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L'analyse paysagère pour aider à l'élaboration de
nouveaux chemins de Compostelle en Franche-Comté

Madeleine Griselin et Sébastien Nageleisen (CNRS ThéMA, université de Franche-Comté)

La fin du XXe siècle et le début du IIIe millénaire sont témoins d’un renouveau certain des grands voyages de pèlerinage (200 000 pèlerins à pied arrivés à St-Jacques de Compostelle en 1999, 2000 et 2001, contre 9 millions en voiture). Cet engouement est extrêmement récent, puisqu'une centaine de pèlerins seulement avaient été comptabilisés à l'arrivée à Santiago en 1975, et 2 500 en 1986.
Quelles que soient les motivations des pèlerins-randonneurs contemporains, il est incontestable que le voyage pédestre au long cours sur les chemins "historiques" (plus ou moins avérés) fait de plus en plus d’adeptes, particulièrement sur les itinéraires menant à St-Jacques de Compostelle, premier itinéraire culturel européen et classé, de plus, au Patrimoine mondial de l'Unesco.

• Y aller par quatre chemins
La renaissance de ces itinéraires date d'après la seconde guerre mondiale, à l'instigation de la Fédération de Randonnée Pédestre, de l'Espagne et de l'Europe. À l'appui du très contesté "Guide du pèlerin au Moyen Âge", des itinéraires en Espagne et en France furent exhumés de l'histoire, et devinrent les axes contemporains pour se rendre à Compostelle.
Il est peu probable que les pèlerins du passé aient emprunté ces chemins (en France du moins), leur préférant certainement des axes commerciaux, plus sûrs ; mais peu importe, ces itinéraires de légende contemporaine sont devenus les voies actuelles incontournables des pèlerins modernes, figées, non par l'histoire, mais par leur inscription toute récente dans les guides de randonnée.
Fig1 - Grands itinéraires "historiques" européens
En Espagne, c'est le Camino Francés qui draine 99 % des pèlerins entre Roncevaux et Santiago, par une piste longeant l'axe historique devenue route, voire autoroute.
Pour rejoindre le Camino Francés, de nos jours, la voie "royale" est celle partant du Puy-en-Velay, non pour son historicité mais simplement parce que, du Puy à Santiago, elle est intégralement un chemin de grande randonnée (GR 69). 98 % des pèlerins-piétons traversant la France empruntent cette voie. La voie de Paris est une nationale ; celle nouvellement tracée de Vézelay est fortement bitumée, pour l'essentiel en petites routes convenant mieux aux cyclistes qu'aux piétons ; le chemin d'Arles est le GR 653, sentier qu'empruntent volontiers les marcheurs récidivistes ayant déjà parcouru le chemin du Puy, qui ont pris goût à la grande itinérance.

• Des chemins internationaux, d’histoire et d’environnement
Si le Conseil de l’Europe et la Communauté Européenne stimulent les actions concernant ces itinéraires, c’est qu’ils y devinent une histoire contemporaine des voies de pèlerinage. Chemins internationaux par l’origine diverse des marcheurs, ce sont des chemins de tolérance, sur lesquels se retrouvent croyants et incroyants, grands sportifs et apprentis marcheurs, amoureux d’art ou d’histoire, jeunes ou moins jeunes. Diverses enquêtes montrent que, quelles que soient les motivations premières des pèlerins de cette ère, “ la beauté des paysages traversés ” est un point très attractif pour tous. Ceux qui ont eu la chance de parcourir ces chemins disent l’immense bonheur que peut être cette immersion au long cours dans la nature.

