Les légendes sont aujourd’hui
un sujet largement délaissé, et, de fait, elles occupent
une place à part. Ce ne sont ni des textes historiques dont on
cherche à dégager la vérité, ni des textes
littéraires qui séduisent par leur beauté. Ce sont
des fictions intéressées qui visent à façonner
des mentalités, à implanter des convictions propres à
induire les comportements souhaités par la communauté à
laquelle appartient le rédacteur. Le rapprochement ici des noms
de saint Jacques et de Roland est bien fait pour surprendre, tant l’esprit
analytique sépare rigoureusement, et à juste titre, la dévotion
pèlerine au saint vénéré à Compostelle
et les connaissances historiques relatives au héros de Roncevaux.
Mais justement, lorsqu’on les replace l’un et l’autre
sous le signe de la légende, on constate que les deux domaines
sont moins étrangers l’un à l’autre qu’il
y paraît d’abord, qu’ils entretiennent au moins un rapport
de contiguïté et qu’ils sont par là en mesure
de s’éclairer mutuellement.
1er siècle
Dans de brefs mais décisifs
passages de l’Évangile, saint Jacques est mentionné
en même temps que Pierre et Jean. Seule une phrase des Actes des
Apôtres le concerne isolément, celle qui rapporte son martyre
par décollation. En l’absence d’informations plus précises
sur lui, sa qualité d’Apôtre, envoyé par Jésus,
comme tous les disciples, "jusqu’aux extrémités
de la terre", incitera à se représenter qu’il
a dû aller jusque au bord de l’océan. Il y a une raison
philologique à cela, c’est que le nom même de l’Espagne,
Es-pana, signifierait selon une certaine étymologie : extrémité
des terres.
4e-5e siècle
Les Commentaires de saint Jérôme,
inspirés de l’Épître aux Romains, soulignent
la place de l’Espagne dans la diffusion du message chrétien
en opposant celle-ci à l’Illyrie qui représente le
versant oriental de la prédication. L’évangélisation
du monde y apparaît en relation avec le mouvement apparent du soleil
d’Est en Ouest, tandis que chaque apôtre est censé
reposer là où il a prêché l’Évangile.
6e siècle
Les catalogues apostoliques apocryphes,
- qui suivent le plus ancien attribué, à tort, à
saint Jérôme, - mentionnent pour saint Jacques, sa prédication
en Espagne, son tombeau en Achaïe Marmarique, et sa fête le
25 juillet. Le premier thème découle d’une contamination
avec saint Paul, le second d’une confusion avec saint Jacques le
Mineur, le troisième d’une assimilation avec le dieu antique
Hermès/Mercure dont la fête se célébrait à
cette date, le jour de la Canicule, et qui, selon Tite-Live, possédait
en Espagne son tombeau (tumulus Mercurii, près de Carthagène).
Jean et Jacques représentent, en outre, dans le registre chrétien
les Dioscures, Castor et Pollux, auxquels sont attribués les deux
crépuscules du matin et du soir.
Dans le quatrième livre de son Histoire du combat apostolique
qui rapporte l’évangélisation du monde par les Apôtres
et leur martyre, un auteur qui signe du pseudonyme Abdias, évêque
de Babylone, mais écrit en Gaule Narbonnaise, fournit un récit
détaillé du martyre de saint Jacques. Ce récit démarque
la rencontre de saint Philippe avec Simon le Magicien en racontant la
conversion du magicien Hermogène et de son acolyte Philète,
dont le nom est emprunté à la deuxième épître
de saint Paul à Timothée. Il s’inspire aussi de la
vie de saint Pierre guérissant un paralytique sur le chemin de
Lydde, pour montrer saint Jacques faisant de même, et convertissant
deux sbires, comme fit saint Paul des deux archers de la garde impériale
envoyés pour le conduire au supplice.
8e siècle
Une hymne de la liturgie mozarabe,
datable de la fin du 8e siècle, parce qu’elle comporte un
acrostiche du roi asturien Mauregat (783-789) célèbre saint
Jacques comme l’évangélisateur et le patron de l’Espagne.
De nombreuses églises dédiées à saint Jacques
sont construites dans le Nord du pays.
9e siècle
Aucun texte relatant les circonstances
dans lesquelles fut découvert le tombeau de Compostelle et attribué
à saint Jacques n’a été conservé. La
plupart du temps déformée par la tradition manuscrite, la
mention de l’Achaïe Marmarique dans les catalogues apostoliques
a pu suggérer l’identité avec le tombeau galicien
sis en un lieu appelé arcis marmoricis.
Le premier reflet textuel connu de l’ « invention »
du tombeau de saint Jacques « face à la mer de Bretagne(=
Atlantique) » se trouve dans quelques lignes interpolées
à Metz vers 840 dans le Martyrologe du diacre lyonnais Florus,
qui est un calendrier des saints à célébrer chaque
jour de l’année. Ce texte bref, qui sera repris intégralement
dans les martyrologes ultérieurs d’Adon, évêque
de Vienne en terre d’Empire, et d’Usuard, à Saint-Germain
des Prés, fournira aux siècles suivants l’unique information
de base et l’incitation la plus répandue à partir
en pèlerinage.
