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Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

Le mystère de la rue Saint-Jacques à Dole
ou comment les dolois du XIXe siècle voyaient l’histoire de leur ville

La recherche de l’histoire du nom d’une rue Saint-Jacques conduit parfois à des surprises. Celle de la rue Saint-Jacques de Dole montre une fois encore comment l’histoire du Moyen Age a été réécrite par les érudits du XIXe siècle. S’appuyant sur les travaux de Jacky Theurot, Gilberte Genevois est passée derrière ce miroir déformant afin de tenter de démêler le réel de l’imaginaire et de comprendre la genèse de ces constructions qui poursuivaient toutes le même but : retrouver des racines solides dans les époques les plus reculées afin d’oublier les siècles ayant mené à l’immense secousse que fut la Révolution.

Sur un plan de la ville établit en 1636, lors du siège de Dole par l’armée de Condé tentant de conquérir la Franche-Comté pour la France, on voit une rue Saint-Jacques qui descend du centre ville jusqu’aux abords du Doubs. Elle existe encore actuellement avec sensiblement le même tracé et s’appelle rue Bauzonnet. Quand s’est-elle appelée rue Saint-Jacques et pourquoi ? En consultant les écrits sur l’histoire de la ville, on découvre que chaque époque s’est construit un passé convenant à « l’air du temps ». La science historique est intervenue pour « relire » les mythes nés de la tradition, mais des mystères demeureront toujours, ou du moins, encore longtemps.

La construction progressive d’une « histoire »

En 1592, Gollut, auteur d’une Histoire de la république des Séquanes et des princes de la Franche-Comté de Bourgogne mentionne «l’hôpital d’Arans» ainsi qu’une chapelle Saint-Jacques déjà disparue à son époque, sans avoir laissé aucun vestige ni relique sauf que pour «tesmoignage les bons habitants hont tousjours conservé une image de saint Jacques, laquelle l’on pose sur l’autel qui est devant l’université, où l’on faict quelques processions solennelles[1] ». «J’ai quelque soupçon, poursuit Gollut, que l’église Saint-Jacques était devant l’université et que la ruelle qui est vis-à-vis en était appelée autrefois »

Son récit est le seul élément qui nous reste pour situer la chapelle. Curieusement, dans le mur de l’immeuble qui occupe aujourd’hui l’emplacement de l’université (pharmacie à l’angle des rues des Arènes et du Mont-Roland) on voit une niche qui a dû contenir une statue. Souvenir du reposoir à saint Jacques auquel les bons habitants de Dole rendaient hommage au XVIe siècle ? A l’époque de Gollut la rue était appelée de la Diablesse, nom qui dit-il n’est pas ancien, mais inventé depuis que, en une mascarade de douze diables, un treizième fut par plusieurs fois compté, qui toutefois ne put être trouvé quand on se démasqua. En 1636 elle avait retrouvé le nom de rue Saint-Jacques, quand et pourquoi ? Nous n’avons rien trouvé qui nous le dise.

En 1839 la municipalité examine s’il y a lieu de renommer les rues du centre historique de la ville. Une commission de travail est organisée, présidée par Charles Dusillet, homme de lettres et poète romantique, maire légitimiste de la ville de 1815 à 1835. Ses conclusions, adoptées par le conseil municipal du 17 août 1839[2] , elles précisent pour la rue qui nous intéresse que la commission a cru devoir conserver le nom de Saint-Jacques à cette rue, afin de maintenir le souvenir d’une ancienne église paroissiale de la ville, qu’un titre désigne ainsi sancti Jacobi ad arenas. On a vu que Gollut avait noté le souvenir imprécis d’une chapelle qu’il ne pouvait situer, et là il est question d’une église paroissiale ! Qui plus est, s’ajoute un autre « souvenir » valorisant pour la ville, celui d’arènes prouvant l’origine romaine de la citée… Dole a eu au Moyen-Age une « porte d’arans ». Il était tentant de glisser de arans à arènes… Gollut l’avait d’ailleurs déjà fait en son temps. Nous verrons plus loin ce qu’en disent les historiens d’aujourd’hui.

 

En 1858, A. Rousset dans son Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de Franche-Comté parle de « l’église Saint-Jacques associée à l’hospice Saint-Jacques bâti à l’usage des pèlerins en route pour Compostelle par les anciennes routes romaines»[3]. Il mentionne même l’existence d’une confrérie Saint-Jacques qui aurait été créée en 1550 et aurait duré jusqu’à la Révolution.

En 1930, un autre érudit jurassien, André Pidoux de la Maduaire, archiviste-paléographe, auteur de Mon Vieux Dole, propose une explication séduisante, appuyée sur la tradition évoquée par Gollut et, sans doute proche de la réalité. Il parle de la rue «anciennement nommée Saint-Jacques» dont il pense qu’elle aurait pu mener à la chapelle Saint-Jacques disparue qui aurait été la chapelle castrale du château de Frédéric Barberousse. Il émet une hypothèse très plausible : «la dévotion de nos comtes se partageait entre l’apôtre saint André, patron des Bourguignons, et l’apôtre saint Jacques dont ils avaient pris le culte au cours des croisades en Espagne» (n’oublions pas que Barberousse aussi se réclamait de saint Jacques).

