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Godescalc, l’évêque du Puy ressuscité par Mgr. Martin ?

Denise Péricard-Méa, fév. 2003

Actuellement, pas une notice historique sur Compostelle, si modeste soit-elle, n’omet de rappeler que le premier pèlerin français «historique» qui soit allé à Compostelle fut, en 951, Godescalc, évêque du Puy. Derrière lui, on pense que des pèlerins sont partis, si nombreux que leurs pas ont fini par tracer un chemin, le fameux GR 65. D’où l’obligation que se font tant et tant de pèlerins d’aujourd’hui de ne pas s’écarter de ce fameux GR soi-disant historique et millénaire…La réalité est tout autre.

 

Il est bien exact que Mgr. Godescalc est allé à Compostelle dans l’hiver 951, en une époque suffisamment pauvre en documents (et riche en déplacements) pour s’émerveiller qu’un événement si anecdotique soit parvenu jusqu’à nous. L’information nous est connue grâce à un moine de l’abbaye d’Abelda, près de Logroño, qui l’a glissée dans un manuscrit qu’il a copié à la demande de l’évêque.


Parme, bib. Palatine,
MS lat. 1650,
fol. 102V, vers 1100

L'illustration ci-contre montre le moine Gomez remettant son manuscrit à Godescalc.

Voici en quels termes il rapporte son intervention [1]  :

 

«Moi, Gomez, quoique indigne, prêtre régulier au monastère d'Abelda…encouragé par l'évêque Godescalc qui, pour faire oraison, quitta la région d'Aquitaine, en grande dévotion et accompagné d'une suite nombreuse, se rendit en hâte jusqu'aux confins de la Galice pour implorer humblement la miséricorde de Dieu et le suffrage de l'apôtre Jacques, j'ai copié de bon cœur le petit livre écrit autrefois par saint Ildefonse évêque de Tolède, à la louange de la virginité de sainte Marie toujours vierge et mère de Jésus Christ Notre Seigneur…
Le très saint Godescalc, évêque, a emporté ce petit livre d'Espagne en Aquitaine durant la saison d'hiver, précisément au mois de janvier, alors que s'écoulait heureusement l'ère 989 (année 951). En ces mêmes jours mourut le roi de Galice, Ramire»

 

Une prière transcrite à la fin du manuscrit explique les raisons de la dévotion de Godescalc : Il est né le jour du martyre de saint Jacques, et il a reçu l’onction épiscopale à cette même date : [2]  

 «Accorde-nous ta miséricorde… que nous possédions la vie éternelle avec les anges comme ton apôtre Jacques : en ce jour où il fut couronné par les anges et gravit les cieux, en ce même jour l’évêque Godescalc quitta le sein de sa mère pour apparaître sur terre, c’est aussi en ce même jour anniversaire de sa naissance qu’il reçut son épiscopat…»

Dans l’état actuel des recherches, il est vraisemblabe que la date admise pour la fête de ce matyre est déjà le 25 juillet.

Quoiqu’il en soit, il est permis de s’interroger sur ce besoin pressant qu’à eu Godescalc de partir en plein hiver. Le moine Gomez donne une indication précieuse : le roi de Galice vient de mourir. Godescalc n’est-il pas parti pour participer à la mise en place du nouveau roi ? On sait que les relations entre cette grande Aquitaine (qui incluait le Puy, rappelons-le) et la péninsule ibérique étaient régulières dès le Xe siècle.
Par où est passé Godescalc ? Le texte est muet. Peut-être par cette vieille voie romaine qui reliait Trèves à l’Espagne en passant par les monts d'Aubrac (où la fameuse dômerie n'existait pas encore), mais, peut-être aussi, plus en sécurité, par la vallée du Rhône, bien plus praticable en cette saison. En tout état de cause il ne se déplaçait pas à pied.
Se pose aujourd’hui la question de savoir ce qu’il est advenu de ce «petit livre» rapporté par Godescalc. Il s’agissait, comme le dit le moine Gomez, d’une œuvre écrite par saint Ildefonse au VIIe siècle, traitant du mystère de la conception de Jésus-Christ et de la virginité de sa mère. Godescalc le voulait pour la bibliothèque de sa cathédrale afin que lui-même ou ses chanoines le consultent pour instruire les fidèles. Mais aucun fidèle ne l’a jamais eu en main ! Il a néanmoins été connu d’autres ecclésiastiques qui l’ont recopié au moins deux fois, et ces copies ont ensuite circulé au hasard de prêts, dons ou ventes : on en retrouve un en Italie, enluminé au XIIe siècle, peut-être à Cluny d’une miniature montrant Godescalc recevant le texte des mains du moine Gomez. L’autre entra à la cathédrale de Tolède en 1388. Dans ces deux manuscrits, le prologue de Gomez a été transcrit, mais de façon tout aussi anecdotique que dans le manuscrit original.*

