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Yvan Marquié, président de l’Association «els Amics de Catllà»
Yvan Marquié, chercheur amoureux de
son village de Catllar, a tenté de retracer l’histoire de la chapelle
Saint-Jacques de Calahons, un petit sanctuaire perdu au milieu d’une combe
à 531 m. d’altitude, dans la montagne, auprès d’un ruisseau. Grâce à ce
travail, la mémoire de l’un de ces innombrables petits sanctuaires se
trouve préservée. Elle s’inscrit dans une longue tradition issue du Moyen
Age, celle des pèlerinages locaux à des chapelles éloignées des paroisses,
éloignées des routes, perdues dans la montagne ou dans les bois, au bord
de l’eau.
Ces chapelles ne recevaient les foules des pèlerins que deux ou trois
fois l’an, lors des fêtes du saint patron. Le reste du temps n’y vivait
souvent qu’un desservant, ou un simple fermier cultivant les terres alentour.
Elles ne voyaient guère en fait de visiteurs que quelques âmes en peine
venues faire une pieuse supplique, dans une démarche pénitentielle qui
les poussait à venir prier aux limites de leur paroisse. Le cantique composé
en 1899 (voir ce cantique) rappelle que saint
Jacques a vocation à retenir l’orage sur les hauteurs ou,
selon une tradition orale recueillie par Yvan Marquié, à
le détourner vers la France !
Saint Jacques s’offrait ainsi dans de nombreuses chapelles dont l’inventaire
est en cours, souvent au bord d’un ruisseau (il protège des démons qui
se cachent au fond des eaux) ou perchées sur des collines ou des montagnes
(plus près du ciel, comme il convient à celui qui aide les âmes à monter
au Paradis). ) ou encore en zones-frontières. Saint-Jacques de
Calahons est un exemple parfait, puisque, sur un site-frontière
habité depuis longtemps s’est installé un petit sanctuaire
à relique dédié à un « bienheureux Jacques
de Calaons » (les reliques de saint Jacques furent nombreuses) vers
lequel les pèlerinages ont perduré miraculeusement peut-on
dire, tant ont été nombreuses les disparitions imposées
par la Contre-Réforme. A Calahons, les transformations faites à
la statue, sans doute au XVIIIe siècle, sont particulièrement
révélatrices du souci de mettre «aux nouvelles normes»
ce saint Jacques à l’authenticité douteuse en rebaptisant
«sa» relique et en l’habillant en pèlerin de
Compostelle. C’est sans doute ce qui l’a préservé
de la disparition totale.
Autre survivance particulièrement intéressante, les dates des fêtes de
saint Jacques qui montrent, une fois de plus, la double fête du 1er mai
et du 25 juillet attribuées l’une au Mineur l’autre au Majeur et qui témoigne
de ce que les fidèles n’étaient pas sensibles à ces subtiles distinctions.
La fête du lundi de Pâques n’est pas sans rappeler un passage du Livre
de saint Jacques (Livre II, chap. 3)
« En ce même temps le grand roi Hérode fit périr Jacques, frère de Jean, par le glaive. Il montre le moment de la Passion du bienheureux Jacques et même les personnes de ce temps mais il tait le jour lui-même. Ce jour fut révélé à un fidèle que je connais… Il a été jugé vers la troisième heure et vers la neuvième heure, comme le Christ, il a trépassé. Le maître et le disciple ont subi la passion le même jour et à la même heure » (La Légende de Compostelle, trad. B. Gicquel, Paris, Tallandier, 2003)
Malgré ces deux anniversaires confondus, on ne fête pas saint Jacques en même temps que le Christ, mais immédiatement après, le lundi de Pâques… Reste à comprendre pourquoi le lundi de Pentecôte est également fêté à Calahons …
Des panneaux trompeurs qui cèdent à la mode du temps présent ! Plusieurs chercheurs de la région savent, eux, que, contrairement à ce que certains n’hésitent pas à affirmer au prix de l’apposition de coûteux panneaux, cette petite chapelle, pas plus d’ailleurs que les églises Saint-Jacques de Villefranche-de-Conflent et de Nyer, ne balisent un quelconque chemin de Compostelle sous le seul prétexte de leur vocable. voir l'article sur Villefranche-de-Conflent |
Le site | ||
A l’époque préhistorique, déjà des hommes vivaient à Calahons.
Trois petits dolmens, les arcas, témoignent de cette présence. La découverte
dans l’un d’eux, par J. Abelanet, de pointes de flèches en silex blond,
de deux perles en schiste, d’une callaïs (pierre vert-bleu) ainsi
que d’un petit vase en forme de louche avec manche court et large, percé
de deux trous, permet de dater cette occupation du lieu entre 3500 et
2500 av. J.C. | ||
La chapelle Saint-Jacques | ||
Il faut attendre 1225 pour apprendre l’existence d’une église Saint-Jacques
dans ce hameau de Catllà. A cette date, Pierre,
abbé de Cuixa fait donation au bienheureux Jacques
de Calaons et aux frères et sœurs de ce lieu
d’un sol inculte sis aux abords de l’église Saint-Jacques [2] .
