Connaître saint Jacques - Comprendre Compostelle
page établie en mai 2006
Accueil mise à jour le 12 septembre, 2006   Connaître et vivre Compostelle survol du site Page précédente

 La vallée d'Aure et Compostelle

L'article sur le syndrome de Compostelle en vallée d'Aure a suscité la réaction d'un ami pèlerin originaire de cette vallée. Il nous livre son témoignage qui permet de mieux comprendre les habitants de cette vallée et donne des aperçus sur l'histoire de leurs relations avec l'Espagne.

Souvenirs d'enfance

Notre vallée d’Aure est aussi sauvage que mystérieuse. La difficulté de passer “de l’autre côté” n’a fait au cours du temps qu’en tisonner le désir. Je me souviens de ces longues périodes où les vents dominants d’ouest remplissaient les montagnes de pluies, de brumes et de tristesse. Puis tout d’un coup, passait à travers la montagne un vent chaud, sec, lumineux, qui, avec un peu d’imagination, sentait le jasmin et la pierre à feu. Alors, tout le monde avait le regard tourné vers le sud, ce pays où semble-t-il, il faisait toujours beau, et où, comme dans la chanson, la misère devait être moins pénible à supporter.
J'ai passé mon enfance dans cette vallée. Je me souviens, certaines nuits d’été, dans les années 45-50, alors que la frontière était close, avoir attendu dans mon village jusqu’à une heure avancée le passage d’une colonne de mules aragonaises non ferrées qui avaient franchi Moudang et dont un étrange instinct nous avait annoncé l’approche. Ces mules étaient chargées de lourds ballots d’objets de contrebande, en route pour Toulouse par des chemins obscurs. Les accompagnaient des hommes sombres, à la démarche élastique et silencieuse dans leurs espadrilles catalanes qui me faisaient tellement envie. Ces hommes avaient une forte odeur et un air extrêmement farouche, étranger.
Et puis, il y avait tous ces récits de drames à la mesure de la dureté de la frontière, des juifs assassinés dont on retrouvait les squelettes, des “négociants” divers qui tentaient l’aventure en des lieux trop difficiles pour occuper à temps pleins des escouades de gabelous, et qui de temps à autres se faisaient saigner la nuit venue comme le faisait un couple d’aubergistes de l’Hospice de Rioumajou -sauf erreur dans les années trente.
Bref, il y avait alors toute une ambiance de mystère et de terreur sur laquelle a prospéré le mythe de l’Espagne mystérieuse, puis de Compostelle, en le banalisant à l’extrême.
Pour autant, la haute vallée d’Aure fut aussi un vrai passage pour les vrais pèlerins de Saint Jacques, et sans doute Monsieur Saint Jacques les assistât-ils sur les ponts qui tremblent et autres coupe-gorge puisque beaucoup en revinrent. J’ai souvent vu dans des cimetières de villages pratiquement désertés des tombes* sur lesquelles le temps avait effacé les noms, mais pas les coquilles de Saint Jacques qui en constituaient le plus bel ornement.

Le chemin d'Ourdissétou

Mais revenons au chemin dont parle votre article. Tout d’abord, je vous félicite pour votre expédition réussie au port d’Ourdissétou ! Nul doute que vous vous en souviendrez longtemps.
Un peu plus à l’ouest, et bien qu’un peu plus élevé, le port de Moudang est moins acrobatique, et la vallée qui y conduit toute aussi belle.
Que dire sur cette appropriation du Chemin de Compostelle par les Syndicats d’Initiative ? Bien sûr, il n’y a guère de leur part les assises historiques et culturelles qui pourraient constituer un commencement de preuve, et cela relève plus de l’escroquerie et de la publicité mensongère que de la réalité historique. Pour autant, il est bien difficile d’apporter la preuve du contraire, surtout dans ces pays reculés où la tradition orale fut longtemps prédominante, comme nous avons eu déjà l’occasion d’en parler.
Du côté “points faibles” de cette argumentaire, on peut aussi fort bien suspecter que tant les Associations qui se réclament du Chemin que les Syndicats d’Initiative ne soient pas toujours insensibles au doux tintement des pistoles distribuées par les Conseils Généraux, les Régions, voire l’Europe.
Dans ces pays pauvres, on fait feu de tout bois pour attirer le touriste. Quoi de plus alléchant qu’un mythe, et un mythe de la taille de celui de Compostelle, de surcroît, dans un monde déchristianisé à la recherche de symboles et de pratiques compensatoires susceptibles de raviver l’espérance des mortels ?
De plus, Compostelle est tellement loin. Il est constant que plus un mythe a une terre promise lointaine, plus il trouvera d’adeptes pour contribuer à son expansion, voire à ses débordements.
De tous ces excès commerciaux -n’ayons pas peur des mots-, que peut-on attendre ? A mon sens, à la longue, une usure, un affadissement, voire une déclassification du mythe en une simple histoire à usage des simplets. C’est là que des Associations du style de celle que vous animez et alimentez en lui constituant un patrimoine structuré, avéré, savant et attirant à la fois, et surtout sans détruire la moindre parcelle de poésie qu’il contient, peuvent sauver le Chemin du naufrage.
Saint Jacques et l’âme cachée du Chemin feront le reste.

La Vallée d'Aure et les "Miquelets".

Hormis actuellement un tunnel, la vallée d'Aure n'est ouverte sur l'Espagne que par des sentiers abrupts franchissant des cols à plus de 2600 mètres d'altitude, libres de neiges seulement quelques semaines par an en fin d'été. Cette vallée est extrêmement farouche et impressionnante dans ses extrémités, et constitue en elle même un terrain fort propice aux terreurs et aux légendes.

C'est par ses cols qu'autrefois surgissaient des pillards aragonais appelés "Miquelets" qui faisaient de temps à autre des razzias de bétail et de femmes, clouant à l'occasion sur la porte de son église un malheureux curé qui avait osé résister. C'est dans cette vallée que furent selon la légende piégés par l'hiver des troupes arabes en reflux après Poitiers, où elles finirent exterminées et dont les fantômes hantent encore ses gorges profondes (des cavaliers sans tête...). Leurs forfaits accomplis, les Miquelets repassaient les ports, laissant derrière eux beaucoup plus de haine que d’hymens.
Cependant, j’ai souvent rencontré en Aure comme en Louron des habitants aux yeux étrangement bleus, ce qui est beaucoup plus fréquent par contre en Catalogne. A moins que ce ne soit une trace du passage des Wisigoths qui refluèrent vers l’Espagne après Vouillé ? On a trouvé dans des tombes antiques des squelettes d’hommes dépassant deux mètres.

J’ arrête là notre vagabondage de ce jour, dont je vous sais infiniment gré.

Avec mon meilleur souvenir.
Etienne EIMER.

* NDLR :
La présence de coquilles dans une tombe n'atteste pas toujours que le défunt ait été pèlerin de Compostelle. Des coquilles ont été trouvées dans des tombes mérovingiennes. Voir article sur la coquille.

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