Connaître saint Jacques - Comprendre Compostelle
page établie en février 2003
Accueil mise à jour le 16 janvier, 2009 Lumières sur saint Jacques et Compostelle   drapeau anglais Page précédente
 

Compostelle doit sa notoriété à saint Jacques, cet apôtre qui aurait évangélisé l’Espagne. Au VIIIe siècle, il devient patron de la résistance chrétienne face aux Sarrasins envahisseurs. Au siècle suivant, son tombeau fut miraculeusement retrouvé en Galice, au Nord-Ouest de l'Espagne. Compostelle était née, lumière d’espérance. Humbles et puissants y sont venus pour exprimer et défendre leur foi. Aujourd’hui, les pèlerins en provenance du monde entier sont plus nombreux que jamais sur les chemins de Compostelle. Mais on ne s’arrête pas à Compostelle, on marche jusqu’au Finistère, là où finit la terre et où la Voie Lactée plonge dans l'Océan

Compostelle est bâtie sur une belle légende, cliché MTP
La façade de la cathédrale de Compostelle dans la lumière du couchant

  La légende de saint Jacques

  Des faits historiques et légendaires

  Hommes et femmes sur les routes

  Un pèlerinage millénaire

  Des symboles ...

  Pèlerins d'aujourd'hui

La légende de saint jacques

Compostelle fait rêver. Cette lointaine cité galicienne, à l'extrême Nord-Ouest de l'Espagne, doit sa notoriété à saint Jacques. Dans les Evangiles, Matthieu présente l’apôtre saint Jacques comme étant «fils de Zébédée et frère de Jean». Marc ajoute que Jésus donna aux deux frères le surnom de «Bonaerguès, c’est-à-dire fils du Tonnerre». Après la mort du Christ, les Actes des Apôtres racontent qu’Hérode «supprima par le glaive Jacques le frère de Jean». Au VIIe siècle, des biographes informent qu’auparavant il avait «prêché l'Evangile en Espagne ainsi que dans d'autres contrées occidentales».

le corps de saint Jacques y aurait été transporté miraculeusement

Quelle est l'origine de Compostelle ? Jacques fut choisi au VIIIe siècle comme patron par l'Espagne catholique alors sous le joug sarrasin. En son nom, elle appelle à l'aide pour commencer la Reconquista, cette longue lutte contre l'envahisseur musulman qui ne s'achèvera qu'en 1492 avec la prise de Grenade. Une belle légende fut mise au point racontant comment le corps de saint Jacques fut ramené en Galice après son supplice, «par un radeau sans voile ni gouvernail». L’arrivée fut suivie d’une série d’aventures rocambolesques: les disciples qui avaient accompagné Jacques demandèrent à une reine païenne, Luparia, de déposer le corps de l'Apôtre dans ses terres. Celle-ci refuse et les malheureux fuient, poursuivis par les troupes royales qui, fort à propos, périssent noyées grâce à l’effondrement d’un pont. Luparia leur propose ensuite des bœufs sauvages gardés par un dragon. Ils tuent le dragon et domptent les bœufs, ce qui convertit Luparia qui permit enfin l’inhumation en un lieu qui fut bientôt oublié.
Puis, dit la légende, il fut redécouvert au début du IXe siècle

«Alors qu’il était en prières, l’ermite Pélage fut averti par des anges qu’il se trouvait près de la sépulture du saint. Puis des voisins aperçurent des lumières indiquant le lieu précis. Ils avertirent l'évêque d'Iria qui décréta un jeûne de trois jours et trouva le tombeau de saint Jacques. Depuis ce temps,les gens de ces pays y viennent en grand nombre».
 Les premiers étrangers à se diriger vers Compostelle furent sans doute avant tout chevaliers et soldats. Entre ces premiers pèlerinages et celui du pape Jean-Paul II en 1982, tout un imaginaire s'est construit et a évolué, jusqu’à nos jours.

Voir sur la revue de la Fondation une récapitulation des textes fondateurs de la légende de Compostelle.
Les érudits pourront la comparer à la légende de Roland.

