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Dans un article précédent, nous avons présenté
le voyage qui a conduit Léon de Rozmital de Prague à Compostelle*.
* Voir Léon de Rozmital, pèlerin, touriste, ambassadeur
...
Lorsqu'il y parvient, au mois aoît 1466, la situation est loin d'être
calme. Le récit, écrit en tchèque, qu'en a laissé
Vaclav Sashek, un des membres de son escorte, a malheureusement été
perdu. Il n'en reste qu'une version en latin rédigée plus d'un
siècle plus tard, en janvier 1577, par Stanisla Pawlowski, chanoine de
l’Eglise Cathédrale d’Olomuch et Bratislava pour l'édification
d'un des descendants du baron.
Nous devons la traduction de ce récit à l'obligeance du chanoine
Jacques Robbe, ancien vicaire général du diocèse de Bourges.
Nous sommes arrivés à Saint-Jacques, importante ville entourée de hautes montagnes. Un unique rempart la protège. Une partie de la muraille est recouverte par une grande quantité de fleurs violet-rouge qui se voient de loin, l’autre partie par du lierre poussant à profusion. Un étroit fossé entoure la ville. Des tours carrées de construction ancienne, séparées par un court intervalle, couronnent le rempart. Nous sommes arrivés au divin Jacques la veille de l’Assomption de la bienheureuse Vierge[1]
A l’époque de notre passage, la ville et l’église étaient en état de siège. L’archevêque était retenu captif[2] ainsi que vingt-trois prêtres. Sa mère[3] et son frère, portes closes à l’intérieur de l’église, soutenaient le siège. Le seigneur[4] qui attaquait la ville, les assiégeants de l’église, tous les prêtres de Galice étaient sous le coup de l’interdit[5] prononcé par le Souverain Pontife, parce que l’archevêque et les chanoines étaient retenus prisonniers. En raison de l’interdit dans la province de Galice, aucune messe n’était célébrée, aucun enfant n’était baptisé, les dépouilles des défunts gisaient, sans sépulture. Toute la région, en effet, était au pouvoir du seigneur qui assiégeaitla ville. En raison des événements, impossible pour nous d’entrer dans l’église. Nous avons attendu trois jours avant d’obtenir l’autorisation du seigneur responsable du siège. Notre Baron s’était adressé directement à lui pour que les assiégeants nous permettent de visiter au moins le tombeau du divin Jacques. Il avait argué de ses nombreuses rencontres, au cours de son voyage, de rois et de princes chrétiens, et même païens, de sa piété qui l’avait poussé à visiter le lieu sacré où le divin Jacques avait été inhumé. Depuis longtemps, disait-il, lui-même et tous ses compagnons brûlaient du désir de contempler ce tombeau de leurs propres yeux. Le seigneur répondit au Baron : -« Ami, je sais que vous êtes un personnage éminent. Je connaissais votre renommée avant que vous n’arriviez ici. Vous me demandez de vous obtenir l’autorisation de pénétrer dans l’église. Sachez-le, vous entrerez. Mais qu’une nouvelle autorisation vous soit accordée une seconde fois, je n’en suis pas sûr. Car une mère, femme scélérate, et son fils qui lui ressemble, occupent l’église. Ils n’ont avec eux aucun homme courageux et noble. C’est pourquoi je ne vous conseille pas d’avoir des contacts avec ces gens » Mais la véritable raison qu’il avait de dissuader le Baron de pénétrer à l’intérieur est celle-ci : il devinait qu’il serait lui-même mis en accusation par la mère et le frère de l’archevêque, étant donné qu’il avait agi de façon scélérate contre les droits de l’archevêque, son seigneur auquel il devait allégeance, il l’avait emprisonné[6], avait occupé la ville et plusieurs autres places. Nous sommes entrés. Des soldats s’avancèrent à notre rencontre.
