Accueil mise à jour le 10 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente
Voir aussi : Cinq versions de la Grande Chanson des pèlerins de Saint-Jacques

 

Sur la route Cantabrique, avec les pèlerins de la Grande Chanson

Cette Grande Chanson, diffusée par l’imprimerie à partir du XVIIIe siècle reprend des mélodies anciennes qui versifiaient les itinéraires pour faciliter leur fixation dans la mémoire de ceux qui ne savaient pas lire. Éditée sous forme de livrets peu coûteux, elle fut connue des pèlerins qui, après les guerres de Religion, se firent si nombreux sur les routes de Compostelle. En même temps, les pèlerins s’en servaient pour gagner leur vie en la chantant dans les villes, sur une musique ressemblant à des psalmodies aux accents médiévaux.

Les itinéraires, rédigés à partir d’Aurillac, Paris, Troyes ou Toulouse sont pratiquement identiques et montrent que les pèlerins passaient tous au plus droit, et dans les régions les moins difficiles à franchir : Poitiers, Saintonge, Aquitaine… et Bayonne, là où les Pyrénées se font plus douces au pied. En Espagne, leur itinéraire, un peu sinueux, emprunte à la fois aux vieux chemins de la côte Cantabrique et au Camino frances.

Cette Grande Chanson est en même temps une chanson descriptive ; aux choix des itinéraires se mêlent des invocations pieuses, des avertissements, des conseils : " Vous aurez loisir, cheminant en Espagne, de vous contenter de peu. Maintes montagnes il vous faudra monter. En ces tristes demeures, vous n'aurez pas souvent pain et vin à vos heures quand n'aurez pas d’argent. "

Dater les textes est pratiquement impossible car la trame est la même pour tous. La plus ancienne, et la plus courte, est certainement celle des pèlerins d’Aurillac. Elle semble dater du XIVe siècle. Les autres sont toutes plus tardives. Deux autres versions parlent de la Saintonge saccagée par les Huguenots : la Rochelle connut deux sièges sanglants, en 1572 et en 1627-1628. Impossible de dire après lequel sont passés les pèlerins… Un autre évoque la " patente de confession " : sous forme de substantif, le mot " patente " apparaît au XVIe siècle. On peut simplement dire que ces différentes versions ont été chantées entre les XIVe et XVIIIe siècles, voire même au XIXe.

À Sainte-Marie d’Irun, le passage de la frontière

Pour un pèlerin venu des Flandres ou d’Allemagne, la route la plus facile qui s’ouvre à lui le mène du seuil du Poitou vers l’Aquitaine, par la Saintonge. Pas de montagnes, pas de risques de neige, de loups, des régions peuplées à l’exception des Landes qui, avec la traversée de la Gironde, constituent les soucis majeurs de cette partie française du chemin. Le choix des itinéraires varie : Blaye, Bordeaux, les Landes, ou Bordeaux, Langon, Bazas, Mont-de-Marsan. Tous convergent vers Bayonne, la grande ville où les pèlerins procèdent aux opérations de change, avec une sorte de regret et une secrète angoisse de se voir spoliés. Tous en parlent : " Quand nous fûmes dedans Bayonne, changer fallut nos gros blancs, nos quarts d’écus qu’on nomme francs " ounos c ouronnes et fleurs-de-lys " ou " nos couronnes, nos écus et puis nos blancs " ou " nos beaux louis ". Ils réalisent brusquement que, tout en étant encore au royaume de France, ils ne comprennent pas le basque… " C'est pour passer la Biscaye où l'on n'entend pas les gens… C’est un pays rude à passer, d’un différent langage où il y a d’étrange monde ". L’étrange monde est l’étranger ! Point de vue bien chauvin qui considère comme vaguement menaçant celui qui s’exprime d’une façon différente de la sienne ! D’où leur stupéfaction de rencontrer, à Saint-Jean-de-Luz, des gens accueillants et charitables donnent à profusion en leur demandant seulement de se souvenir d’eux.

