Connaître saint Jacques - Comprendre Compostelle
page établie en janvier 2007
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 L'art roman revisité
ou quand un historien de l'art ignore les travaux des historiens...

Dans un ouvrage paru récemment, Xavier Barral I Altet* apporte une nouvelle vision de l'art roman. Cet essai brillant et bien documenté jette un jour nouveau sur un art qui semblait bien connu dont il montre que la connaissance repose sur beaucoup d'idées reçues. Abordant ce sujet il ne peut manquer de consacrer une trentaine de pages aux pèlerinages. Nous y avons été particulièrement attentifs car l'auteur a aussi écrit un livre très connu sur Compostelle**. Allait-il revenir sur les "idées reçues" qu'il avait contribué à propager ? Et bien non. Son souci de donner une nouvelle vision de l'art ne l'a pas conduit à penser qu'il pouvait en être de même pour l'histoire et à remettre en cause ses propres écrits. Sonn livre paru en 1993 sur le grand chemin est antérieur aux travaux d'Alison Stones*** sur le Guide du Pèlerin, à ceux de Denise Péricard-Méa sur les cultes à saint Jacques et de Bernard Gicquel sur le Codex Calixtinus. Il est regrettable qu'il n'en ait pas pris connaissance avant d'écrire ces quelques pages de ce nouvel ouvrage qui va donc contribuer, accessoirement, à entretenir des idées reçues.
Cela n'enlève rien à l'intérêt de ce qu'il écrit sur l'art roman.
Ce n'est qu'une invitation aux historiens d'art à ne pas négliger les travaux des historiens.
*BARRAL Y ALTET, Xavier, Contre l’art roman ? Essai sur un passé réinventé, Fayard, Paris, 2006.
** Compostelle le grand chemin, Découvertes Gallimard,1993
*** Stones Alison et Krochalis Jeanne, « Qui a lu le Guide du pèlerin ? », Pèlerinages et croisades, Actes du 118e colloque de Pau, 1993, Paris, C.T.H.S., 1995, p.11-36.

L’auteur a voulu dans ce livre « remettre en cause des idées reçues ancrées dans nos esprits depuis un siècle et demi » (p. 14) pour dégager les aspects de ce que fut réellement l’art roman aux XIe et XIIe siècles. Il s’appuie, pour sa brillante démonstration, sur une quantité de textes récents de multiples auteurs (Français, Anglais, Allemands, Espagnols, Italiens). Xavier Barral nous éblouit par sa connaissance détaillée d’une multitude d’édifices romans. Malheureusement seules vingt-deux photos viennent illustrer ses longues descriptions assez rébarbatives. Nous regrettons le temps où Emile Mâle, même s’il s’est trompé parfois, nous faisait partager son savoir de manière beaucoup plus vivante en multipliant les illustrations noir et blanc.

Idées nouvelles

Les idées nouvelles apportées par cet ouvrage sont les suivantes :
- Les églises romanes n’avaient pas l’aspect austère et nu qu’elles ont aujourd’hui : elles étaient somptueuses, les murs extérieurs et intérieurs étaient peints de riches couleurs, garnis parfois de tapisseries ou de broderies ; le sol était couvert de mosaïques ; un mobilier liturgique important les garnissait : ambon pour le lecteur, trône pour l’évêque ou l’abbé, chandeliers, baldaquin, devant d’autel, retable, orfèvrerie. Bien qu’il reste aujourd’hui une majorité d’églises romanes dépendant de monastère, les évêques avaient leurs cathédrales romanes, mais celles-ci ont été remplacées par des cathédrales gothiques : au XIIIe siècle, l’essor du commerce urbain a permis cette transformation. Xavier Barral aimerait que l’on s’intéresse davantage aux bâtiments civils urbains romans, dont il reste de nombreuses traces, malgré les destructions, les transformations ou les restaurations plus ou moins réussies.
- La difficulté de dater les monuments romans les uns par rapport aux autres, à cause de manque de documents et les critères subjectifs et peu sûrs d’historiens de l’art qui ont défini certaines dates.
- Les artistes n’étaient pas anonymes ; bien que seules quelques signatures gravées soient restées, il est évident pour l’auteur que la plupart étaient peintes, sur les sculptures comme sur les peintures murales, et ont, de ce fait, disparu. Il demande de prendre en considération l’importance sociale de l’artiste roman.
- Le monde roman était très tourné vers l’Antiquité tardive et a beaucoup réemployé ou copié les sculptures de cette époque. Des empereurs, de riches personnages, des évêques et des abbés, futurs commanditaires voyaient, au cours de leurs pèlerinages à Rome, les ruines antiques et demandaient aux artistes de s’en inspirer : les premiers chapiteaux, les voûtes dites romanes, les coupoles sont d’inspiration antique. Les principales créations vraiment romanes sont les grands tympans décorés et le début de la standardisation du travail pour la taille de la pierre, qui était jusque là considérée comme un apport gothique.
- Les influences islamiques et byzantines sur l’art roman ne seraient pas aussi importantes que le prétendaient les érudits du XIXe siècle, et par contre des formes artistiques occidentales se sont exportées vers l’Orient avec les croisades et la création de royaumes au Moyen-Orient.
- L’époque romane était une époque très misogyne, et l’auteur cite un texte de la première moitié du Xe siècle, écrit « par Odilon, abbé de Cluny, vénérable père de l’Eglise de l’époque : « La beauté de leur corps [féminin] réside tout entière dans leur peau. Si nous pouvions voir ce qui se trouve dessous, la seule vue des femmes nous serait nauséabonde. Pensez à ce qui se teint dans leurs narine, sous leur gorge, à l’intérieur de leur ventre, partout n’est que pourriture, et nous qui répugnons à toucher du bout des doigts le plus petit morceau de boue, comment pouvons-nous désirer tenir dans nos bras ces sacs remplis d’excréments (p 276, sans références plus précises) ? ».

