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Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

10 000 Km sur les chemins de Compostelle,
extraits d'une conférence de don Pedro à Verdun le 3 avril 2003

Pierre Duménil, originaire de Bar-le-Duc, entreprit son premier Chemin le 1er avril 1998 pour parcourir le Camino Francès. Arrivé à Compostelle, il se voit pris dans une spirale, à l'image de celle formée par le serpent qu'il a sculpté sur son bourdon. Entraîné dans cette spirale, il parcourra plus de 10 000 Km sur les chemins de Compostelle. Son esprit curieux et son souci de retrouver un patrimoine fragile l'avaient conduit à créer à Bar-le-Duc dans les années 1970, un salon du vieux papier. Il avait eu le plaisir d'y découvrir au printemps 2003 un exemplaire de la première édition de 1938 du Guide du Pèlerin. Soucieux de mieux connaître l'histoire du pèlerinage, il s'intéressait à la Fondation dont il appréciait les travaux. Il y avait adhéré en octobre 2003 à l'occasion de la rencontre d'Orléans. Son chemin s'est définitivement terminé en janvier 2004. En son souvenir, son épouse Ghislaine nous a communiqué le texte d'une conférence qu'il avait prononcée en avril 2003. Nous en publions des extraits avec quelques photos de lui. Elle a aussi fait don à Denise Péricard-Méa de l'exemplaire de 1938 du Guide du Pèlerin qui a été versé aux archives de la Fondation.
Il tenait d'une aubergiste espagnole son surnom Don Pedro, El Terrible del Camino.

Mon bâton, je l'avais confectionné et sculpté en 1998. Taillé dans un bois d'acacia, arbre hautement symbolique. Coupé à 1,618 m, le nombre d'or, comme me l'avait conseillé Henri Vincenot dans son livre Les étoiles de Compostelle. L'arbre que l'on appelle communément acacia dans nos régions est le robinier. J'avais taillé le pommeau, sculpté une coquille, emblème des pèlerins, les armes de Bar-le-Duc et sa devise : « plus penser que dire», la Croix du Christ. Même si je doute de son Eglise, je crois en lui. A 1 m du sol, la poignée, la bourse qui contenait ma pierre, celle que l'on dépose à la Croix de Fer. La croix de Lorraine, le compas et l'équerre (emblèmes maçonniques). Enfin le serpent, la vouivre, serpent mythique. Ce serpent en spirale autour du bâton matérialisait pour moi ce mouvement d'éternel recommencement. Comme la spirale, l'homme évolue autour d'un axe invisible et tout puissant, qui constitue à la fois sa source et son aboutissement. Enfin, tout en bas de mon bâton, le ferré. Je l'avais récupéré sur un vieux plantoir, souvenir de ma mère, depuis plus de 25 ans retournée à la terre, le symbole de la terre mère.

Pourquoi je suis parti la première fois le 1er avril 1998, « pourquoi pas ? » aurait dit Charcot. Je suis incapable de dire ce qui a motivé ce voyage. Peut être une certaine envie de me dépasser, de changer de ma routine de tous les jours. Je venais d'avoir 60 ans et de prendre ma retraite, alors pourquoi pas Compostelle ? Je ne sais toujours pas pourquoi je suis parti comme tous ces autres pèlerins. Qu'est-ce que je cherche : Dieu, le Grand Architecte ? Priant ici, dans une modeste église romane ou assis, fatigué sur le bord d'une piste caillouteuse.

Ce sont donc quelques six Chemins de Compostelle que depuis ma retraite je me suis mis à parcourir. Soit plus de 12 mois de pérégrination et plus de 10 000 km à pied. Ne lit-on pas sous la plus d'Erasme dans L'éloge de la folie : « il faut être fou pour aller à Saint-Jacques » et pourtant j'étais passé dans le débredinoir.
1- Mon premier Chemin fut un Chemin d'apprenti. Le 1er avril 1998, dès le matin, nous faisons nos premiers pas avec ma sœur aînée, Françoise Jaillet, sur ce fameux Camino Francès - 34 jours nous attendent avant Compostelle - ...

J'ai regardé mon bâton, le serpent me regardait avec un sourire ironique. La spirale m'indiquait que j'étais dans un cercle vicieux : aboutissement d'une circonvolution ou point de départ de la suivante ?


2- Et la drogue fit de nouveau son effet. L'année suivante, comme d'autres à Bar avant moi avaient marché jusqu'à Compostelle, j'ai décidé de repartir de chez moi, ce lundi 5 avril 1999. A Haironville mon frère Georges, le tailleur de pierres, m'a taillé ma pierre, celle que tout pèlerin doit porter avec lui jusqu'à la Croix de Fer...
J'arrivai à Compostelle le 6 juillet, soit trois mois après mon départ de Bar, pour continuer jusqu'au Finisterra, le bout de l'Europe. C'est de là que selon la légende les hommes ont débarqué venant de l'Atlantide.
... 2480 km à pied et un retour en train avec mon épouse qui était venue me récupérer.
Puis la folie Compostelle m'a repris, je voulais découvrir les autres voies françaises.