• Les associations jacquaires
En Espagne , en France et dans de nombreux pays d’Europe, des associations “ jacquaires ” se sont créées autour de la thématique des “ pèlerinages ” modernes vers Compostelle. L’association de Franche-Comté (AFCCC) , née en janvier 2000 est toute nouvelle, comparée aux associations cinquantenaires de Paris, de Rhône-Alpes et d’ailleurs. Elle est encore modeste par le nombre de ses membres (100), mais n’en affiche pas moins un dynamisme effectif.
L’un des objectifs de ces associations est le développement d’itinéraires “ modernes ” menant à Santiago, en amont des têtes de pont "historique". Sollicitée par ses sœurs alsacienne, bourguignone et rhône-alpine, l’association de Franche-Comté s’est donné entre autres missions de baliser des itinéraires jacquaires en agissant à deux niveaux :
– aider les Francs-Comtois à se rendre à Saint-Jacques au départ de leur région (soit vers Vézelay, soit vers Le Puy) ;
– poursuivre le travail des autres régions et notamment effectuer la jonction entre le chemin tracé en Alsace et celui de Cluny balisé par l'association Rhône-Alpes et rejoignant Le Puy. Le tout en répondant aux demandes des Bourguignons qui souhaiteraient une arrivée par Dôle et St-Symphorien pour rejoindre Citeaux et Le Puy via Cluny, et une arrivée à Saint-Seine pour rejoindre la voie de Vézelay.
Cet itinéraire croisera à Besançon un autre itinéraire culturel européen pseudo-historique, la “ Via Francigena ” (Canterbury-Rome), développé actuellement par les instances internationales de la randonnée pédestre ; il croisera également la voie cyclotouristique “ Budapest-Nantes ” par les chemins de halage.

• Les impératifs des itinéraires pédestres au long cours
L’expérience des autres associations jacquaires a montré l’importance, dans la “ création ” de chemin, de la prise en considération d’éléments spécifiques à la marche au long cours : on ne s’engage pas pour 2 000 km comme pour 20, d’où la nécessité de s’appuyer le plus possible sur les chemins de randonnée existants mais en tenant compte d’impératifs tels que :
– aller au plus direct vers Compostelle ;
– avoir des chemins variés mais pas trop accidentés (d’où l’obligation de faire les reconnaissances avec 12 à 15 kg sur le dos) ;
– prévoir des options bitume en cas de mauvais temps et des options avec divers degrés de difficultés car les marcheurs au long cours sont en moyenne plus âgés que les randonneurs, moins sportifs et souvent totalement inexpérimentés ;
– intégrer les impératifs d’hébergement et de ravitaillement.

• Entre nature et histoire : deux chemins de traverse
Il s'agit donc de proposer une traversée NE-SO de la région comtoise : un chemin de nature qui s'appuiera sur le patrimoine historique.
La commission "histoire" de l'AFCCC se mobilise sur l’inventaire jacquaire de notre région et tente de mettre au jour l’ensemble des monuments, sculptures, statues, fresques, ayant trait au culte de St-Jacques. Cette recherche d’indices relatifs au passé jacquaire permettra d’enrichir le guide qui sera publié à l’inttention des futurs marcheurs sur les chemins jacquaires balisés en Franche-Comté.
De son côté, la commission "chemin" de l'AFCCC s'est lancée dans un travail sur les cartes au 1/25 000, doublé de reconnaissances sur le terrain. Dans l'urgence de créer le chaînon manquant entre Alsace et Bourgogne, deux tracés ont été retenus : la voie naturelle de la vallée du Doubs, et une option par la Haute-Saône dite abusivement "itinéraire de l'Ognon" ; ces deux chemins se rejoignent à la Saône (St-Symphorien) mais offrent aussi la possibilité de passer du Doubs à l'Ognon pour les utilisateurs qui voudraient faire étape à l'abbaye d'Acey. La voie de l'Ognon propose à Gy une bretelle vers St-Seine et Vézelay.
Fig. 2 - Projets d'itinéraires jacquaires en Franche-Comté

• Doubs ou Ognon : comparer pour choisir
Comment, en ce cas, évaluer les deux itinéraires Doubs et Ognon, et proposer des éléments de choix à leurs utilisateurs potentiels.
S'il est relativement facile de donner les critères physiques : longueur, dénivelée, profil en long, hébergement et ravitaillement possible, il est beaucoup moins aisé de comparer les paysages traversés, puisque, globalement, c'est une même région que l'on va parcourir, région très homogène comme l'atteste l'image satellite.