Ce n’est sans doute pas un hasard si cette brève notice est
interpolée à Metz qui est le siège favori de l’empereur
Louis le Pieux. Les chanoines réguliers de saint Augustin qui au
début du siècle se sont donné à Aix-la-Chapelle
la règle de saint Chrodegang, évêque de Metz, ont
entre autres pour vocation l’entretien de la dévotion aux
martyrs chrétiens.
C’est aussi à Metz, dans les mêmes années qui
précèdent la mort de Louis le Pieux, que se raconte pour
la première fois l’expédition légendaire de
Charlemagne et de Roland en Espagne.
10e siècle
La présence des reliques de
saint Jacques à Compostelle incite naturellement à s’interroger
sur la manière dont elles y sont parvenues. La réponse apportée
s’inspire dans ses grandes lignes de la translation maritime des
reliques de saint Marc à Venise en 828-829.
Elle opère en outre la synthèse de deux récits, dont
le premier relate la translation de l’hérétique Priscillien,
dont l’acrostiche apparaît en filigrane à travers les
toponymes (Bisria + Ilicinus = Priscillianus), tandis que le second raconte
l’évangélisation de l’Espagne par sept apôtres,
selon le modèle de la légende grecque des sept dormants.
A cela elle ajoute la victoire sur le dragon empruntée à
la légende de saint Matthieu rapportée par le Pseudo-Abdias.
Pour donner plus d’autorité à ce récit fabuleux,
il est placé dès sa première occurrence sous le patronage
d’un un pape Léon (vraisemblablement Léon III, grand
pourfendeur du priscillianisme après saint Augustin), censé
avoir écrit une lettre à ce sujet.
Cette première version de la lettre papale donne lieu à
la rédaction d’hymnes liturgiques chantées à
Compostelle lors des offices solennels destinés aux pèlerins.
Rapportées dans leur bagage, elles diffuseront la connaissance
de saint Jacques en dehors de la Galice.
Il existe trois versions épistolaires postérieures de ce
texte, qui diffèrent toutes par quelques détails et dont
la dernière est reprise dans les compilations ultérieures
attribuées au pape Calixte.
11e siècle
Au début de ce siècle,
en 1005 ou 1027, et peut-être en liaison avec le prieuré
normand de Saint-James de Beuvron, la translation des reliques de saint
Jacques fait l’objet d’un sermon d’apparat à
Fleury (aujourd’hui Saint-Benoît-sur-Loire).
En 1077, l’accord passé entre l’évêché
de Compostelle et le monastère d’Antealtares sur le partage
des bénéfices pendant la construction de la cathédrale
débute par un paragraphe qui raconte dans le style légendaire
des inventions de reliques la découverte du tombeau de saint Jacques
par l’évêque d’Iria, Théodemir, à
la suite d’une révélation faite à l’ermite
Pélage, fondateur du monastère.
C’est sans doute à la suite de la mise au point de ce contrat,
qu’est inséré à Saint-Martial de Limoges, dans
un volume contenant des textes du dixième siècle, un feuillet
contenant en caractères wisigothiques la première lettre
du pape Léon sur la Translation de saint Jacques.
Dans ces mêmes années sans doute est
insérée dans un volume de l’abbaye San Millán
de la Cogolla une copie, en caractères wisigothiques elle aussi,
d’un texte qui mentionne la mort de Roland à Roncevaux. C’est
le premier texte connu qui localise à Roncevaux l’embuscade
tendue aux troupes carolingiennes et la mort héroïque de Roland.
En 1098, Diego Gelmirez, encore administrateur de l’évêché
de Saint-Jacques de Compostelle séjourne auprès de Pierre
d’Andouque, évêque de Pampelune, et l’on peut
supposer qu’il évoque avec lui la double vocation, civile
et militaire, qui peut incomber à Roncevaux.
12e siècle
Au tournant du siècle, le pape
presse le clergé de Compostelle de se donner un nouvel évêque
et insiste en 1100 pour que les nobles et le clergé galiciens ne
se rendent plus en pèlerinage à Jérusalem désormais
libéré où ils n’ont que trop tendance à
demeurer, affaiblissant ainsi le flanc occidental de la chrétienté.
En 1101 ou 1104 les Bénédictins de
Conques reçoivent la propriété de l’hôtellerie
de Burguete sous le pas de Cize. Ils apportent au mythe jusqu’alors
seulement héroïque de Roland la dimension hagiographique qui
fera de lui un martyr de la foi, comme il ressort du nécrologe
de Saint-Romain de Blaye - reproduit par le futur Guide du Pèlerinage
- où Roland est censé être inhumé.