Ils nous reçurent avec amabilité. Puis la mère et son fils vinrent nous
souhaiter -« Ami, dit-elle, savez-vous que vous êtes excommuniés ? Car ceux qui fréquentent de tels hommes, qui mangent et boivent avec eux sont coupables du même délit que leurs alliés. Mais sans doute n’étiez-vous pas au courant ! » On nous conduisit vers une fontaine à l’entrée de l’église. D’habitude, l’eau amenée par des conduits coule dans cette fontaine. Alors, elle était tarie, car les ennemis en avaient coupé l’alimentation. On nous donna l’ordre de retirer nos chaussures et de nous agenouiller. Une procession s’avançait : le légat, les prêtres, les chœurs des chanteurs. Une croix recouverte d’un voile noir les précédait. Le clergé s’installa sur une tribune en pierre près du portail, à laquelle ils avaient accédé par des marches de pierre. Ils ont chanté et les chants durèrent longtemps. Puis ils nous ont absous et ont levé pour nous l’excommunication. Descendant de la tribune, le légat imposa un pan de son étole sur la tête du Baron, puis sur nous tous un à un. Il nous fit signe de nous lever et nous demanda d’entrer dans l’église pieds nus. Là, des prêtres avec grand respect présentèrent au Baron et à nous tous les reliques conservées dans l’église, mais d’abord le tombeau du divin Jacques sur l’autel lui-même. Puis la faucille[7] par laquelle saint Jacques fut décapité, retenue à l’autel par une chaînette métallique. Sur cet autel, des messes quotidiennes sont célébrées. Les prêtres sont des chanoines comme à Prague ceux de l’église Saint-Wenceslas. On nous a montré ensuite le bâton[8] avec lequel saint Jacques a parcouru le
monde. Il est attaché à l’autel par une gaine de plomb. Les pèlerins, en effet,
le grattaient en cachette. Il aurait entièrement disparu, si le Souverain
Pontife ne l’avait fait protéger par cette enveloppe métallique. Du bâton
lui-même on ne voit rien, sauf à son extrémité le clou qu’on peut toucher avec Cette église est grande mais obscure[13]. L’intérieur est plein de mystère. Six tours, quatre rondes et deux carrées, l’encadrent à l’extérieur. L’une a été édifiée à un angle, non loin de la porte d’entrée, à côté de la tribune de pierre. Hors la ville, sur une colline, nous avons aperçu l’église dédiée à saint Dominique[14]. Une autre église jouxte le rempart. C’est là que sont inhumés les pèlerins auxquels il arrive de finir leur vie dans la ville, ainsi que ceux qui meurent à l’hôpital. [1] Le 14 août 1466. [2] L’archevêque est Alonso Fonseca. Captif oui, mais pas dans la cathédrale : depuis 1464, il est prisonnier dans la forteresse de Vimianzo [3] Dona Catalina. Elle a fait prisonniers les chanoines qui refusaient de payer la rançon demandée pour libérer l’archevêque. Elle inventorie le Trésor et le trouve pratiquement vide. [4] Bernald Ynaez de Moscoso, opposant de l’évêque. Blessé par une flèche le 25 juillet, il meurt le 29 août. Son frère reprit le commandement jusqu’à la victoire. [5] Sentence ecclésiastique interdisant la célébration des offices liturgiques, soit à un ministre du culte (interdit personnel), soit dans un lieu déterminé (interdit local), ici dans toute la Galice [6] A la forteresse de Vimianzo, où il est toujours [7] Réellement une faucille, que l’on voit représentée sur certaines images [8] Dans une colonne de cuivre décorée en spirale, la tradition veut que l’on garde le bourdon de saint Jacques. Ce bourdon est aujourd’hui accroché sur le pilier situé en face de la chaire de l’Epître. [9] Vers 1110, cette tête a été rapportée de Jérusalem où elle passait pour être celle du Majeur. Elle fut déposée à Braga mais, peu de temps après, elle fut donnée à la cathédrale de Compostelle. Reléguée « dans un coin obscur », elle en fut tirée en 1322 mais baptisée tête de saint Jacques le Mineur. Elle figure toujours au Trésor de la cathédrale. [10] Les années jubilaires sont celles où le 25 juillet, fête de saint Jacques, est un dimanche, en mémoire de ce que la découverte du tombeau de saint Jacques fut faite un dimanche. Elles se présentent avec une périodicité de 11, 6, 5, 6 ans. Une fausse bulle papale de 1179 et la Chronique d’Alphonse VII voudraient faire remonter la première à 1122. En réalité, elle ne peut pas être antérieure au premier jubilé de Rome, en 1300, cité dans cette bulle. Il est possible que la première année jubilaire ait été instaurée en 1322 par Béranger de Landore, le seul archevêque français ayant siégé à Compostelle [11] C’est la seule fois où on fait intervenir saint Jacques vivant dans une bataille. [12] Référence à la bataille légendaire de Clavijo, en 844 [13] C’est une cathédrale romane, commencée en 1078, terminée pour le gros œuvre vers 1125, agrandie par le porche de la Gloire par Me Mattieu de 1168 à 1188 [14] Eglise Santo-Domingo, XVe siècle |