C’est ensuite le passage de la Bidassoa, Hendaye, sur la rive française eut, au XIIe siècle, un prieuré Saint-Jacques dont l’emplacement reste marqué d’une croix. Passée la rivière, ils entrent enfin en Espagne, à Irun, qu’ils nomment tous " Sainte-Marie ", en référence à la Vierge du XIe siècle qui y est vénérée dans l’église Santa-Maria del Juncal. L’angoisse des pèlerins est à son comble : " nous fûmes bien étonnés quand nous fûmes à Sainte-Marie. Tous mes compagnons et moi dîmes adieu à la France jolie. Et en pleurant nous mîmes à dire : adieu les nobles fleurs de lys. En Espagne nous faut suivre. C’est un étrange pays ". L’aventure commence réellement. " Nous avons marché longtemps, dans les montagnes de Biscaye, cheminant toujours rudement par le pays, en droite voie jusqu’au Mont Saint-Adrien ".

Au mont Saint-Adrien

Cette Biscaye de la Grande Chanson n’est plus celle d’aujourd’hui. Une partie est devenue la province de Guipuzcoa, capitale Donostia-Saint-Sébastien dont la Grande Chanson ne parle pas. Le paysage est fait de montagnes entrecoupées d’étroites vallées vertes. Le chemin de Saint-Jacques s’y enfonce, passant par Ernani, Tolosa, Ordizia, Beasain, Segura, Zegama. Puis il pénètre au cœur d’une montagne qui ferme l’horizon et interdit le passage. Il ne s’ouvre qu’à la toute dernière extrémité, quand le marcheur croit devoir faire demi-tour. Dans cette gigantesque " bouche de l’Enfer ", les hommes ont aménagé en vis-à-vis une chapelle et une auberge-hôpital. On en parle depuis le XIIIe siècle, comme d’un bienfait dans ce lieu désert où de grands dangers menace nt les voyageurs. Inutile de dire que chaque récit l’évoque, dont la Grande Chanson : " Quand nous fumes à la montée Saint-Adrien appelée, il y a un hôpital fort plaisant où les pèlerins qui passent ont pain et vin pour leur argent ". Mais cette bonne auberge n’est ouverte que l’été : " On n'atteint pas le sommet de la montagne puisqu'il y a en elle un grand orifice qui la transperce de part en part, de la longueur d'une portée d'arbalète. À l'intérieur s'écoule une source dont l'eau filtrée par les rochers d'en haut est recueillie dans une auge taillée à même le roc et, en été, on a l'habitude d'y poster un aubergiste ". Malgré la neige, cette route reste empruntée l’hiver, ouverte en permanence devant les voyageurs par les paysans des villages voisin , qui payent ainsi par du travail une partie de leurs impôts. Antoine de Lalaing, membre de la suite de Philippe le Beau, passe en janvier 1502. Il est bien sûr frappé par cette " montagne Saint-Adrien, mauvaise et dangereuse à passer, toujours chargée de neiges, sous laquelle il y a une porte où il faut nécessairement passer pour aller à Saint-Jacques, en l’honneur duquel il y a une chapelle sous cette porte ". Il se trompe, la chapelle est sous le vocable de saint Adrien, mais qu’importe… Au siècle suivant, une noble dame française prend cette route à son tour, en plein hiver, dans un carrosse. Elle aussi est impressionnée : " on trouve un rocher fort élevé qui semble avoir été mis au milieu du chemin pour enfermer le passage et séparer ainsi la Biscaye de la Vieille Castille. Un long et pénible travail a perc& eacute; cette masse de pierre en façon de voûte : on marche quarante ou cinquante pas par-dessous sans recevoir de jour que par les ouvertures qui sont à chaque entrée ; elles sont fermées par de grandes portes. On trouve sous cette voûte une hôtellerie que l'on abandonne l'hiver à cause des neiges. On y voit aussi une petite chapelle de Saint-Adrien et plusieurs cavernes où d'ordinaire des voleurs se retirent… "

La montagne parfumée

Puis, au-delà de Saint-Adrien, les voici à Zalduondo où il ne faut pas manquer d’admirer une superbe statue de saint Jacques dans l’église, puis à Salvatierra que les pèlerins contournaient parfois pour éviter des contrôles douaniers. Le pays reste montueux et stérile. Pour survivre, les habitants étaient obligés d’aller quérir leurs victuailles dans les ports de Fontarabie, Irun, Saint-Sébastien, Bilbao, sur des ânes et des mulets. D’où l’immense joie des pèlerins quand enfin s’abaisse l’altitude et que le climat devient pratiquement méditerranéen : " Entre Peuple et Victoire, fûmes joyeux de voir sortir des montagnes si grande odeur, de voir le romarin fleurir, thym et lavande ". Pour les besoins de la rime, il y a inversion des deux noms de villes, Peuple (La Puebla de Arganz on) et Victoire (Vitoria).