 

Sans savoir à quand remonterait cette situation, on peut alors entrer à notre tour dans le domaine des suppositions : une fête à saint Jacques dans cette chapelle, une fois celle-ci disparue, on a mis dans le voisinage un reposoir et continué à prier saint Jacques en plein air. A l’occasion des processions on faisait des «diableries» dont d’autres villes (Angers, Grenoble) ont conservé le souvenir. Une fois celles-ci interdites par le concile de Trente on a continué à prier saint Jacques en plein air. Jusqu’à quand ? A noter aussi quecette rue était juste en face de l’Université et les étudiants du XVIe siècle ont laissé le souvenir de leurs chahuts. Ils n’étaient peut-être pas étrangers aux diableries ! …

 

D’après les travaux de Jacky Theurot, Professeur à l’Université de Franche-Comté, dolois et auteur d’une thèse sur l’histoire de sa ville au Moyen-Age (et d’articles publiés dans les Cahiers dolois n° 15 et 15 bis en 1998) on peut faire les commentaires suivants : le XIXe siècle tend à magnifier le passé médiéval de la ville, voir à lui attribuer une origine qu’elle n’a pas eue et que récusent les historiens actuels : la période romaine de Dole est une pure invention, que des fouilles n’ont jamais confirmée, bien que la présence gallo-romaine soit abondamment attestée dans les environs. D’autre part le toponyme d’Arans existe dans plusieurs lieux du secteur et a désigné au Moyen-Age l’une des portes de la ville commandée par le château qu’avait fait construire Frédéric Barberousse, empereur d’Allemagne et d’Italie, comte de Bourgogne par son mariage avec Béatrice en 1156. Elle était fille du comte Renaud III et donc petite-nièce de Calixte II.

Près de cette porte fut fondé, sans doute à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe siècle, un hôpital qui pouvait accueillir les pèlerins, doté d’une chapelle dédiée à Notre-Dame d’Arans. D’après les comptes des années 1400/1401 et 1404/1405 (Archives de la Côte d’Or B 1525 et B1541) cet hôpital était pourvu de deux chambres basses et au-dessus se trouvaient une grange et une prison.

Quel enseignement tirer de cette « histoire » ?

Elle témoigne de l’existence d’anciennes dévotions locales à saint Jacques. Au passage, relevons que Gollut au XVIe siècle ne parle pas du pèlerinage.

Elle est très significative aussi de la manière dont le XIXe siècle a appréhendé le passé : la Révolution avait balayé les fondements de l’ancienne société, il s’agissait de les faire resurgir pour renouer avec la grandeur de la Franche-Comté de Bourgogne et de Dole, siège du Parlement, de la Chambre des Comptes et de l’Université. En 1839, on rebaptise donc les rues de noms rappelant cette époque : rue Jean de Vienne, amiral comtois en 1396, rue des Vieilles Ecoles, là où était l’Université jusqu’en 1691, rue de la Vieille Monnaie, parce qu’avant 1678 elle longeait l’hôtel des monnaies, rue Gollut, place Carondelet, secrétaire de Charles Quint, etc… Cette époque est celle des sociétés savantes qui recrutent des historiens amateurs dans l’élite locale. Ils ont un regard romantique sur le passé, qu’ils subliment volontiers pour oublier un présent difficile, socialement et économiquement. A Dole un cénacle se constitue autour de Charles Dusillet. Homme de lettres et poète, il anime un cercle littéraire auquel participent Charles Nodier et Benjamin Constant. Il a publié en 1823 son premier roman : Yseult de Dole. Il préside la commission instituée par son successeur à la mairie depuis 1835, le vicomte Rigolier de Parcey qui sûrement n’allait pas contre sa vision de l’histoire.

Désiré Monnier, intellectuel jurassien de la même école, relate dans l’Annuaire du Jura de 1941 le travail de la municipalité de Dole à propos des noms des rues et conclut sur ces mots :

« ..Avec la consécration publique de quelques noms auxquels se rattache l’estime des siècles, nous relèverions le moral d’un peuple que menace la dissolution du nœud social en ce temps d’indifférence et d’égoïsme, et nous verrions avec ce moyen d’émulation, renaître le patriotisme qui engendrait jadis une foule d’autres vertus dont on ne sait plus aujourd’hui que le nom »

L’histoire a donc comme fonction l’édification du peuple par l’exaltation du patriotisme et de la vertu. Désiré Monnier entend sûrement par patriotisme l’attachement à la petite patrie, en l’occurrence la Comté si fière de sa quasi indépendance avant son annexion à la France.

Nous sommes bien loin de nos conceptions actuelles, et les historiens sérieux se gardent bien aujourd’hui d’interpréter le passé sans preuves. Sans nier la tradition, ils attendent pour lui accorder le statut de fait avéré d’avoir découvert des textes : Jacky Theurot n’exclut pas totalement qu’une confrérie Saint-Jacques ait pu exister, il dit seulement n’en avoir pas trouvé trace dans les archives. Mais elles n’ont pas toutes été dépouillées et certaines ont pu disparaître…

 

En forme d’épilogue :

Le conseil municipal de Dole a, le 15 novembre 1904, proposé à la commission de l’Instruction publique de changer quelques noms de rues : la rue Saint-Georges deviendrait rue du Vieux Parlement, la rue Saint-Jacques rue Bauzonnet (relieur renommé, ami de Charles Dusillet ) et la rue des Thiercelines rue Raguet-Lépine (célèbre horloger né à Dole). Les édiles se sont mis au goût du jour, mais ils sont restés fidèles à leur passé et à leurs célébrités locales !

 

 Gilberte Genevois
Besançon


[1]Gollut L., Histoire de la république des Séquanes et des princes de la Franche-Comté, T I, p. 251, Hovarth éditeur, par Ch. Duvernoy 1978, 1e édition à Dole 1592.
[2] Archives municipales de la ville de Dole, Procès verbaux des séances du Conseil municipal
[3] Rousset A., Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de Franche-Comté, T2, p.520, édition F.E.N.R.N. Paris 1969, 1e édition 1854, Besançon

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