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Le Chemin de Saint-Jacques, de la légende à aujourd'hui

Depuis qu'ils ont été reconnus Itinéraire Culturel Européen, les chemins de Saint-Jacques sont à la mode. Mais leur histoire est largement méconnue. En outre cette reconnaissance à mis l'accent sur la géographie de ces chemins plus que sur leur symbolisme. Il en résulte une floraison de tracés contemporains qui tous prétendent à l'authenticité historique. En France, le chemin du Puy a été tracé au début des années 1970 à partir d'hypothèses discutables. Mais son succès est grand.

De la légende...

Au Ier siècle de notre ère, l’apôtre Jacques eut mission d'évangéliser l’Occident. Il débarqua en Galice, à Padron, où il fut si mal accueilli qu’il se retira sur les hauteurs rocheuses. Pour le cacher à ses persécuteurs, les rochers s’ouvrirent miraculeusement en une grotte protectrice, sous la simple pression de son bourdon. Un jour qu’il eut soif, il enfonça son bourdon dans la terre et fit jaillir une source, l’actuelle fontaine Saint-Jacques. Découragé, il rentra en Palestine, accompagné des deux seuls galiciens qu’il avait su convertir.

Il y fut décapité. Après son martyre, ses disciples dérobèrent son corps et prirent place avec lui dans une barque de pierre démunie de voile et de gouvernail. Guidés par la main de Dieu, ils abordèrent à nouveau à Padron, nom qui signifie « Pierre », la pierre où fut amarrée la barque. Le pays étant encore païen, les disciples eurent maille à partir avec le roi et la reine mais leur sainteté les fit triompher de mille dangers : un pont s’écroula sous leurs poursuivants, le roi mourut, des taureaux sauvages devinrent domestiques et la reine se convertit. Saint Jacques aurait ainsi trouvé le repos en un lieu qui fut bientôt oublié. La légende se poursuit plus tard, racontée par un texte de 1077 : « un ermite nommé Pélage reçut des anges la révélation du lieu où se trouvait le tombeau, non loin de l’endroit où il priait… Puis les fidèles de la paroisse voisine aperçurent des lumières qui indiquaient le lieu précis. Alerté, l’évêque Théodemir décréta un jeûne de trois jours et trouva la sépulture de saint Jacques ». Théodemir avait vécu au IXe siècle.

... À l'histoire

Dans la Bible, saint Jacques dit le Majeur est fils de Zébédée et de Marie-Salomé, frère de Jean l’Evangéliste. Apôtre du Christ, il fut le premier à subir le martyre, décapité sur l’ordre du roi Hérode, en l’an 44. Ces brèves indications furent ensuite complétées par des récits qui furent tous des faux, mais qui ont passé pour vrais jusqu’au XVIIIe siècle. Ils furent réunis au XIIe siècle dans un manuscrit conservé à la cathédrale de Compostelle, le Codex Calixtinus du nom du pape Calixte II qui fut l’artisan de la grandeur de la cité. Celui-ci était fils des ducs de Bourgogne, moine à Cluny où il fut ensuite élu pape en 1119. Le plus connu des textes du Codex fut la chronique du Pseudo-Turpin où naît le « chemin de Saint-Jacques », la Voie Lactée que saint Jacques montre en songe à Charlemagne. Un récit où souffle l’épopée des compagnons du grand empereur venus rendre l’Espagne aux chrétiens et qui s’achève par la mort de Roland à Roncevaux. Une « Histoire » diffusée jusqu’aux confins de l’Europe, par des rois qui se voulaient successeurs de Charlemagne. Un discours politique conçu comme un « roman » capable de convaincre les chevaliers de partir en croisade pour saint Jacques, patron de l’Espagne, capable aussi d’y entraîner des pèlerins. Ces derniers ne furent pas ceux décrits par les dictionnaires du XIXe siècle, pauvres et pieux cheminant péniblement vers l’apôtre, mais tous les nobles, ecclésiastiques, commerçants, compagnons, aventuriers, mendiants qui mêlaient la dévotion à leurs autres motivations. Ils ne se comptent pas par millions, comme on le dit trop souvent mais, de façon plus parlante, ils sont la foule symbolique des Elus de l’Apocalypse. Reprenant ce texte, le Codex les fait passer par Compostelle (nouvelle Jérusalem) avant de les conduire à Dieu au long de la Voie Lactée, avec saint Jacques, grand passeur des âmes…