Le manuscrit rapporté par Godescalc est resté au Puy jusqu’en 1681, date à laquelle Colbert l’acheta pour la Bibliothèque Royale (future Bibliothèque nationale de France), ce qui lui a permis d’échapper aux fureurs révolutionnaires. En 1866, un conservateur de la BNF, Léopold Delisle, ouvre ce manuscrit afin de l’authentifier et lit le prologue, cette fois en s’intéressant à cette information du pèlerinage de Godescalc. Il publie sa découverte dans les Annales de la Société académique du Puy [3] , bulletin de la société savante locale.

L’article n’a ému que quelques érudits locaux… jusqu’à ce que Mgr. Martin soit nommé évêque du Puy, en 1940. Cette accession au titre d’évêque est traditionnellement assortie du choix d’armoiries épiscopales. Mgr. Martin tint à y faire figurer une coquille, «en souvenir du pèlerinage à pied à Compostelle qu’il avait accompli quand il était directeur des étudiants catholiques à Bordeaux», probablement en 1938. Quelque savant chanoine s’est-il alors souvenu de l’article de Léopold Delisle ? Toujours est-il que le 4e quartier porte des étoiles pour rappeler «la Voie Lactée ou chemin de Saint-Jacques qui unissait le Puy à Compostelle et traçait la route aux pèlerins» [4] . Et que Mgr. Martin retourne à Compostelle en 1942 et vraisemblablement en 1951, lors de la commémoration à Compostelle du millénaire de ce pèlerinage devenu fameux… Godescalc était ressuscité. Une recherche plus approfondie est nécessaire pour montrer l’implication des autorités civiles et des responsables locaux qui pressentent peut-être l’intérêt de ces relations. Mais qui aurait pu imaginer à l’époque le devenir de ce «chemin de Saint-Jacques» qui ne fut tracé qu'au début des années 1970 mais pouvait afficher son ambition de supplanter les trois autres chemins du Guide du pèlerin en faisant de l'évêque Godescalc son pèlerin-fétiche ?

* 9/08/05
Un de nos visiteurs, Jacques Fournié, de Moselle, nous signale avoir trouvé une référence indiquant que Baronius avait eu connaissance de ce voyage de Godescalc à Compostelle. Il nous a envoyé l'extrait suivant de l'Histoire de l'Eglise angélique de Notre-dame du Puy, écrit par Bochart de Larron de Champigny, dit Frère Théodore (1693) : Dans le Chapitre XI relatif à :

D'Alard (...) de Gotefcalque Evêques du Puy (...) de la Fondation de Saint Michel d'Aiguille, il est écrit: "Le Succeffeur de Norbert fut Alard que les Saintes Marthe ont vû nommé dans une Chartre de l'année 919. & la 923. (etc...) le tabulaire du prieuré de Chanteuge * en Auvergne, fait foi qu'il fiégeoit dés l'an 936 .& cependant il ne fe découvre rien de lui jufqu'en 950 qu'avec une honorable fuite il fit le pélerinage de Saint Jacques ainfi que l'a tiré Baronius de la préface d'un Prêtre Navarrois au traité de saint Ildephonfe à la loüange de la pureté de Marie. Celui là dit que Gotefcalque allant en Galice l'avoit obligé de la tranfcrire, & l'avoir emporté (etc ...)"

Le même ouvrage apporte une précision sur les reliques possédées par la cathédrale du Puy. Il y est aussi question d'un reliquaire d'argent donné en 1267 par Clément IV, évêque du Puy, qui

"enferme fous des pièces de criftal les Reliques suivantes (...) du Lait de la Sacrée Vierge, de fes cheveux, de fes habits, Du Chef de Saint Jacques le majeur Apôtre", (etc...)



[1] Paris, bibl. nat., ms. lat. 2855, Xe siècle, fol. 69v°

[2] Bourbon, L. «L’évêque Godescalc et la tradition compostellane», Principe de Viana, n° 98-99, Pamplona, 1965, p. 69-74

[3] Delisle, Léopold, «Recherches sur l’ancienne bibliothèque de la cathédrale du Puy», Annales de la société d’agriculture, sciences, arts et commerce du Puy, t. XXVIII, 1866-67, p. 439-459,
Delisle, Léopold, Le cabinet des manuscrits de la bibliothèque impériale, Paris, 1868, 3 vol. t. I, p. 511-517 (p. 516 transcription)

[4] Semaine religieuse du diocèse du Puy, 1940, p 224

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