Fig. 3 - Caractériser les rythmes du paysage au long d'itinéraires d'une région unique


• Enquête paysagère
Une enquête paysagère a donc été réalisée en avril 2002, de façon concomitante sur les deux itinéraires, les bretelles et les variantes. Il s'agissait de se mettre dans la situation de l'utilisateur et de photographier le paysage tel que perçu par un piéton marchant vers Compostelle, dans le sens Est-Ouest. Après divers essais, il fut retenu un échantillonnage sur trois vues, la vue centrale étant l'axe du chemin, les deux autres, à gauche et à droite recouvrant légèrement le cliché central. Au total donc, un triptyque faussement panoramique, représentant près de 100° de vision, constitue le relevé paysager en chaque point. Sur chaque itinéraire, les points photos ont été défini tous les deux kilomètres linéaires de parcours. ce qui représente 108 points pour la voie du Doubs, 94 pour celle de l'Ognon, 22 pour la bretelle d'accès à Vézelay et 14 pour la liaison Doubs-Acey.

Fig 4 – Itinéraires du Doubs et de l'Ognon : l'échantillonnage photographique

• Des paysages "bien de chez nous"
Au regard des clichés traités par triptyque, si on réalise une typologie très sommaire des paysages rencontrés, en se fondant tant sur les objets de celui-ci (forêts, culture, village, eau...) que sur sa scénographie (ouvert, fermé, composite...), on dégage dix types du plus "nature" (immersion forêt) au plus "anthropique" (immersion habitat).
Un comptage des occurrences permet de caractériser globalement les deux chemins principaux : entre Belfort et St-Symphorien, l'itinéraire de l'Ognon apparaît plus nature, celui du Doubs plus aquatique et citadin ; les deux sont bien représentatifs des paysages attendus en Franche-Comté.

Fig 5 – Typologie des clichés de paysage entre Belfort et St-Symphorien

• Les rythmes des paysages
Qu'en est-il du rythme des paysages, c'est-à-dire de la variation spatiale de celui-ci.
En plus de sa couleur, attribuons à chaque type de paysage une valeur de 1 à 10 pour visualiser, de façon linéaire, la variation paysagère et figurer le rythme des scènes rencontrées. Tous les marcheurs s'accordent à dire que si un chemin de halage est très agréable par la présence d'eau et son caractère plat, il devient vite ennuyeux par l'absence de dénivelé, la rectitude et l'homogénéité paysagère. Globalement pour un piéton, plus de deux kilomètres d'un paysage uniforme est source d'ennui, quel que soit le milieu traversé. La surimposition du profil en long permet d'intégrer la notion de variation d'altitude : l'itinéraire de l'Ognon apparaît nettement plus rythmé que celui du Doubs. Ce dernier pêche par des passages répétitifs doublés par l'absence d'accident de terrain, qui doivent considérablement lasser le marcheur. Cette monotonie marque les cinquante premiers kilomètres de parcours où l'on est en zone urbaine et au bord du canal. On retrouve cette configuration autour de Besançon. La variabilité se manifeste dès qu'apparaissent les accidents, mêmes mineurs de relief. Le tracé de l'Ognon ne présente que quelques zones homogènes en forêt entre les kilomètres 75 et 100, que le relief marqué contribue diversifier.

Fig 6 – Rythmes du paysage et profil en long des itinéraires Ognon et Doubs
entre Belfort et St-Symphorien

Pour parachever la caractérisation de ces chemins, il restera à intégrer dans le SIG les hébergements et ravitaillement, le patrimoine historique relatif à St-Jacques (statues, église, chapelle, croix, etc.). Il s'agira ensuite de mobiliser les communes traversée pour aider au développement d'hébergement de style gîte d'étape, chambre d'hôtes ou simple local-refuge pour pèlerins de passage. En attendant que les infrastructures soient en place, un système de chaîne d'accueil a été mis en place par les membres de l'association franc-comtoise, copiant en cela le mode d'hébergement que l'on trouve sur le chemin d'Arles.
Le trafic vers Compostelle strictement ne sera peut-être pas immense au début, encore que de nombreux ressortissants de l'Europe du Nord passent déjà par la Franche-Comté pour rallier St-Jacques. Mais ces itinéraires comtois permettront aux randonneurs locaux de parcourir leur région en une boucle de plus de 400 km, une façon de mesurer, outre les plaisirs de la marche au long cours, l'extraordinaire variabilité des paysages de notre région.

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