Les quatre chemins et Le Puy : les sources

Le Codex Calixtinus contient un texte qui, depuis la fin du XIXe siècle, passe pour une sorte de Guide Bleu avant la lettre, pour avoir été traduit sous le titre de Guide du pèlerin. Ce Guide a été à la base de la naissance du « chemin du Puy » dont on sait le succès. Les quatre chemins proposés par ce Guide du pèlerin avaient un but politique : le roi de Castille Alphonse VII attirait dans sa mouvance les grands seigneurs d’une Aquitaine allant de l’Atlantique au Rhône et des Pyrénées à la Loire. Aux limites de ces régions dont il se voulait l’Empereur, quatre grands sanctuaires de pèlerinage, Tours, Vézelay, Le Puy, Arles dont il voulait draîner les pèlerins vers Compostelle. Cette ambition n’a pas eu de suite, d’où l’oubli du Guide dans les archives de la Cathédrale. En même temps qu’on le retrouvait au XIXe siècle, était découvert le pèlerinage à Compostelle de Godescalc, évêque du Puy, en 951. Grâce à cet illustre pèlerin, la ville du Puy a su s’affirmer, depuis un demi-siècle comme point de départ privilégié des pèlerins contemporains.
Voir l'article Le Puy, la naissance du Saint-Jacques

Bourdon, besace, coquille et calebasse*

La Chanson du Devoir des pèlerins, diffusée par la littérature de colportage du XVIIIe siècle, fait obligation au pèlerin de porter des accessoires d’identification au long de sa route :

«Des choses nécessaires
Il faut être garni
À l'exemple des Pères
N'être pas démuni
De bourdon, de malette,
Aussi d'un grand chapeau
Et contre la tempête
Avoir un bon manteau.»


dessin offert par Grégory DELAUNAY

Ces éléments sont nécessaires à tout voyageur, mais Jean de Bonnecaze, lorsqu’il quitte les Pyrénées pour Compostelle au milieu du XVIIIe siècle n’a pour tout bagage qu’un hâvre-sac contenant quelques chemises et pour tout insigne un chapeau. De fait, ces insignes sont ceux qui apparaissent dans les formules liturgiques très anciennes de bénédiction de départ des voyageurs.

En voici une, tirée du Codex Calixtinus, spécialement composée pour les pèlerins de Compostelle :

«Reçois cette besace, insigne de ton pèlerinage, afin que tu mérites de parvenir à la maison de saint Jacques où tu veux te rendre… Reçois ce bourdon, réconfort contre la fatigue de la marche dans la voie de ton pèlerinage, afin que tu puisses parvenir en toute tranquillité au sanctuaire de saint Jacques…»

L’Eglise accorde à ces insignes une haute valeur allégorique : «La besace symbole de générosité dans les aumônes» dit le Codex Calixtinus ...

et plus tard la Chanson du Devoir des pèlerins célébrera ainsi le bourdon :
«Le bâton d'espérance
Ferré de charité
Revêtu de constance
D'amour et chasteté...»