Le texte qui répand la légende : la chronique de Turpin

saint Jacques lui-même aurait appelé Charlemagne pour délivrer son tombeau
Le songe de Charlemagne, Chronique de Turpin, Codex Calixtinus, XIIe, restitution par Janine Michel, 2002

La chronique dite de Turpin (puis Pseudo-Turpin) raconte, sous la plume de l’évêque Turpin, l’histoire de Charlemagne, de Roland et des chevaliers partis, au nom de saint Jacques, délivrer l’Espagne. Elle s’ouvre sur l’apparition de saint Jacques demandant à Charlemagne de venir en Galice en suivant la Voie Lactée et se développe autour du récit des expéditions aboutissant à la mort du roi païen Aigolan, après de longues poursuites et des combats dantesques. Elle s’achève sur la défaite de Roncevaux et la mort de Charlemagne. L’âme de ce dernier échappe à Satan grâce à saint Jacques qui l’emporte, à cause des bonnes œuvres faites en son nom.

Ce texte a été utilisé comme un document authentique en France, en Espagne et dans l’Empire germanique pour justifier les prétentions des rois au titre d’Empereur descendant de Charlemagne. En fait il est une invention pure, les premiers doutes à son sujet sont apparus au XVIIe siècle.

 

Des faits historiques ou légendaires

Le pèlerinage à Compostelle repose sur une belle légende. Son histoire fut par la suite tissée de faits réels ou imaginaires étroitement mêlés. Charlemagne ni, plus tard, saint François d'Assise ne sont jamais allés à Compostelle. Mais il fallait mobiliser la Chevalerie à la suite de l'Empereur et il était important qu'un si grand saint ait fait le pèlerinage. Si l'évêque Godescalc a bien été le premier pèlerin célèbre au Xe siècle, ce fait n'a été connu qu'en 1886. Beaucoup de pèlerins d'aujourd'hui croient qu'Adalard a fondé l’hôpital d’Aubrac à son retour de Compostelle en 1120, mais cette légende ne date que de 1324. L'ordre de Santiago a bien été créé en 1150 mais pas pour la protection des pèlerins. L'aura de Compostelle et la politique de ses chanoines ont bien souvent embelli la réalité ou passé sous silence des événements qui les desservaient. Ainsi il est peu connu qu'il ait fallu attendre 1885 pour que les pèlerins soient admis à voir le tombeau de l'apôtre. Les exagérations continuent. Il est ainsi courant de lire que "les chemins de Compostelle sont au patrimoine mondial de l'UNESCO", généralisation hâtive alors que de six tronçons seulement des chemins français ont reçu cette reconnaissance.

Une chronologie de l'histoire contemporaine du pèlerinages est présentée ici

   

Des hommes et des femmes sur les routes de Compostelle

Des foules symboliques

Quoi qu’on en dise, les étrangers à l’Espagne ne se sont jamais précipités en foules à Compostelle. Les comptages à partir des documents des frontières, des hôpitaux ou des confréries ne permettent de trouver que très peu de pèlerins sur les routes de France. Les pèlerins par mer furent sans nul doute beaucoup plus nombreux.
Les premiers textes qui évoquent ces foules de «peuples étrangers, venus de toutes les parties du monde» émanent tous de Compostelle qui invente, au XIIe siècle, LE CHEMIN DE SAINT-JACQUES, une géniale campagne promotionnelle dont les effets traversent les siècles. Elle se présente comme l’image du Paradis sur la terre, un Paradis vers lequel marche sur ce Chemin une foule toute symbolique, celle des Elus de la Bible. L’oubli de cette vision en nos siècles rationalistes a entraîné à une longue et décevante comptabilité des pèlerins. Sa réapparition offre au pèlerin d’aujourd’hui une idéologie plus exaltante que celle d’une marche derrière des millions de fantômes en lui proposant de cheminer dans la lumière de ces Elus de l’Apocalypse, ou de marcher pour tous ceux qui n’ont jamais pu entreprendre ce pèlerinage.