3- Dans la tête des gens, le Chemin de Compostelle est un Chemin à sens unique. On parle toujours des gens qui y vont, jamais de ceux qui en reviennent. Or, c’est une entreprise en deux temps et le second n'est pas le moindre, écrit Henri Vincenot dans Les Etoiles de Compostelle. C'est ce livre qui a guidé mon troisième Cheminement vers Compostelle et son retour vers mon domicile, et ce en cinq mois de pérégrination...
Mon épouse est venue me retrouver quelques 150 km avant Compostelle pour finir ensemble le Cheminement que nous avions commencé. Rares sont ceux qui reprennent leur bâton pour repartir, elle l'a repris avec moi. Le 8 août Nous avons continué notre Chemin ensemble jusqu'à Bordeaux...
Enfin, je termine mon parcours, 25 km, de l'abbaye de Trois Fontaines jusqu'à Bar le Duc avec quelques amis qui eux aussi avaient foulé le Chemin de Compostelle.
Et puis faire les trois grands Chemins, pourquoi pas le 4°... Je n'avais pas retrouvé nos murs barisiens que la maladie me reprenait.


4- Alors Arles par le Somport pour 2001... Ma femme m'accompagne jusqu'à Auch, me reprend à Astorga. 11 avril - 11 juin deux mois de Chemin et plus de 1 600 km.
5- Et puis un dernier petit Chemin de 200 kilomètres en octobre 2001, avec mon épouse, histoire de faire le Chemin du Portugal de Braga en passant par Ponte de Lima, Calas de Rei jusqu'à Padron, là où la barque de saint Jacques serait arrivée venant de Palestine.
Déjà 8730 km depuis ma retraite, moi qui ne suis ni sportif, ni randonneur !

6- Pourquoi ne pas pousser jusqu'à 10000 km ?

C'est le challenge que je me suis mis en tête.
J'avais déjà fait les quatre grands Chemins historiques : Le Puy - Vézelay - Tours et Arles. Pourquoi pas le Mont Saint-Michel ? Le lundi 22 avril 2002, la bénédiction est donnée par le Père François, prieur de la Fraternité de Jérusalem au Mont… Un bout de côte jusqu'à Oviedo et les montagnes des Asturies pour arriver à Lugo et rejoindre à Palas de Rei le Chemin traditionnel. Autant il y a de pèlerins sur le Camino Francès, autant on peut être solitaire sur ce Chemin. Pas de gîtes, pas de signalisations, la pluie et la solitude, c'est le lot de ce Camino del Norte. A Palas de Rei j'ai dépassé mes 10 000 km. Le 10 juin je suis à Santiago et je reprends le train le lendemain matin, soit plus de 1350 km pour ce Chemin.
Chacun d'entre-nous ou presque, part Cheminant, sans trop savoir pourquoi il part... peut-être arrivant au terme, s'étant mieux compris, devient-il pèlerin ? Mais de quel pèlerinage s'agit-il ? La réponse à cette question se trouve pour chacun d'entre-nous sur le chemin en cheminant. Mais a-t-on toujours une réponse ? Pas sûr ! tout fier de mes 10 000 km en six Chemins différents et plus de douze mois de Cheminant, face à saint Jacques : je n'ai pas de réponse.

Le chemin de Compostelle est un chemin d'initiation véritable comme je l'ai dit, au quadruple plan, physique, moral, philosophique et spirituel et dont on ne revient pas identique à ce qu'on était au départ. En cela ce chemin a une proximité étroite avec le cheminement maçonnique. Faire ce chemin, arriver au but est un privilège qui nous crée et nous constitue après nous avoir reçus en cheminant. Donc, comme tous nos anciens, nous essayons d'obéir au Devoir qui est le nôtre de témoigner au seuil du troisième millénaire de la présence et de l'actualité du chemin.
S'engager sur ce chemin c'est sortir de soi-même, de son confort, de ses habitudes.
C'est s'en remettre aux autres plus qu'à soi-même. C'est lâcher prise. C'est franchir des ponts, passer d'une rive qu'on quitte à une rive à découvrir, plonger dans les vallées obscures, remonter vers les sommets, traverser des plaines interminables. C'est connaître le désert, la solitude, la crainte, le froid, la chaleur, la soif, la faim, la fatigue, le manque de sommeil... Rien qui ne soit insurmontable avec un peu de maîtrise, avec un peu de foi en soi, avec un peu de lucidité sur ses capacités face à la puissance de la nature, avec l'aide des autres cheminants.
C'est aussi espérer, être empli de joie, exulter de bonheur à la vue des œuvres de la nature et du travail de l'homme. C'est redécouvrir l'eau, le pain, le vin, l'air pur, les étoiles.... C'est rencontrer l'autre, soi-même, l'infini... C'est prier peut-être ? C'est tendre vers le but.
C'est arriver et c'est renoncer à l'exploit parce que c'est comprendre que ce chemin qu'on vient de parcourir c'est le Chemin de la Destinée humaine, de la conscience, de l'âme, peut-être l'au-delà de la vie ? Vivre, comprendre cela, c'est devenir libre. C'est acquérir « la liberté de passer » peut- être de cette rive à une autre. Mais peut-être n'est-ce encore qu'une illusion ?

J'ai regardé mon bâton, le serpent me regardait.


La spirale m'indiquait que j'étais pris dans un cercle vicieux,
l'homme n'est plus le même en vieillissant, sa spirale m'apparaissait comme le symbole illustrant le Cheminement vers le grand Architecte de l ’Univers.

 

Aboutissement d’une circonvolution ou point de départ de la suivante ?

7- La seule chose que je ressente et que j'ai comprise c'est que je dois recommencer, si bien que ma quête continue.

Oui je vais me remettre en chemin, recommencer dans quelques jours (3 avril 2003), je recommencerai mon cheminement par un autre chemin. Le 13 avril, je partirai avec Ghislaine mon épouse, pour remonter de Séville au sud de l'Espagne jusqu'à Compostelle par le chemin de la Plata.

... Quelques 1 000 à 1 100 km...

 

ci-contre, don Pedro sur le chemin de la Plata

Sur le chemin de la Plata
 

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