L’interdiction du culte | ||
retable, chapelle latérale et statue de saint Jacques (en plâtre) elle a remplacé la statue reliquaire du saint conservée dans l'église de Catllar | Lors du retour
de l’abbé en 1780, les réparations demandées n’ayant pas été effectuées,
l’église est interdite [3] | |
saint Jacques au maître-autel |
La reconstruction de 1898 Le 21 juillet 1898, le curé Casimir Marcerou [7] , lors d’une réunion
du conseil de fabrique expose « qu’après l’achat de la chapelle Saint-Jacques
une reconstruction complète de la chapelle s’impose. L’état de la vieille
bâtisse est affreux, tout va s’effondrer si on n’y porte pas remède au
plus tôt ». Le conseil décide la reconstruction : « la
nouvelle église aura deux chapelles latérales et une sacristie. La cuisine
sera agrandie par l’adjonction d’un nouvel appartement qui sera adossé
contre le mur de l’église et sera contigu à la cuisine. De plus, en construisant
des murs de soutènement, on fera une vaste place devant l’entrée de la
chapelle, entrée qui ne sera plus au midi comme autrefois, mais au Nord-ouest.
Toutes les bâtisses seront faites à la chaux de Teil. La toiture sera
couverte avec du parrot de Narbonne ». Ce texte est une preuve que
la toiture de la chapelle n’est pas inachevée, mais telle que l’ont voulue
ses bâtisseurs. | |
L’église actuelle a gardé approximativement la même longueur
que l’ancienne, mais est plus étroite. On peut penser que le mur sud a
été abattu et qu’on en aurait profité pour agrandir le logement de l’ermite.
Cette église est l’œuvre de Bourreil, entrepreneur de maçonnerie à Catllar,
comme l’indique une inscription sur le mur nord portant ce nom et une
date, 1899. Un article paru dans L’Indépendant du 13 novembre 1899,
intitulé « Découverte macabre » révèle que des terrassiers ont
trouvé deux squelettes bien conservés en fouillant le sol de l’ermitage
de Saint-Jacques. L’auteur de l’entrefilet ne précise pas si c’est à l’intérieur
ou à l’extérieur mais il ajoute : « on ne sait comment expliquer
leur présence en cet endroit ». Pourtant dans les deux cas, cela
n’a rien d’étonnant puisque c’est souvent qu’on enterrait des personnes
dans le sol des églises et nous savons qu’il y avait un cimetière près
de la chapelle. Une association de sauvegarde Le 24 septembre 1985, devant l’état de délabrement que connaît
à nouveau l’édifice, l’Association des Amis de Saint-Jacques de Calahons,
regroupant des personnes des communes de Catllar, Eus et Marquixanes est
créée. Une souscription lancée dans les trois villages et des subventions
accordées par les municipalités et le Conseil Général ont
permis la remise en état de la chapelle et des logements de l’ermite ainsi
que la mise en valeur de leurs abords immédiats. Le 29 avril 1986, la
chapelle est cédée par l’Asssociation diocésaine à la commune de Catllar.
« Moyennant le prix de 1 F. symbolique, la commune s’engage conjointement
avec les responsables de l’Association dite les Amis de Saint-Jacques
de Calahons d’assurer la restauration matérielle et à garantir l’affectation
cultuelle et religieuse de l’édifice ». | ||
L’ermite de Saint-Jacques | ||
Les anciens se rappellent
encore de l’ermite Garrifa qui vécut ses vieux jours à Catllar mais qui
devait avoir passé une partie de sa vie à la chapelle. C’était un miséreux.
Comme tous les ermites à cette époque, il passait dans les maisons du
village, sa capelleta en bandoulière et présentait à la dévotion
des habitants la statuette de saint Jacques qu’elle renfermait. En échange,
on lui donnait des provisions ou un peu d’argent. La capelleta est restée
longtemps dans la chapelle, puis elle a disparu. Fra François Vila, † 4 octobre 1673 |
Les « aplecs », d’hier à aujourd’hui | |
Une relique de saint Jacques | |
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Just, en 1860, note sur l’autel, la présence de « la
statue de la Sainte Vierge ainsi que celle de saint Jacques, taillées
avec peu d’art dans un bois grossier ». Cette statue de saint Jacques
est aujourd’hui conservée dans l’église de Catllar (récemment restaurée
par l'atelier du Conseil Général). C’est une statue reliquaire en bois
peint, haute de 93cm., datée du début du XIVe
siècle. Le saint patron des pèlerins est pieds nus. Il est vêtu d’une
tunique bleue et d’une toge marron à revers rouge. Tunique et toge ont
été décorées de fleurs dans l’esprit des polychromies des sculptures baroques.