Des pèlerins réels

Depuis des siècles, la mentalité des pèlerins n’a pas vraiment évolué, nonobstant les évolutions inhérentes à chaque époque. On est toujours parti à Compostelle pour des motifs religieux mais aussi pour d’autres extrêmement variés :
• un désir de la noblesse de s’illustrer par des actions justifiant la guerre, participer à la Reconquête sur l’Islam ou à la lutte contre l’Angleterre. Au XVe siècle, un traité d'éducation explique qu'il est «bienséant que les jeunes de noble lignage fassent les pèlerinages de Jérusalem ou Saint-Jacques et qu'en même temps ils guerroient contre les Sarrasins et autres mécréants».
• des missions diplomatiques, qui se laissent parfois deviner derrière les raisons officielles: en 1192, part pour Compostelle l'oncle du roi de France Philippe-Auguste, archevêque de Reims. Un personnage aussi important ne laisse pas son siège pour un pèlerinage lointain sans une raison grave ; Sans cela l'Eglise le désapprouve.
• du commerce, qui amène parfois les marchands à passer par Compostelle: les guides-itinéraires du XVe siècle mentionnent le chemin des sanctuaires en même temps que les lieux des foires internationales. Quelques marchands effectuent, moyennant finances, des pèlerinages pour des personnes ne voulant pas ou ne pouvant pas les effectuer elles-mêmes.
• un désir de profiter d’une hospitalité traditionnellement réservée aux « pauvres passants, voyageurs et pèlerins», surtout pendant les périodes difficiles (Guerre de Cent Ans mais aussi guerres de Louis XIV)
• un prétexte pour s’absenter de chez soi, ou pour avoir un alibi…
• très rarement, une obligation de pèlerinage faite par un tribunal, civil ou religieux. Ce sont les fameux «pèlerinages pénitentiels» qui ont accrédité l’idée fausse que les routes de pèlerinage étaient fréquentées par des individus très dangereux, les bénéficiaires de ces mesures étant plutôt des gens qu’il était bon d’éloigner pour un temps de leur domicile, sans mettre la société en danger.

Des pèlerins littéraires

Le pèlerin de Compostelle occupe une place modeste dans la littérature, proportionnelle sans doute à la réalité. Les portraits qui en sont faits donnent une image embellie du pèlerin réel. Les chansons de geste s’inspirent de la chronique de Turpin: la Chanson de Roland développe le désastre de Roncevaux, Gui de Bourgogne rapporte les succès français en Espagne, où Charlemagne est resté vingt sept ans sans enlever sa cuirasse. Les romans ajoutent des intrigues amoureuses et des aventures rocambolesques. Blancheflor commence par l'attaque de pirates normands sur la côte Cantabrique, la Fille du comte de Pontieu, partie avec son mari demander un enfant à saint Jacques, se fait violer dans la forêt galicienne. Le Dit des annelés illustre les dangers encourus par une honnête pèlerine. Le Dit des Trois Pommes raconte le pèlerinage du fils d'un riche marchand.

au XVIIIe siècle les gueux sont sur les routes, la noblesse s'amuse
Château-Thierry, musée Jean de La Fontaine,
gravure de Larmessin d’après Lancret

Le poète La Fontaine, dans le conte Le petit chien qui secoue de l'argent et des pierreries, costume en pèlerin de Saint-Jacques l'amoureux cherchant à s'introduire auprès de l'élue de son cœur :

 «jouant de la musette…
notre pèlerin traversa la ruelle…
Il surprit et charma la belle
Vous n'avez pas, ce lui dit-elle
La mine de vous en aller
A S. Jacques de Compostelle».

Lance-t-il une mode ? Au XVIIIe siècle les nobles affectionnent ce costume du pèlerin qu'ils empruntent ou louent parfois aux confrères de Saint-Jacques pour assister, masqués, aux fêtes populaires, prétextes à des rencontres galantes. Une estampe intitulée Le jeune pèlerin est légendée :

«En revenant de Compostel
Plus d'un aimable jouvencel
Rencontrant pèlerine et fringante et légère
A su par ses tendres propos
Avec lui l'engager à faire
Un pèlerinage à Paphos*»
(ville de Chypre où est rendu un culte à Aphrodite).