Victoire

Tous les moyens sont bons pour mémoriser les noms de lieux : Vitoria, d’abord, victoire sur les difficultés vaincues, avec sa cathédrale Sainte-Marie (XIIIe-XVe siècle). Une chapelle Saint-Jacques dans cette cathédrale, à laquelle répondent dix-huit paroisses vouées à saint Jacques dans l’ensemble du diocèse. Au XVIe siècle, la ville fut très prospère, enrichie par le commerce. D’où les belles demeures dans le cœur historique.

Peuple

Puis, à 8 km au sud, la Puebla de Arganzon est une ancienne petite cité entourée de remparts, située au croisement de deux routes. Une rue Saint-Jacques mène à l’ermitage du même nom. Passé le pont et l’hôpital, c’est ensuite Estavillo puis Miranda de Ebro où la traversée obligatoire du fleuve fut source de terreur jusqu’à la construction du pont, au XVe siècle. Auparavant, il fallait traverser sur une série de ponceaux, apparemment assez mobiles : " Quand nous fûmes sur les ponceaux, comme ils tremblèrent, au passage qu'on fit ! Nous croyions mourir "Paix ! Ah Paix ! Sauve les pèlerins, saint Jacques !" ". C’est ce que ressentent les pèlerins de la Grande Chanson d’Aurillac. Un hôpital y accueillait " pauvres et passants ". Au XIVe siècle, les pèlerins d’Aurillac rejoignent directement Burgos mais, plus tard, tous les autres ne manquent pas d’y passer : " Arrivés à Saint-Dominique, le coq chanta ; Nous l’entendîmes dans l’église. On nous dit que le pèlerin, par un miracle, à ce signe ressuscité. Ce n’est pas une fable "

À Santo-Domingo de la Calzada,

un moine bâtisseur et un pendu dépendu

Santo-Domingo-de-la-Calzada, en français Saint-Dominique-de-la-Chaussée est une ville située entre Najera et Burgos, sur les bords du rio Oja (qui a donné son nom à la Rioja), aux frontières de l’ancienne Navarre et de la Castille. Elle doit son nom à un saint nommé Dominique, natif de la région. Au milieu du XIe siècle, il y construisit un pont, y organisa l’accueil des voyageurs et des pèlerins et, sur une trentaine de kilomètres, empierra les chemins d’accès, entre Najera et Redecilla. Moine bénédictin, il avait beaucoup voyagé pour le compte de l’évêque d’Ostie et, rentré au pays, il avait pris conscience de l’état catastrophique des chemins et décidé de consacrer le reste de sa vie à leur amélioration. Il a installé sa cabane d’ermite en ce lieu dé sert et particulièrement difficile à franchir, qui devint peu à peu la ville de Santo-Domingo, dite de-la-Chaussée en hommage à cette action. Les habitants reconnaissants lui ont élevé un tombeau sur lequel s’est élevée l’église actuelle à partir de la fin du XIIe siècle.

Mais cette église (devenue cathédrale en 1232) doit bien davantage sa célébrité à deux volailles qui y caquettent dans une cage qu’au saint ermite. Au XIVe siècle, la ville s’est désignée comme le lieu où s’est produit le miracle du Pendu-Dépendu : un jeune homme et ses parents, pèlerins de Compostelle, s’arrêtent à l’auberge. La servante tente vainement de séduire le fils et se venge en cachant dans son sac une pièce de vaisselle. Le lendemain matin, elle fait poursuivre le trio sur la route en les accusant de vol. On les rattrape et le juge condamne le jeune homme à être pendu. Les parents continuent leur route. Trente-six jours plus tard, ils reviennent de Compostelle et trouvent leur fils vivant. Le père se précipite chez le juge pour lui annoncer la nouvelle mais le magistrat déclare qu&# 146;il ne croira cette histoire que si la poule et le coq qui rôtissaient dans la cheminée se mettent à voler et à chanter ! Ce qu’ils firent immédiatement…

Voici enfin nos pèlerins sur le camino frances. Tous se dirigent vers Leon.

