Accueil | mise à jour le 9 mai, 2015 | Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. | survol du site | Page précédente |
La Chapelle d'Angillon a pour patron saint Jacques, un saint Jacques différencié de ses homonymes par la dénomination " de Saxeau ", qui n'est autre que le nom primitif de ce village dans lequel, au IXe siècle, serait mort en odeur de sainteté un ermite-jardinier nommé Jacques. Encore aujourd'hui, il est fêté le 19 novembre, date anniversaire de cette mort, en un pèlerinage qui reprend vie après quelques années d'interruption, sous l'impulsion de l'association Saint-Jacques du village.
La paroisse conserve plusieurs témoignages de la véracité de cette tradition : une relique de sa tête, enfermée dans un buste-reliquaire en cuivre doré, une biographie officielle écrite au XVIe siècle, la grotte où vécut ce saint Jacques ainsi que plusieurs objets à son effigie dans l'église. Quant aux pèlerinages et aux miracles, ils sont attestés dès le Moyen Age. A première vue, tout ceci n'a aucun rapport avec " le " saint Jacques apôtre, ni avec sa légende. Mais la négation immédiate d'un lien n'est peut-être qu'illusoire car plusieurs exemples permettent de constater que, bien au-delà du Moyen Age, les fidèles ne faisaient aucune distinction entre plusieurs saints Jacques homonymes. Un lieu de pèlerinage à saint Jacques, sans autre qualificatif La première mention de l'église sous son vocable, Ecclesia Sancti-Jacobi de Capella, date de 1163 dans une bulle d'Alexandre III. Il n'y apparaît pas de qualificatif spécial, pas plus que de date de la fête du saint. Dans les siècles suivants, toutes les fois que l'église est mentionnée, elle ne l'est que par l'expression capella Gillonis ou " prieuré de La Chapelle d'Angillon ". Un seul indice, très indirect, en faveur de l'éventualité d'un lieu de pèlerinage : le développement rapide du bourg qui obtient une charte de franchise dès 1212 et que l'on voit doté de marché, étals de bouchers, fours banaux ainsi que d'une maladrerie et d'un hôtel-Dieu susceptibles d'accueillir des pèlerins. Le saint jardinier voulu par l'Eglise Longtemps, l'Eglise ne tente que très discrètement de donner une identité propre au saint Jacques de La Chapelle. Elle se conforme en cela aux coutumes ancestrales qui exigent toujours de procéder avec prudence lorsqu'il s'agit de cultes locaux. Ce n'est qu'à partir de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle qu'apparaît une première tentative discrète d'individualisation du saint local dans un calendrier d'un Bréviaire de Bourges : Au 19 novembre Jacques est donné comme " Iacobi conf. ", un confesseur désignant un saint qui ne fut ni apôtre ni martyr. En 1444 un document parle cette fois de " saint Jacques l'hermitte, patron de lad. église " de La Chapelle. Là encore, il s'agit d'un document émanant de Saint-Sulpice. A Bourges à cette époque souffle en effet un vent de réforme, dans le cadre de ce qu'on l'on a coutume d'appeler la Pré-Réforme. Au IXe siècle, Jacques est un grec issu d'une famille noble. Ses études terminées, il choisit la carrière des armes pour défendre l'empire grec menacé. Il se fait remarquer dans une expédition contre les Musulmans. Puis vient l'hérésie des Iconoclastes, dirigée par l'empereur Léon V dit l'Arménien, au service duquel était Jacques. Jacques va-t-il lui aussi devenir hérétique ? Il est heureusement sauvé par son frère aîné qui le convainct d'entrer dans son couvent. Les deux frères décident de partir pour la France, via Jérusalem et Rome. Mais leur bateau fait naufrage entre Constantinople et Jérusalem et le frère meurt. Resté seul, Jacques continue de naviguer en Méditerranée où il lutte contre les Sarrasins. A Rome, le pape lui donne des reliques de saints martyrs (Cance, Cantien et Cantianille). Il se fixe à Gênes afin de mener une vie d'ermite. Là il effectue de nombreux miracles : il détourne les orages, arrête les inondations, suspend les pluies, protège les moissons et les vignes, rend la vue à une aveugle. Il reprend la route au bout de quatorze ans et traverse Lyon, puis Clermont et s'arrête en Berry où, à Bourges il fut admis au monastère de la Nef, future abbaye Saint-Sulpice. Mais il est toujours à la recherche du Désert où il rêve de vivre sa vie d'ermite. Il se retire alors à Berry-Bouy puis à Achères avant d'arriver en un lieu que lui donne le comte de Sancerre Robert et sa femme Agana, fille du comte de Bourges. Il s'installe donc à Saxiacum, Sasseau, sur les bords de la Sauldre, au nord de Bourges, avec son disciple Jean Gillon. Les deux ermites se construisent une cabane puis à l'aide de quelques aumônes ils élevèrent à côté une petite chapelle où ils placèrent les reliques qu'ils avaient apportées d'Italie. Mais impossible de rester seuls car à nouveau les miracles que Jacques provoquait se répètent. Il est doué du don de prophétie : il prédit l'irruption des Normands, la mort de Rodolphe archevêque de Bourges et la destruction de Saint-Sulpice laquelle fut en effet pillée et incendiée en 867. Robert et Agana visitaient souvent les pieux solitaires, leur