Un pèlerinage millénaire

Quels chemins de Saint-Jacques ?

depuis 1938 ces quatre chemins sont présentés comme historiques

Le Turpin nous indique que Charlemagne quitte Aix-la-Chapelle en suivant la Voie Lactée, «une sorte de chemin semé d’étoiles qui commençait à la mer de Frise et, se dirigeant entre la Germanie et l’Italie, entre la Gaule et l’Aquitaine, passait tout droit à travers la Gascogne, le pays Basque, la Navarre et l’Espagne jusqu’en Galice».

Le dernier Livre du Codex Calixtinus, base des itinéraires actuels, n’a été connu en Europe au Moyen Age qu'à quelques exemplaires, contrairement aux premières hypothèses qui l'avaient considérré comme un guide médiéval, titre qui lui fut donné en 1938. La comparaison avec la Chronique d'Alphonse VII a conduit Bernard Gicquel et Denise Péricard-Méa à donner une autre interprétation de ce document. Il manifestait la volonté d'Alphonse VI ( qui rêvait d'être Empereur à l'image de Charlemagne) d'étendre son influence sur la grande Aquitaine dont il invitait les seigneurs français à venir lui rendre hommage en tant que vassaux. L'Aquitaine était bornée par les quatre sanctuaires de Tours, Vézelay, le Puy, Arles et émaillée de tous les autres cités par le Guide. Trois des routes qu’il dessine sont des routes commerciales importantes du XIIe siècle, la route commerciale passant par Le Puy se dirigeait vers le sud et ne coincide pas avec l'itinéraire du Guide. Voir la carte ci-contre des routes du Centre-Sud établie par R-H Bautier

 

Les récits des pèlerins et les textes littéraires indiquent souvent d’autres itinéraires, variables en fonction des époques et des pèlerins eux-mêmes. Aucun n’a une valeur historique supérieure à l’autre.

On a longtemps cru que les nombreux objets du riche patrimoine relatif à saint Jacques constituaient, à travers l’Europe, des balises des chemins de Compostelle. Les connaissances actuelles conduisent à reconsidérer la question et à admettre que la majeure partie de ce patrimoine témoigne plutôt de dévotions locales à l’apôtre : dans toute l’Europe, les fidèles éprouvaient un besoin fréquent de le vénérer, en liaison avec leur lecture de l’Epître, un texte biblique qui lui fut attribué parfois jusqu’au XIXe siècle.

La redécouverte du corps de saint Jacques à Compostelle en 1884

Au début du XIXe siècle, le pèlerinage à Compostelle avait pratiquement cessé, ce qui avait appauvri toute la ville au point que, en 1833, elle perdit son titre de capitale provinciale au bénéfice de La Corogne. Avant la fin du siècle, tous se sont mobilisés pour lui rendre son lustre, édiles de la cité, universitaires et industriels auxquels vinrent se joindre l’archevêque et les chanoines de la cathédrale. En 1879, ces derniers annoncèrent qu’ils avaient retrouvé le corps de saint Jacques, perdu depuis longtemps et qu’ils avaient décidé de présenter dorénavant les reliques à la vénération des fidèles (ce qui n’était pas le cas auparavant). En 1884, le pape Léon XIII confirma cette découverte, bien utile, dit-il, «en ces jours où l’Eglise est particulièrement tourmentée» et invita les catholiques à reprendre le chemin de Compostelle.

Compostelle par voie d’eau

Les pèlerinages par mer ont toujours été très usités, car voyager par bateau est pratique, rapide et peu onéreux, ce qui fait supporter les nombreux désagréments, inconfort, tempêtes et risques de capture par des pirates.

Les pèlerins sont entassés à deux cent, voire «à volonté», bousculés par les marins qu'ils gênent. Ils ont le mal de mer. Les plus pauvres dorment dans la cale et doivent s’occuper de distribuer pain, sel et eau, sans doute la seule nourriture offerte.

En 1446, un pèlerin poitevin raconte que, «étant sur mer en allant à Saint-Jacques, lui et plusieurs autres furent pris dans un ouragan tel qu’ils ont cru mourir».

