l'existence d'un hôpital Saint-Jacques déjà en 1222 à Urioffen, près de Renchen, dans le pays de Bade, dont les vestiges se perdent pourtant aussitôt dans l'obscur. On ne sait rien de précis sur sa fonction. Qu'un hôpital ou une auberge soient dédiés à un saint particulier ne dit rien sur leur fonction, qui ne peut être éclaircie que par les sources écrites pour chaque cas particulier. Les auberges également, celles qui étaient dédiées à saint Jacques, accueillaient, du moins dans la Haute-Rhénanie, non seulement les pèlerins de Saint-Jacques mais tous les pèlerins et tous les étrangers pauvres de passage.

Les confréries

Parmi les confréries Saint-Jacques - il y en avait 12 dans la Haute-Rhénanie - les 5 suivantes peuvent être étudiées à partir de documents : Waldshut (1513), Kaysersberg (1494), Saint-Jacques-sur-la-Birs (XVe siècle) à Bâle, Saint-Jacques et Saint-Léonard à Bâle (1480-1525), et Strasbourg (1484-1525).

1- C'était l'autel de Saint-Jacques dans l'église paroissiale qui a donné le nom à la confrérie des cordonniers de Waldshut. Elle était ouverte à tout le monde et servait au salut de l'âme de ses propres membres. Elle n'avait aucun rapport avec le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
2- Il en est de même de la confrérie de Saint-Jacques de Kaysersberg. Bien qu'il existe d'autres indices révélant l'existence des pèlerins, elle n'avait aucun rapport avec les pèlerins de Compostelle.
3- La confrérie bâloise de Saint-Jacques-sur-la-Birs est une organisation de pensionnaires d'un hôpital d'incurables, tous des bourgeois bâlois. La dédicace est celle de la chapelle Saint-Jacques qui le desservait.
4- En ce qui concerne la confrérie de Saint-Jacques et de Saint-Léonard à Bâle - sur laquelle il existe beaucoup de documents - il n'y a, à notre connaissance, pas de rapports avec le pèlerinage de Saint-Jacques, bien que les documents iconographiques représentent l'apôtre comme pèlerin.
5- Dans les documents de la confrérie strasbourgeoise, nous rencontrons pour la première fois des prescriptions concernant les pèlerins. Ici, le président de la confrérie a sans doute effectué le pèlerinage à Saint-Jacques. Mais ce règlement ne valait que pour lui, non pas pour les autres Achter du comité directeur et des membres simples de la confrérie. Ici encore, le secours des pèlerins de passage ne faisait pas partie des objectifs de la confrérie. Les aumônes qu'elle mettait à la disposition des pèlerins étaient d'ailleurs minimes.
Selon les informations que nous possédons actuellement, les confréries Saint-Jacques que nous connaissons dans la Haute-Rhénanie étaient des associations qui avaient pour objectif la prière et la mémoire des morts. Bref, il ne s'agissait pas de confréries des pèlerins de Saint-Jacques pour les pèlerins de Saint-Jacques. Voilà pourquoi nous devons répondre négativement – du moins en ce qui concerne la Haute-Rhénanie - à la question sur l'importance des confréries de Saint-Jacques pour le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.

En ce qui concerne les auberges de pèlerins, le tableau est similaire. Bien sûr, dans toutes les villes et villages assez grands, il y avait des possibilités de passer la nuit dans les auberges pour des étrangers pauvres, des voyageurs de passage et des pèlerins. Ces auberges se trouvaient également le long des routes de communication - la plupart entretenues par les institutions religieuses. Aucune de ces auberges n'était réservée exclusivement aux pèlerins de Saint-Jacques.
Dans la Haute-Rhénanie, il n'y avait pas d'infrastructure spéciale pour eux - comme on peut démontrer. Mais, une telle infrastructure était-elle vraiment nécessaire ? Et surtout, la grande foule des pèlerins de Saint-Jacques, existait-elle ici, en Haute-Rhénanie ? Les pèlerins de Saint-Jacques n'étaient-ils pas seulement une partie de cette foule immense qui peuplait les routes : marchands venant de près et de loin, des mendiants et de la canaille, des voyageurs nobles, des paysans qui se dirigeaient peut-être vers un marché, des lansquenets et des moines ambulants, des gens en fuite devant les guerres ou devant la peste, des bannis et - des pèlerins ? Des pèlerins qui s'orientaient vers les lieux de pèlerinage les plus divers ou qui rentraient – et, parmi eux, des pèlerins de Saint-Jacques, un groupe entre beaucoup d'autres. Jusqu'ici, dans la Haute-Rhénanie, nous n'avons pas trouvé de preuves justifiant un nombre remarquablement important de pèlerins de Compostelle - du pays ou de passage - ni dans les documents ni (par exemple) dans les chroniques diverses.
Bien sûr, dans cette région, nous avons beaucoup d'indices relatifs au culte de saint Jacques, soit des églises ou des autels, des statues, des croix, des noms de lieux ou de chemins. Cependant, ce sont des signes du culte de saint Jacques en général et non pas des indications de routes de Compostelle qui, du moins en Haute-Rhénanie, n'existent pas.