Leon

Au début du Xe siècle, le royaume des Asturies s’étant agrandi, Leon succéda à Oviedo comme capitale, allant jusqu’à donner son nom à ce royaume incluant dorénavant les régions de Zamora et Salamanque. Elle le resta jusqu’en 1230, date à laquelle ce royaume de Leon fut inclus dans celui de Castille. D’origine romaine, la ville a conservé une partie de ses anciennes murailles et de nombreux monuments médiévaux.

Au XVIe siècle, Antoine de Lalaing décrit ainsi la ville : " elle est très grande et assez marchande. Elle tire grand argent de la fabrication des chapelets et statuettes de saint Jacques que l’on taille dans le jais extrait d’une mine voisine et qui sont vendus à Compostelle ".

Plusieurs monuments retiennent l’attention du pèlerin de Saint-Jacques : le couvent de San Marcos, l’ancien couvent d’Augustins et la cathédrale.

Près du pont monumental de San Marcos sur le rio Bernesca, le couvent San Marcos s’ouvre sur la Place du même nom. Il appartint aux chevaliers de " Saint-Jacques de l’Épée Rouge ". Premier hôpital de l’Ordre, fondé au XIIe siècle pour les " pauvres du Christ ", il fut reconstruit au début du XVIe siècle, entre autres par Juan de Badaroz, à la demande du roi Ferdinand le Catholique qui s’était imposé comme Grand Maître de l’Ordre. Des embellissements ont été apportés jusqu’au XVIIIe siècle. Derrière la façade constellée de coquilles, gardée par un saint Jacques Matamore sculpté sur un bas-relief, les pauvres n’ont aujourd’hui plus droit de cité. Ils ont cédé la place à un luxueux " parador " (hôtel appartenant à l’Etat) et au musée archéologique provincial. Passé le pont, la Grande Chanson des pèlerins (voir p.) signalait une croix près de laquelle ils devaient choisir soit la direction d’Oviedo, soit celle de Compostelle : " un chemin à droite à Saint-Sauveur mène, l’autre à monsieur saint Jacques ".

Au cœur de la ville, une église fut fondée au XIe siècle pour accueillir les tombeaux des rois de Leon et, à partir de 1063, pour abriter les reliques de saint Isidore. Au XIIe siècle, le roi Alphonse VII y établit une communauté de chanoines augustins qui ouvre le sanctuaire aux pèlerins. Ceux-ci semblent davantage intéressés par les tombeaux royaux que par le saint tombeau. Au XVIe siècle, Antoine de Lalaing admire une cinquantaine de ces tombeaux royaux " tant des rois de Castille que de Leon, et de leurs femmes et de leurs enfants " mais il n’est pas impressionné par les fresques du XIIe siècle peintes au-dessus, pas plus qu’il ne remarque le fait que ce panthéon royal est le seul vestige de la première église, du Xie siècle.

Parmi les somptueuses pièces du Trésor, l’étendard dit de Baeza, représente saint Isidore à l’image de saint Jacques Matamore, une épée dans une main, une croix dans l’autre, chevauchant un destrier blanc et venant aider Alphonse VII à remporter une bataille.

De Leon, les pèlerins de la Grande Chanson ne vont pas tous. droit à Saint-Jacques. Les plus courageux infléchissent leur route vers le nord, vers Oviedo où ils vont vénérer le Saint-Sauveur. Le premier village, Santiago de La Villas est déjà à 1048 m d'altitude.