Ainsi doté de ces objets bénis et reconnaissables, le pèlerin est sous la protection de la Lex Peregrinorum qui, théoriquement, le protège. Au fil des siècles, s’y ajoute la « pèlerine », mantelet de cuir couvrant les épaules. Au retour, ces objets deviennent objets-souvenirs, parfois conservés pieusement par les familles. Certains anciens pèlerins de Compostelle demandent à être enterrés avec leur bourdon, tel Guillaume Ytasse en 1603, un tourneur de Beaugency. La chose ne va pas de soi, car la demande est faite par devant notaire ! Sur sa pierre tombale, il demande que soit gravée son effigie en costume de pèlerin, avec saint Jacques en vis-à-vis. Néanmoins, toutes les pierres tombales portant ces symboles ne signalent pas forcément un pèlerin de Compostelle, car ces attributs sont communs à tous les pèlerins, quelle qu’ait pu être leur destination. Peut-être ne furent-ils que des « pèlerins de vie humaine » demandant à saint Jacques sa protection pour le grand voyage vers l’Au-delà.

De la coquille

Aucun rituel de pèlerinage ne mentionne la coquille parmi les insignes remis au pèlerin. Si elle est, dès le XIIe siècle, vendue à Compostelle, elle l’est également ailleurs. On en a retrouvé à Paris dans des tombes du VIe siècle, bien antérieures à la découverte du tombeau. En 1377, lorsque l’Empereur Charles IV vient à Paris, le roi de France lui « envoie des coquilles parce qu'il est pèlerin », ce qui indique bien que cet insigne est commun à tous les pèlerins.
Progressivement pourtant, les représentations iconographiques de l'apôtre saint Jacques adjoignent une coquille, qui sur la besace, qui sur le chapeau. Le Codex Calixtinus la présente comme « symbole des bonnes œuvres… les deux valves étant l’une amour de Dieu, l’autre amour du prochain ». A partir du XVIe siècle, les pèlerins de Compostelle augmentent le nombre de coquilles qu'ils portent sur leur costume, ainsi que le souligne ce dialogue des Colloques d'Erasme :
« - Comme tu as un aspect étrange ! couvert de coquilles imbriquées, tout garni d'images d’étain et de plomb, paré de colliers de paille…
- Je suis allé chez saint Jacques de Compostelle »

Puis, au XVIIIe siècle, dans les premières classifications des espèces animales, le coquillage reçoit le nom de coquille Saint-Jacques, ce qui détermine la systématisation de l'alliance de la coquille au pèlerinage de Compostelle. Le succès du pèlerinage pousse aujourd’hui à voir dans toute coquille gravée dans la pierre une balise placée sur un chemin de Saint-Jacques. C’est faux, mais quel ancien pèlerin ne remarque pas ces signes qui continuent de l’accompagner bien longtemps après son retour ?

Aujourd'hui

Le goût pour la randonnée pédestre, le besoin de retrouver la nature, l’appel de Jean-Paul II lancé de Compostelle en 1982, une médiatisation croissante ont donné une nouvelle vie aux chemins de saint Jacques. Reconnus Itinéraire culturel européen en 1987, ils sont un laboratoire en vraie grandeur de la construction européenne par les innombrables rencontres et dialogues qu’ils permettent entre pèlerins de toutes nationalités.
Tous ceux qui les empruntent ne font pas un pèlerinage comme s’ils allaient à Lourdes, Lisieux ou Fatima. Compostelle est plus qu’un but c’est une invitation à prendre le chemin. La pratique traditionnelle est de partir à pied de chez soi pour une longue approche vécue comme une quête. Les raisons qui poussent l'Homme à partir semblent multiples, mystérieuses, parfois inconnues de celui ou celle qui prend la route, pour répondre à un appel indéfinissable mais impératif. Tous vont rompre, pour un temps, avec leur confort et leurs habitudes, peut-être aussi avec leurs idoles. Le chemin, parcouru pendant une durée suffisamment longue ouvre à la réflexion et au retour sur soi. Il est occasion d’ouverture aux autres, de partage et de tolérance. C’est un chemin d’homme, un chemin de foi.

 

* sur une origine possible de ces attributs, lire : saint Jacques successeur d'Hermès

Denise Péricard-Méa,
docteur es-lettres,
pour l’Association Rhônes-Alpes des amis de saint Jacques Mars 2002

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