Voilà la raison pour laquelle nous restons sceptiques envers le projet du Conseil de l'Europe intitulé « Chemins de Saint-Jacques. Itinéraire culturel européen ». La tendance d'interpréter tout indice du culte de saint Jacques comme preuve d'un chemin de Compostelle nous semble être trop exagérée. Il serait bien plus ingénieux d'inclure de la même manière tous les domaines du culte de saint Jacques et, là où il est encore possible, de les protéger et entretenir comme monuments historiques. Cet objectif devrait impliquer la conservation d’anciens tronçons des chemins médiévaux - comme on essaie déjà de le faire en Suisse. Par contre, un réseau européen de prétendues routes de Saint-Jacques nous semble plutôt être un camouflage des données, différentes selon la région et les époques historiques.
Le camino francès espagnol dans sa singularité ne peut pas être reproduit au Nord des Pyrénées et ce qui devient finalement - à Saint-Jacques de Compostelle - un fleuve large s'est alimenté à beaucoup de petites sources. Chacune de ces sources : un pèlerin avec son propre chemin, partant de sa maison et y retournant, si cela plaisait à Dieu. Un pèlerin avec ses espérances, ses aventures et ses expériences, avec sa religiosité et sa spiritualité - ce pèlerin, le vrai protagoniste de l'échange culturel en Europe, risque de se perdre dans la recherche des routes de Saint-Jacques.


par Hedvig RÖCKELEIN / Gottfried VENDLING
(République Fédérale d'Allemagne), Bamberg 1998

publié avec l'aimable autorisation d'Hedvig RÖCKELEIN

 

Les opinions de plusieurs autres intervenants au colloque de Bamberg, souvent des scientifiques, ne différaient pas sensiblement de celles d’Edvig Röckelein et de Gottfried Vendling bien qu'exprimées de façon plus modérée. Leurs propos ont guère incité à la prudence.
• Klaus Herbers suggérait déjà d’avoir à « considérer avec réserve la démarche méthodologique consistant à répertorier les monuments dédiés à saint Jacques pour tracer des chemins »
• H. Gellenbenz se contentait d’évoquer le « réseau routier en Europe centrale ».
• Pour la Suisse, Hans Peter Schneider adoptait l’idée de revitaliser l’Oberstrasse dessinée sur une carte du XVIe siècle et empruntée par quelques pèlerins de Compostelle qui la mentionnent dans leurs récits. Mais il précisait bien que « les chemins existants servaient à toutes sortes d’usage ».
• En Belgique, Dick Aerts réaffirmait que « de routes de pèlerinages il n’y a pas » et soulignait la difficulté d’harmoniser un chemin de Compostelle avec un itinéraire touristique de valeur locale. Il formulait un vœu pieux qui nous est resté cher, associer les marcheurs et les scientifiques, situant à ce niveau « l’identité de l’Europe ». Il n’a été entendu que par quelques rarissimes marcheurs, qui n’en sont que plus précieux !

Malheureusement, d’autres n’ont pas craint de prôner ce qu’Hedvig Röckelein et Gottfried Vendling contestaient vigoureusement et que les orateurs ci-dessus confirmaient.
• Un professeur de lettres italien affirmait qu’un « réseau dense d’hospices est un signe caractéristique du pèlerinage ».
• Un étudiant scandinave laissait s’enflammer son imagination : « même des pèlerins malades prenaient le grand chemin. On dispose à ce sujet de preuves archéologiques : sur des squelettes trouvés dans des tombes et ornés de coquilles Saint-Jacques, on a pu déceler des traces de maladies graves… la coquille Saint-Jacques prouve le prestige du pèlerinage à Compostelle parmi tous les pèlerinages à l’étranger. »

Paradoxalement, ces idées fausses ont prévalu, brisant la merveilleuse diversité des cultes à saint Jacques et faisant oublier la recherche des pèlerins réels au profit de routes imaginaires prétenduement suivies par des multitudes. Ces idées fausses ont orienté durablement une approche géographique erronée. Le Conseil de l’Europe entérinait définitivement ces erreurs en 1996 en publiant un Guide européen des chemins de Compostelle présentant comme itinéraires historiques un réseau de neuf itinéraires sortis d’un imaginaire collectif contemporain.
La presse reprend régulièrement cet ouvrage, accréditant durablement l’idée que ces routes sont autre chose qu’une construction contemporaine. Ainsi lit-on dans La Croix du 19 avril 2004, sous le titre « La nouvelle Europe à Compostelle » : « Ils partaient de Bruges, Amsterdam, Gdansk, Budapest, Zagreb… ou de Lisbonne, Bari, Arhus (Danemark), suivant l’un des 9 itinéraires principaux sillonnant l’Europe… ».

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