Pics d'Europe

Les pèlerins semblent suivre un itinéraire bien sinueux, mais celui-ci correspond au contournement des Pics de l’Europe, cet ensemble montagneux de la côte Cantabrique dont les sommets culminent à 3000 m avant de s’abîmer dans la mer, entre Santander et Oviedo. Les routes n’ont pénétré que très lentement ce massif fait de sommets, de glaciers, de défilés interminables, de versants abrupts coupés de vallées profondes et de lacs. L’accès au cœur de cette forteresse naturelle imprenable est plus difficile par le sud que par le nord et on comprend que ces montagnes aient servi d’asile aux chrétiens fuyant l’invasion arabe du VIIIe siècle.

Santo-Toribio de Liebana

Bien abrité, le monastère Santo-Toribio de Liebana, mentionné au VIIIe siècle, fut l’un des noyaux de la résistance chrétienne à l’islam, en même temps qu’un foyer religieux réputé et un grand sanctuaire de pèlerinage. Par le nord, on y accède par La Hermada, au long de la rivière Deva, en suivant un défilé anguleux de roche calcaire long de 19 km, dont les parois atteignent la hauteur impressionnante de 600 m. Puis Potes qui, jusqu’au XVIIe siècle, posséda un hôpital Saint-Jacques. On venait à Liebana, et on y vient encore, vénérer le Lignum Crucis, le morceau le plus grand que l'on conserve de la Croix du Christ, rapporté, dit-on, de Jérusalem par saint Toribio, le premier évêque évangélisateur de la région. Sur la tombe de saint Toribio se pr oduisent des miracles.

En 1512, le pape Jules II accorda au monastère, à l’image des pratiques en usage à Compostelle, non pas une année jubilaire, mais une semaine jubilaire chaque fois que le jour de saint Toribio (16 avril) tombait un dimanche. Cette semaine fut transformée en une année par le pape Paul VI en 1961. Les pèlerins obtiennent le jubilé en passant sous une porte nommée porte du Pardon. La dernière année sainte fut en 2000. Depuis le XVIIIe siècle, la relique, protégée par une enveloppe d’argent, est conservée dans une niche d’une chapelle baroque.

Le village voisin de Turieno doit son nom à son saint patron, saint Martin de Tours. Combien de pèlerins de France sont-ils venus jusque-là, on ne sait. Mais les Commentaires de l’Apocalypse, dus au moine Beatus de Liebana, se retrouvent dans les Landes, au monastère de Saint-Sever.

Covadonga- Canga de Onis

Au Nord-Ouest de Liebana, plus proche de la mer, Covadonga est perché sur un promontoire rocheux, sur les contreforts des Pics de l'Europe. Le village fut le théâtre, en 722 d’une bataille entre chrétiens et musulmans où, pour la première fois, les chrétiens remportèrent la victoire. À n’en pas douter, cette victoire fut due, certes à saint Jacques, mais aussi à la Vierge, que l’on remercie toujours dans la " Sainte grotte ".

Après cela le chef de guerre Pélage fut proclamé roi et installa sa cour à Canga de Onis, à 8 km. de là. Elle y resta pendant plus d’un siècle.

Vers Oviedo, les monts Etuves

Les pèlerins de la Grande Chanson frémissent de cette montée, bien plus dure que prévue : " jamais nous n’eûmes si grand froid, quand nous fûmes au mont d’Etuves. Étions transis jusqu’au cœur, ne voyant Soleil ni Lune. Le vent, la pluie nous importunent. Et font plusieurs cœurs dolents, et fait plusieurs femmes veuves, orphelins petits enfants. Mon Dieu, le vrai médiateur, nous a délivrés de la pluie, jusque dans Saint Salvateur ".