Le socle est un réemploi. Les mains ont été refaites en utilisant celles
d’une statue baroque. Tous les attributs du pèlerin : chapeau à bords
relevés orné d’une coquille, bâton muni d’une calebasse ont été rajoutés
à une époque indéterminée. Une petite croix reliquaire en ébène est incrustée
sur la poitrine. Une écriture qui semble du XVIIIe siècle mentionne le
nom de sainte Thècle. Sur le revers, une autre croix a dû être arrachée
car l’emplacement est vide [9] . |
Les pèlerinages, ou « aplecs » Jeanne Camps évoque les « aplecs », ces pèlerinages
populaires et festifs dans les ermitages où l’on se rend les lundis de
Pâques. Faisant suite aux interdictions des quarante jours de Carême ils
étaient des occasions de se défouler. La joie de vivre des Catalans, dit-elle,
explose en chansons, en grillades et bagarres comme celle qui eut lieu
à ND de la Roca à Nyer en 1843, d’après ce qu’en a écrit l’abbé Malart :
« on s’y réunit pour Pâques, c’est la mort aux chevreaux, on les
mange par douzaines, et puis quand on a mangé, bu, la danse et beaucoup
de coups de poings ». « Le lundi de Pâques 1899, le 3 avril vers 6 heures du matin, les cloches sonnant à toute volée, la religieuse population de Catllar accompagnait processionnellement l’antique statue de saint Jacques à son nouveau sanctuaire. Les jeunes gens de l’endroit se sont fait un honneur de porter sur leurs épaules le brancard magnifiquement orné où était placée la statue. Beaucoup parmi la foule portaient en leur main des cierges allumés. C’est l’abbé Martre, archiprêtre de Prades qui a procédé à la bénédiction de la chapelle. Il a félicité M. le curé de Catllar et le conseil de fabrique d’avoir conduit à bonne fin une œuvre si nécessaire et si coûteuse. Cette inoubliable journée s’est terminée par le chant des vêpres, des goigs et du nouveau cantique à saint Jacques composé pour la circonstance » |
agrandir |
• Le lundi de Pâques 1936, une grande fête est organisée
par M. Carbonneil, alors maire de Catllar. Un groupe électrogène est monté
sur une charrette et la messe est célébrée dans une chapelle illuminée
par des guirlandes de lampes électriques. L’après-midi, on danse sur l’esplanade. |
Récemment, un sentier de randonnée, le "chemin des cabanes", a été créé par «els Amics de Catllà». Il relie des cabanes en pierres sèches restaurées, vestiges du passé viticole des environs de Saint-Jacques et passe par la chapelle. Ces dernières années, l’aplec de Catllà rassemble près d’un millier de personnes. Depuis des temps immémoriaux, chaque famille catllanaise possède son «coin» aménagé sous les arbres, avec des pierres qui servent de table et de sièges. Avant le pèlerinage, on va le marquer et le nettoyer. C’est l’occasion d’inviter parents et amis et il n’est pas rare de voir des groupes de plus de vingt personnes. De plus en plus, l’aplec attire des gens qui viennent des villages des alentours. Les pèlerinages des autres villages attirent beaucoup moins de monde venu uniquement des Marquixanes ou Eus. Yvan Marquié | |
Saint-Jacques de Calahons est l’un des rares exemples d’ermitage
encore vivant et simultanément lieu de pèlerinages. En ces temps
où les fêtes médiévales ont de plus en plus de succès, sur un fond parfois
bien frelaté, les aplecs de Calahons, dans leur authenticité retrouvée,
restituent l’ambiance à la fois joyeuse et recueillie des pèlerinages
médiévaux. Saint Jacques y retrouvera son compte, et certainement Compostelle
aussi, en rassemblant à Calahons, outre les gens du pays et les touristes,
venus honorer le «bienheureux Jacques de Calaons» d’anciens
et de futurs pèlerins du «bienheureux monsieur saint Jacques de Galice».
La chapelle Saint-Jacques de Calahons revivra sa vocation seconde de substitut
de Compostelle, même si elle ne fut jamais sur LE chemin. | [1] Une étude sur Saint-Jacques de Calahons et son site préhistorique a été publiée dans Catlla, un village, une histoire, par Jean Tosti, Yves Blaize, Yvan Marquié. Des articles concernant la chapelle, signés Yvan Marquié, sont parus dans le Fil à soi, journal de l'association"Els Amics de Catlla". [2] D’après Fossa, inventaire des archives de Cuixa [3] Arch. dép. Pyrénées-Orientales o class=MsoFootnoteReference>[4] d’après B. Durand, « La répression du vol sacrilège au Conseil souverain du Roussillon » [5] Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1-QP 266 ; archives [6] Arch. dép. Pyrénées-Orientales, archives de Me. Bonnel, notaire à Prades. Communiqué par Guy Barnades. [7] curé de Catllà de 1894 à 1912 [8] Registre de la fabrique de Catllà [9]
D'après Christiane de Castaigner, restauratrice
de la statue. [10] Arch. dép. Pyrénées-Orientales [11] Registre de la fabrique de Catllà |
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