L’histoire des pèlerinages

Pour l’histoire des pèlerinages, bien qu’historien de l’art, il s’intéresse aux textes historiques récents, mais a bien du mal à abandonner « les idées reçues ancrées dans nos esprits depuis un siècle et demi » (p. 14).
Dès l’introduction, il nous dit qu’il est persuadé que Rome et Jérusalem sont les véritables pèlerinages majeurs du Moyen Âge, et non Saint-Jacques de Compostelle, malgré le fameux Guide du pèlerin. Il ne connaît malheureusement pas le travail d’Alison Stones* , qui en 1993 avait démontré que ce fameux guide était resté ignoré tout au long du Moyen Âge, que sa première édition date de 1882 et que sa traduction en français a été faite par Jeanne Vielliard en 1938 seulement. Il va donc, tout au long du livre, presque malgré lui, imposer l’idée de « chemins de Saint-Jacques de Compostelle » décrits par le Guide du pèlerin.
Dans le chapitre intitulé : Tous les chemins ne mènent pas à Compostelle : le rêve de Rome et de Jérusalem (p.115-133) il écrit : « Au Moyen Âge, des milliers d’hommes et de femmes quittèrent une ou plusieurs fois leur foyer pour effectuer au moins un pèlerinage ; ils partirent ainsi à travers le monde pour se rendre sur des lieux saints…(p. 115) ». Après cette première « idée reçue », il évoque « les pèlerinages locaux », mais ne cite alors que de grands pèlerinages : Saint-Michel au mont Gargan, Saint-Hilaire à Poitiers, Saint-Martial à Limoges… Il ne semble pas connaître les petits pèlerinages vraiment locaux des églises Saint-Jacques, Saint-Martin ou autres, les seuls auxquels les petites gens avaient les moyens et le temps de se rendre, sans doute en grand nombre, au moment de la fête du saint. En parlant du pèlerinage à Jérusalem, il écrit : « …celui-ci est particulièrement long, coûteux et périlleux, si bien que ceux qui tentent l’aventure ne sont en fin de compte qu’une minorité (p.116)». Il devrait en conclure que, les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, étant moins nombreux que ceux de Jérusalem, sont une encore plus petite minorité, mais, à la page 119, il écrit : « Le pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle était toutefois très fréquenté et populaire », l’idée reçue est la plus forte, vaincue quelques lignes plus loin, quand il compare Rome et Saint-Jacques de Compostelle : « Pourtant, vu l’importance hors du commun de Rome, il semble que la comparaison entre les deux centres de pèlerinage ne puisse exister que dans notre imagination : elle n’avait probablement pas lieu au Moyen Âge. ». Et l’idée reçue revient en force page 120 : « Même si l’ampleur du pèlerinage vers Compostelle a été très exagérée par l’historiographie médiévale, celui-ci a réellement existé et a eu une certaine importance dans le sens où il a permis le fonctionnement de différents systèmes économiques, sociaux et religieux de cette période. » (p. 121). Il avait pourtant expliqué plus haut l’importance de l’essor économique du pays dû au commerce très actif (p.134) : l’amélioration des routes, la construction de ponts (il donne un texte, page 333, relatant la construction du pont d’Albi, utile aux habitants, les pèlerins n’étant pas mentionnés), la multiplication d’auberges, pourraient en être des conséquences directes et même des nécessités ; la création d’hôpitaux « pour les pauvres et les pèlerins » comme le disent les textes, découle aussi de cette nouvelle richesse. Oubliant tous les échanges commerciaux nécessaires au commerce, l’auteur prétend même que : « Premier mode de voyage de l’époque, le pèlerinage développe tout un réseau d’itinéraires établis pour faciliter le trajet (p. 127) ».
Ceci démontre qu’il est difficile, même pour quelqu’un qui s’intéresse aux idées nouvelles et veut faire œuvre d’historien, de faire abstraction de ce que veut une tradition non remise en cause : tous les chemins mènent à Compostelle, et non à Rome comme le prétend pourtant le vieux dicton.

* Cet article résume l'enquête plus détaillée de la tradition manuscrite du Guide du pèlerin par Alison Stones et Jeanne Krochalis dans le premier tome de The Pilgrim's Guide to Santiago de Compostela, édité par Paula Gerson, Jeanne Krochalis, Annie Shaver-Crandell, Alison Stones, 3 tomes, Londres, 1995.

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