En 1443, cinq pèlerins de Tournai, revenant par Montserrat se sont fait prendre près de Barcelone par des écumeurs de mers. Pendant trois ans, ils rament sur des galées en endurant les pires sévices. Dix ans plus tard, ce sont des pèlerins anglais de Compostelle, embarqués sur un navire, qui sont attaqués et dépouillés par des Bretons

Saint Jacques apparaît comme le protecteur des navigants, face à Satan qui provoque les naufrages : au XIIe siècle, le roi d'Angleterre Henri II se fit apporter de l’abbaye de Reading la main de saint Jacques «avant de prendre la mer afin d'être fortifié par sa protection et sa bénédiction». Lorsque Margerie Kempe, une pèlerine anglaise très exaltée, cherche à partir depuis Bristol en 1417, les autres pèlerins la prennent pour une possédée du diable et, à ce titre, craignent qu’elle ne déclenche une tempête. Ils la préviennent que, si un ouragan survient, ils la jetteront à la mer pour se débarrasser du Malin.

L'hospitalité au Moyen Age

Le devoir d’hospitalité s’impose à tous. A l’origine, chacun se devait d’ouvrir sa maison au passant. La religion chrétienne demanda que tout étranger soit reçu comme s’il était le Christ, selon le précepte de l’Evangile de Mathieu: «Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire. J’étais étranger et vous m’avez accueilli. J’étais nu et vous m’avez vêtu. J’étais malade et vous m’avez visité. J’étais en prison et vous êtes venu vers moi. Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites».

Précepte bien propre à tempérer la méfiance spontanée devant l’étranger. Lorsque la circulation des hommes se fit plus dense, aux XIe et XIIe siècles, les communautés laïques et religieuses se sont organisées pour fonder des maisons hospitalières, financer et assurer leur fonctionnement.

L’hôpital rassemble tous les types de sociétés, pauvres du lieu, «pauvres passants», voyageurs aisés payant leur écot et, pour les accueillir, les nantis qui gèrent la maison. Le pèlerin, mêlé au monde marginal de l’errance, reçoit vivre et couvert pour une nuit, voire davantage s’il est malade, dans une atmosphère que les textes, selon les lieux et les époques, présentent comme des images du Paradis… ou de l’Enfer. Jusqu’au XVIe siècle, les hôpitaux Saint-Jacques ne font pas exception. A cette époque Compostelle attire de plus en plus de fidèles, avides de comprendre comment l’Espagne a pu échapper au Protestantisme. Alors seulement apparaissent quelques hôpitaux spécialement réservés aux pèlerins de Galice.

Des reliques de saint Jacques

saint Jacques était vénéré en de nombreux lieuautres que Compostelle
reliquaire du bras de saint Jacques à Liège 
photo J. Michel 

il existe encore des reliques offertes à la vénération des fidèles

Saint Jacques, dit-on, n’a pas seulement évangélisé l’Espagne, mais tout l’Occident. C’est sans doute pour cela qu’on retrouve un peu partout ses traces (un «pas de saint Jacques» à Buxerolles, près de Poitiers), voire même ses reliques. Rien qu'en France, on compte trois tombeaux renfermant son corps, neuf têtes et de nombreux membres ! L'Eglise essaie en vain de donner à chaque relique l’identité d’un autre Jacques mais les fidèles n’y voient qu’un seul et unique, l’apôtre. Elle admet que ces dévotions répondent à une demande profondément humaine, allant jusqu’à déclarer «louables les intentions de ceux qui les honorent».

Sur le chemin de Compostelle, le pèlerin Jean de Tournai, en 1490, écoute chaque légende qu'il relativise en affirmant que tout cela n'a guère d'importance car «de toute façon, saint Jacques est au Paradis ».

Patron de la Reconquête, saint Jacques surgit périodiquement dans le ciel des armées chrétiennes, monté sur un cheval blanc et déployant un grand étendard. La première apparition est celle de Clavijo près de Logrono en 844, lors d'une bataille engagée pour ne plus envoyer chaque année le tribut de cent jeunes filles pour le harem de Cordoue. Le roi Ramire, vainqueur, impose en échange le paiement d’un tribut annuel pour l'église de Compostelle, une redevance perçue pendant des siècles. L’une des dernières interventions de l’apôtre aurait eu lieu pendant la guerre civile entre 1936 et 1939.

