Voir la présentation du livre objet de ce commentaire : Les
mythes de l'apôtre saint Jacques
J’ai pu finalement lire le livre objet de tant de commentaires la
semaine dernière. Après la lecture, j’ai envie de
dire à l’auteure qu’elle aurait dû choisir un
autre titre plus en accord avec le contenu. Je lui suggérerais
« L’arnaque de l’apôtre Santiago » [1],
ou quelque chose de semblable. Dans le langage universitaire, mythe veut
dire autre chose. Notre éminent Vicente Risco, se risque à
dire que le mythe serait la plus haute expression de la vérité.
Le livre que j’ai lu, prétend que l’Eglise Particulière
de Compostelle et d’Iria, son ancêtre, trompent et abusent
le monde entier depuis au moins 1200 ans. L’auteure arrive à ce résultat après avoir
étudié l’histoire de Compostelle selon un principe
méthodologique basé sur l’affirmation suivante : «
Quand on écrit sur ce thème, le problème principal
est la confusion entre la réalité historique et la croyance
religieuse ; l‘effet pervers est qu’on utilise la première
avec l’intention de détruire la seconde ». Je ne peux
pas m’expliquer comment on peut décrire de telle manière
une époque où la réalité sociale et la croyance
religieuse se confondaient et où la religion était le summum
de la culture, de la légalité, des valeurs, des normes et
des sanctions qui guidaient le comportement social. Ceci est la réalité
de notre histoire passée qui se prolonge pratiquement jusqu’à
nos jours. Etudier l’histoire en séparant le religieux du
profane et la réalité sociale des croyances collectives
donne inévitablement une histoire mutilée et trompeuse.
Que dire quand on emploie cette méthode avec l’Histoire de
l’Eglise ? L’auteure prend ses précautions quand, pour éviter
l’effet pervers qu’elle a énoncé, elle nous
affirme qu’elle ne prétend pas détruire et que l’authenticité
du tombeau de l’Apôtre et l’origine jacquaire de la
foi espagnole n’ont aucune valeur intrinsèque. Selon cette
affirmation, que l’Eglise de Compostelle triche depuis plus de 1200
ans n’a aucune importance. Ce n’est pas la première
fois que je lis ce type de raisonnement, apparemment il est enseigné
dans certaines chaires de notre Université. Pour moi ceci n’est
pas négligeable et surtout il s’agit d’une véritable
calomnie. Dans ces conditions quelle crédibilité pourrait
avoir l’institution ? Nous voilà devant l’arrière-pensée
des enquêtes actuelles. L’on essaye d’intoxiquer les
jeunes. Je ne vais pas réfuter le livre. Ce n’est pas nécessaire.
Il se disqualifie lui-même dans une critique absolument négative
de l’Eglise de Compostelle sans aucun aspect positif. Sans besoin
de connaître l’histoire compostellane, ce qui n’est
pas mon cas, ce simple fait serait suffisant pour que n’importe
quelle personne moyennement prudente désavoue l’œuvre.
Beaucoup l’ont déjà fait. Les études critiques
rencontrent toujours du positif et du négatif, des zones d’ombre
et des zones de lumière, comme dans la vie de tous les jours. C’est
pareil dans la vie de l’Eglise. Affirmer, comme le livre le fait avec une assurance qui fait peur, que
l’apôtre saint Jacques n’a rien eu à voir avec
l’Espagne, et encore moins avec la Galice, est une énormité
qu’on ne peut pas soutenir. La question reste ouverte et on peut
en discuter. Les arguments contre la mémoire traditionnelle n’ont
rien prouvé et, malgré les efforts de Duchesne, les témoignages
en faveur de la tradition tiennent toujours. S’ils ne sont pas suffisants
pour une démonstration historique indiscutable, ils ne permettent
pas non plus de la nier. On serait face à un événement
historiquement probable qui demande à être étudié
mais qu’on n’étudie pas.
Est-ce que ce sont bien les restes de l’apôtre saint Jacques
qu’on vénère dans notre cathédrale ? Aujourd’hui
on peut pratiquement assurer qu’il n’y a pas de doute raisonnable.
Nous avons une telle quantité d’indices, beaucoup dévoilés
au XXe siècle, qu’on peut reconstituer les parties essentielles
du puzzle. Les parties manquantes, qu’on peut facilement substituer,
ne sont que du détail et du remplissage.
Monseigneur Guerra Campos, qui a été sans doute le plus
grand spécialiste de la question jacquaire de la seconde moitié
du XXe siècle, a déclaré dans une conférence
donnée le 22 février 1994 à l’Institut Théologique
de Compostelle : « Il y a des thèses en physique ou en biologie
qu’on a considéré scientifiques et qui ont obtenu
le prix Nobel avec moins d’indices (que la tradition jacquaire).
La convergence des indices est un argument supérieur et définitif
». J’ai eu l’honneur de transcrire, préfacer,
annoter et éditer cette conférence qu’on peut considérer
comme le testament jacquaire de son auteur. Voilà un bon outil
très accessible pour tous ceux qui s’intéressent à
la question. L’on peut toujours douter si le doute est raisonnable
mais on ne peut pas admettre la négation totale basée sur
des omissions et des faussetés.
La translation des reliques vers le lieu qui aujourd’hui est Compostelle,
suppose la présence antérieure en Galice de l’Apôtre
encore en vie. Sinon on ne pourrait pas expliquer pourquoi ses disciples
ont transporté de si loin jusqu’à ici le corps martyrisé
d’un proscrit pour lui donner une digne sépulture. La mémoire de toutes les communautés, surtout si elles
sont chrétiennes, est un critère d’historicité
et son contenu doit être soumis à une critique docte et objective.
Nous savons que cette mémoire historique a été chargée
de symboles et de légendes mais il est possible de séparer
le bon grain de l’ivraie et de découvrir le véritable
fond qu’elle transmet. Il est évident que ceci est irréalisable
avec des méthodes inspirées du positivisme et de son enfant
naturel le matérialisme. Malheureusement, de nombreuses méthodes
encensées aujourd’hui dans les universités sont de
ce type. Les sciences humaines ne pourront jamais faire abstraction de la dimension
transcendantale de l’Homme et si elles le font, elles seront condamnées
à l’échec.
«»
[1] N. du T. : Jeu de mots : « El timo del Apóstol Santiago
», mito=mythe, timo=arnaque
Article de Juan José Cebrián Franco dans «
El Correo Gallego » du 03.12.2006
traduit par Carlos Montenegro |