Là encore, les pèlerins jouent sur les mots ETUVES qu’on lit souvent ESTURGES et qui signifie ASTURIES mais en même temps jouent sur le contraste chaud et froid, sur l’opposition entre ce mot " étuves " et le froid ressenti. Dans ces montagnes existent des sources d’eaux chaudes (en espagnol caldas), que les pèlerins rencontrent sur leur route dans les deux villages de Caldas de Luna et Robledo de Caldas. Malgré cette chaleur des eaux, il fait froid : le mont Cirbanal, tout proche, culmine à 2081 m. Plus loin, il faut encore franchir le mont Saint-Antoine, le mont Sainte-Marie, le mont du Patron. Antoine de Lalaing dit que " les pèlerins redoutent d’y passer pour aller à Saint-Jacques, tant le pays est mal habité, stérile et montueux ". La région, dit-il, est pire que la Biscaye, et on n’y trouve rien &agrav e; acheter pour se nourrir. Il faut se munir de ses victuailles. Dans les quelques villages traversés, La Pallio Rodighe, Pont-de-Fer, Mières-del-camino, les hommes et femmes, poursuit Antoine de Lalaing " sont à comparer à des Égyptiens ". Les femmes arrangent leurs cheveux en " petites anses de pots et pendant à leurs oreilles de grands anneaux en forme d’étriers ".

Pourquoi tant d’efforts pour arriver à Oviedo ? On y vénère des reliques originaires de Jérusalem, rapportées de Tolède, dit-on, au IXe siècle par Alphonse II pour les protéger des invasions musulmanes. La plus célèbre de ces reliques est un morceau de la Vraie Croix, à laquelle s’ajoutent un morceau du saint Suaire, une des six bouteilles de vin restant des noces de Cana, un soulier de saint Pierre… Elles furent déposées dans une chapelle dite la Camara Santa et objet d’un pèlerinage si couru qu’au XIIIe siècle, le roi Alphonse VIII promulgue une constitution en faveur des pèlerins de Saint-Jacques et de Saint-Sauveur d’Oviedo. Les pèlerins tiennent en effet à rendre visite au Seigneur avant d’aller voir son serviteur. Mais il y a aussi une relique de saint Jacques, vénérée dans une chapelle Saint-Jacques.

Le Pont-qui-tremble

Toutes les versions de la Grande Chanson évoquent la peur éprouvée à un " pont-qui-tremble ", dans la grande tradition des romans arthuriens ou le passage d’une rivière est toujours une épreuve redoutable. Dans les eaux se cache le Diable, lequel cherche toujours à attirer de bons chrétiens. Soit il fait chavirer leurs embarcations, soit il leur offre le confort d’un pont construit en une nuit en des lieux où de telles constructions sont impossibles, soit il fait chuter les pèlerins depuis des ponts.

Après Oviedo les pèlerins, éprouvés par leur difficile chemin, cherchent à remonter vers le nord pour retrouver le chemin longeant la côte. Mal leur en prend, car ils doivent franchir un nombre impressionnant de petits fleuves côtiers descendant des montagnes. Et la montagne plonge dans la mer, d’où remontent les marées. Et, à marée haute, impossible de traverser. En un lieu que d’aucuns situent à Tablizo, entre Las Ballotas et Canero, d’autres à Luarca, une passerelle fragile permettait seule le passage, au-dessus des eaux mugissantes : " Là nous fûmes bien étonnés quand nous fûmes au Pont-qui-tremble, tous mes compagnons et moi, de nous voir entre deux montagnes et de voir la mer en grande tourmente ". Tous sont figés par la peur, jusqu’à ce que l’un d’eux déclare  ;: " On ne peut demeurer là. Compagnons nous faut cheminer ". Tous sont bien d’accord, mais qui va passer le premier ? Courageusement, ils se disent l'un à l'autre " Compagnon, marche devant, je t'en prie, c’est pour à Saint-Jacques aller ".

Au XVIIe siècle, un pèlerin humoriste et ses compagnons arrivent au pont-qui-tremble : " Nous allions par mons et par vaux. Quand nous fûmes au pont-qui-tremble, nous rencontrâmes trente pèlerins " et un pèlerin poitevin qui leur jure sur sa coquille qu’un tombeau de saint Jacques se trouve à Angers. Fous de joie, les pèlerins rebroussent chemin et se dirigent vers l’Anjou où ils sont assurés de pouvoir passer les gués de la Maine sans danger : " Puisque saint Jacques est à Angers, adieu Galice, adieu Castille. Nous passerons à Saint-Maurille, le pont qui tremble sans dangers ".

Denise Péricard-Méa

Avril 2001

Voir aussi : Cinq versions de la Grande Chanson des pèlerins de Saint-Jacques

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