Des symboles…

Le costume

Le pèlerin médiéval, n’est vêtu, le plus souvent, que du costume commun à tout voyageur. Peu à peu, sous l’influence de l’imagerie pieuse, le costume se charge de significations symboliques. Au XVIIIe siècle, la Chanson du Devoir des pèlerins explique que «Des choses nécessaires faut être garni, à l'exemple des pères n'être pas défourni de bourdon, de mallette, aussi d'un grand chapeau, et contre la tempête d'avoir un bon manteau». Symboliquement le pèlerin est «revêtu de constance, d'amour et chasteté… Couvert du manteau de bonnes œuvres», il s'appuie sur «le bâton d'espérance, ferré de charité», sa «bourse et sa mallette» renferment les trésors que Dieu lui a donnés, et sa «callebasse est pleine…d'eau de vive fontaine».

Des compléments sur le costume du pèlerin sont proposés ici. Leur symbolique a été développée par Jean Geiler de Kaysersbrg dans ses sermons à la cathédrale de Strasbourg à l'occasion de l'année jubilaire 1500 à Rome. Un florilège de ces sermons a été publié par la Fondation sous le titre Conseils aux pèlerins, paru aux éditions Atlantica-Séguier en novembre 2008 voir une présentation.

Au Moyen Age, la bénédiction du pèlerin

De nombreux «rituels» contiennent les formules utilisées par les prêtres lorsqu’ils bénissent un départ de pèlerin pour une destination lointaine. Celle-ci, tirée du Codex Calixtinus, est adaptée à un départ pour Compostelle:

«Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, reçois cette besace, insigne de ton pèlerinage afin que, purifié et libéré, tu parviennes à la maison de saint Jacques où tu veux te rendre, et qu'ayant achevé ton voyage, tu reviennes parmi nous en bonne santé et joyeux, par la grâce de Dieu qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

 

Reçois ce bourdon, réconfort contre la fatigue de la marche sur le chemin de ton pèlerinage, afin que tu puisses vaincre les embûches de l’Ennemi et parviennes en toute tranquillité au sanctuaire de saint Jacques, et que ton but atteint, tu nous reviennes avec joie, par la grâce de Dieu qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen».

La coquille des pèlerins

On a retrouvé à Paris des coquilles dans les tombes d'un cimetière mérovingien, bien avant la découverte du tombeau de saint Jacques à Compostelle. Dès le XIIe siècle, Compostelle s’en fait une spécialité qu’elle vend comme souvenir aux pèlerins. Les marchands de la cathédrale en expliquent la symbolique : les lignes en éventail, disposées comme les doigts d’une main, sont l’image des œuvres que le pèlerin doit poursuivre (le mot «œuvres» pris dans le sens de «œuvres charitables», mais aussi de «travail»). Peu à peu, les représentations iconographiques de l'apôtre saint Jacques adjoignent systématiquement une coquille, qui sur la besace, qui sur le chapeau. Puis, au XVIIIe siècle, dans les premières classifications des espèces animales, le coquillage en question reçoit le nom de coquille Saint-Jacques, ce qui détermine la systématisation de l'alliance  de la coquille au pèlerinage de Compostelle.

Mais la coquille est également vendue dans d’autres sanctuaires, en particulier au Mont Saint-Michel et elle reste un insigne commun à tous les pèlerins : par exemple, lorsque l’Empereur Charles IV vient en visite à Paris en 1377 et qu’il se rend en pèlerinage à Saint-Maur-des-Fossés, le roi lui «envoie des coquilles parce qu'il est pèlerin».

En héraldique, la coquille n’est souvent qu’un «meuble» pour lequel il est impossible d’établir un lien avec Compostelle.

Pèlerins d’aujourd’hui

Les us et coutumes

 le pilier est usé mais beaucoup de traditions pèlerines sont récentes

Le pilier de Jessé,
au Portail de la Gloire
de la cathédrale de Compostelle,
invite les visiteurs et les pèlerins
à la méditation

80 % des pèlerins passant à Saint-Jean-Pied-de-Port commencent là leur pèlerinage, ce qui est une aberration, l’étape de Roncevaux par la montagne étant la plus difficile du chemin. On en parle peu, mais le mauvais temps y est fréquent, on peut y errer pendant des heures, voire même y mourir.