faisaient porter chaque jour par un serviteur des mets de leur table. C'est là au milieu des privations et des austérités que après 2 ou 3 ans mourut le vénérable ermite… S'étant fait creuser une fosse dans sa chapelle, laquelle se mit spontanément à ses mesures, il s'y étendit et s'y éteignit doucement le 19 novembre 864. Les habitations se groupèrent bien vite auprès du tombeau du saint, dans le domaine de Saint-Sulpice et formèrent le hameau de La Chapelle d'Angillon. Un culte s'instaura. En particulier, ses reliques, en temps de calamités publiques, étaient transportées, surtout aux Xe et XIe siècles, dans diverses parties de la province de Berry. Le biographe termine son récit en disant que "les faits et gestes de Jacques s'étaient conservés dans la mémoire des vivants plus fidèlement que s'ils avaient été écrits, et que l'on peut encore interroger les habitants de La Chapelle-d'Angillon". Des lectures répétées de cette Vie bien tardive devaient, en une ou deux générations, faire oublier définitivement le saint antérieur, qu'il convenait dorénavant d'aller honorer à Compostelle. Cette Vie fut d'ailleurs reprise par plusieurs auteurs dont Charles Le Bouyer, abbé de Saint-Sulpice en 1669 puis " Cholet, avocat au Parlement de Paris " en 1689. Il est possible que de cette époque date la confrérie Saint-Jacques, mais les documents manquent. En 1718, une assiette-bougeoir est gravée : " saint Jacques hermite, patron de La Chapelle-d'Angillon "… L'opération réussit, imparfaitement et lentement certes mais accélérée en 1741 par un moine de l'abbaye Saint-Sulpice qui traduisit en français la Vie de saint Jacques en l'abrégeant. Ce nouveau texte fut mis à la disposition de chacun des confrères de la confrérie, cette fois attestée : les archives de l'église conservent ainsi un exemplaire recopié en 1745 par l'un de ces confrères, Jean-François Cherrier. Pour les fidèles, saint Jacques reste l'apôtre Pour les fidèles, indifférents aux discours des ecclésiastiques, saint Jacques reste ce qu'il a toujours été, leur apôtre, intercesseur toujours à leur disposition, tout proche de chez eux. Compostelle est bien loin. En 1604 lorsque réapparaît non plus le corps de saint Jacques mais un simple morceau de crâne, mis dans un reliquaire doré, celui qui existe encore aujourd'hui, l'authentique, rédigée par les paroissiens, dit tout uniment : L'oubli du Pèlerin. Le triomphe du Jardinier Il fallait donc faire plus pour se conformer aux préceptes de Rome. En 1886 un curé du village, l'abbé Frédéric Borgès, avec l'approbation de l'archevêque Jean-Joseph Marchal (et peut-être même à son instigation) refonda la confrérie " Saint-Jacques de Saxeau " et surtout, deux ans plus tard, édita la Vie de saint Jacques qui se trouva diffusée largement partout. Signait-il la mort définitive du saint Jacques venu du Moyen Age ? D'une certaine manière oui, tout au moins dans le public. Plus récemment un autre curé, l'abbé Didelot (†1993) a redonné vigueur au culte - sur les bases officielles du XVIIe siècle reprises au XIXe siècle- pour le plus grand bonheur de ses paroissiens qui se sont constitués non plus en confrérie mais en un groupement fort voisin, une Association Saint-Jacques. Redonner vie à l'apôtre sans effacer le jardinier L'abbé Didelot ignorait que, depuis une cinquantaine d'années déjà, les historiens de l'Eglise avaient commencé à mettre en doute l'authenticité de la biographie du saint Jacques dit " de Saxeau " : les Révérends Pères Bénédictins en 1954 observaient que la dernière phrase du biographe citée ci-dessus " renforce l'impression désastreuse qu'elle voudrait diminuer ". Ils notaient de surcroît que tous les noms donnés aux évêques de Clermont, Gênes, Corse étaient totalement fantaisistes et remarquaient que les noms des bienfaiteurs de Jacques avaient été empruntés à la Vie de saint Genou. Ceci prouve que, une fois installée, une légende a la vie dure… d'autant que, depuis Vatican II, l'Eglise s'intéresse moins au culte des saints. Que conclure ? L'historien, au vu des textes, ne peut que constater l'intense dévotion à saint Jacques développée dans ce Berry par ailleurs peu riche en grands pèlerinages (il faudrait à ce sujet étudier en parallèle le développement du pèlerinage à sainte Solange, proche voisine). Peu importe l'identité du saint. L'important est qu'il est l'un des rares lieux où il n'a pas disparu, balayé par les Réformes successives. Et cette survivance semble bien due à la vie nouvelle donnée au saint, sans laquelle il aurait, comme ailleurs, sombré dans l'oubli. Un souhait : que le pèlerinage d'aujourd'hui redonne vie à l'apôtre sans pour autant oublier le jardinier, Jacques redevenant pèlerin et exerçant, à l'image du Seigneur, la fonction de jardinier des âmes. La Chapelle d'Angillon redeviendrait alors ce qu'elle a été, une étape sur la route de Compostelle, un lieu où peuvent se retrouver les anciens pèlerins, les futurs pèlerins et ceux qui n'auront jamais envie de partir. Denise Péricard-Méa, 1999 SOURCES BIBLIOGRAPHIE |
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