Le nombre de pèlerins y est passé de 1264 en 1996 à 13638 en 2001…

 

A Santiago, 100 000 pèlerins environ reçoivent la Compostela chaque année pour 4 millions d’autres visiteurs (9 millions les années saintes)

La Compostela, preuve du pèlerinage

autrefois nécessaire dans certains cas, la preuve du pèlerinage est un beau souvenir
une Compostela de 1976

Depuis longtemps, et spécialement depuis le XVIIe siècle, les pèlerins rapportaient de Compostelle un certificat attestant qu’ils étaient bien allés jusque là-bas. Ce certificat a été remis à l’honneur. Il exige toujours que le pèlerin soit venu dans un esprit de piété (pietatis causa) mais, bien que son texte ne le signifie pas, il est délivré seulement à ceux qui, en outre, ont parcouru les 100 derniers km à pied (ou 200 en vélo), à l’exclusion de tous les autres.

Voici la traduction du texte de cette Compostela

«Le chapitre de cette bienheureuse église métropolitaine et apostolique de Compostelle, garde des sceaux de l'autel du Bienheureux Apôtre Jacques, afin de délivrer à tous les Fidèles et Pèlerins du Monde entier, parvenant auprès de saint Jacques, notre Apôtre, patron et protecteur des Espagnes, mus par la dévotion ou par un vœu, un certificat de pèlerinage, au vu des circonstances, certifie que …………, mû(e) par sa foi, a dévotement visité ce très saint Temple. Au nom de cette foi, je lui remets la présente attestation, munie du sceau de cette Sainte Eglise»

A chacun son chemin.

Le pèlerin quitte sa demeure et ses habitudes. Il prend le chemin, ouvert aux autres, en quête de lui-même. Cette aventure, il pourrait la vivre sur ses chemins de tous les jours. Mais la démarche de pèlerinage sur les chemins de Compostelle est privilégiée et prend des formes variées qui impliquent toujours une rupture.

Le pèlerin d’aujourd’hui, en marchant à pied pendant des semaines, cherche à retrouver les sensations de ses ancêtres et se créée une imagerie stéréotypée : il faut souffrir, quitter son confort, accepter des conditions de vie frustres, se priver… Il doit partir du Puy et suivre le GR 65 qui passe pour un chemin historique… Là seulement, il pourra ressentir la compagnie des foules de pèlerins du passé.

Mais marcher dans la boue fait-il partie du pèlerinage ? Souffrir dans des chemins impossibles est-il obligatoire ? Mendier son pain n’est-il pas faire injure aux vrais pauvres ? Aucun récit de voyage des temps anciens ne fait état de pareilles obligations. La Règle de saint Benoît met même en garde contre la surenchère dans les pratiques ascétiques (gare au péché d'orgueil !).

Une autre manière de cheminer

Quittant les images, les conseils de ses prédécesseurs qui parfois entretiennent son angoisse pour se valoriser, les contraintes des guides de toute nature, le pèlerin d'aujourd'hui peut vivre un pèlerinage personnalisé. Il l’organisera à son gré, sans mimétisme et sans ostentation. Il lui est loisible de partir de chez lui et de marcher en droite ligne, à l'affût des rencontres des autres, de tous ceux que sa démarche intéresse ou indiffère. C'est lui qui, humblement, ira vers eux en demandant sa route ou une adresse. Chemin faisant, il s'imprégnera des conditions de vie des habitants des régions traversées. Au lieu de se cacher dans des chemins où il ne rencontre que ses semblables, ou de «gommer» les villes en prenant le bus, il osera «s’aventurer» dans les zones industrielles (une occasion de répertorier les activités de la région), marcher sur les routes, voire même sur les routes nationales (pensant à ceux qui subissent leurs nuisances toute l’année, contrairement à lui qui ne fait que passer). Dans les villages, il découvrira de vrais lieux de rencontres, les bistrots-épiceries-quincailleries-vêtements, ou les chambres d'hôtes tenues par des gens du cru. Se faire étranger le temps d’un pèlerinage offre des bonheurs inédits et ce pèlerinage hors des sentiers battus n’enlève rien à la valeur de la démarche, bien au contraire.

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