En 1103 , peut-être en relation avec une visite
de Diego Gelmirez, évêque de Compostelle, à Saint-Martial
de Limoges, le récit de translation dit de Gembloux est rédigé
dans la forme d’une liturgie de saint Martial. Il sera repris dans
les compilations ultérieures placées sous le patronage du
pape Calixte.
Sans doute en 1105, à l’occasion de la dédicace de
la cathédrale de Compostelle, le 21 avril, soit un an jour pour
jour après la basilique de Vézelay, maître Panicha
refond les hymnes liturgiques anciennes attribuées au pape Léon
qui figureront désormais sous cette double attribution.
En 1108, à la suite de la défaite
d’Uclès, première bataille de la Reconquista, dans
laquelle meurt le fils d’Alphonse VI, le premier récit de
la bataille de Roncevaux est rédigé, sans doute par les
soins de Pierre d’Andouque, évêque de Pampelune. Il
a pour but non seulement de souligner la valeur guerrière du jeune
héros, mais d’excuser la défaite en la mettant sur
le compte de la trahison par Ganelon et de redonner l’espoir en
évoquant le retour victorieux de Charlemagne. Utilisé à
des titres divers par toutes les versions ultérieures, ce texte
que nous ne possédons plus sous sa forme originale, ancre la légende
de Charlemagne et Roland en Espagne dans la première station du
chemin espagnol de Saint-Jacques en lui conférant un prestige sans
pareil.
Au cours des années suivantes, la légende rolandienne essaime
à la fois hors de sa vocation locale première et de ses
attaches pieuses avec saint Jacques. Les textes français, dont
la branche I de la Karlamagnussaga norroise nous a conservé la
traduction tardive, attestent son transfert dans le registre des cantilènes
populaires chantées dans les foires, qui s’intéressent
aux incestes et adultères dans les coulisses de la politique, comme
au décorum chevaleresque qui entoure les grands de ce monde (pipolisation
!). A l’inverse, et sans doute en réaction, la Trahison de
Ganelon latine (Carmen de proditione Guenonis) drape l’événement
dans le style de l’épopée antique en hexamètres
ampoulés qui visent à ’élever le récit
au niveau de la dignité impériale.
En 1119-1120, la légende rolandienne retrouve ses attaches compostellanes
avec l’autobiographie, évidemment fictive, de l’archevêque
Tylpin, ancien moine de Saint-Denis où est rédigé
ce texte (BnF, manuscrit latin 5943B), qui porte ici son nom réel.
Elle est destinée à faire pendant au récit de Roncevaux
de 1108 qui est celui d’un échec au retour vers la France,
en montrant Charlemagne partant vers l’Espagne et y remportant des
succès. Ce récit débute d’une manière
éclatante par l’apparition de saint Jacques à un Charlemagne
dont les traits rappellent le roi de Castille/empereur d’Espagne
Alphonse VI pour lui enjoindre de se rendre en Galice et d’y délivrer
son tombeau. Évoquant la voie lactée et les innombrables
pèlerins futurs de Compostelle, cette représentation très
prégnante doit inciter la chevalerie française à
s’associer au projet de croisade espagnole du pape Calixte II récemment
élu à Cluny et qui séjourne à Saint-Denis
en marge de sa participation au concile de Reims, immédiatement
avant que Compostelle ne soit promu au rang d’archevêché..
De 1120 à 1125, le moine Turoldus (alias Thérould d’Envermeu),
ancien évêque de Bayeux, est chargé, à la même
fin de croisade que projette le pape, de composer à l’abbaye
du Bec une adaptation vernaculaire de la légende rolandienne. Celle-ci
se présente sous un aspect délibérément hybride.
D’une part elle opère en tant que clércale, la synthèse
des sources savantes (Bataille de Roncevaux, Carmen de proditione Guenonis,
Autobiographie de Tylpin mentionnés ci-dessus), d’autre part
elle adopte un style de chanson de geste qui est celui des jongleurs populaires.
Elle traite de la guerre sainte contre les païens dans des laisses
qu’elle marque du sigle AOI (Alpha Oméga Iesus), tandis que
les laisses non siglées développent les aspects pittoresques
et symboliques des mêmes événements. Un assez grand
nombre de manuscrits tant étrangers que français permettent
de suivre d’assez près la genèse de l’œuvre,
dont la forme la plus aboutie est attestée par le manuscrit d’Oxford,
tandis que d’autres versions, entre autres franco-italiennes, ajoutent
des continuations à des états textuels antérieurs.
C’est une œuvre de piété, de chevalerie et de
propagande, inspirée des idées politiques et esthétiques
de Suger, dans laquelle Charlemagne s’identifie au roi de France
Louis VI. La mort du pape Calixte, à la veille de Noël 1124
et l’abandon du projet de croisade par son successeur interrompt
la rédaction du poème. Vers 1135, elle est reprise au profit
de l’épisode de Baligant, pour lequel Turoldus, exploite
la chanson occitane de sainte Foy non sans remanier l’ensemble de
son texte.
En 1131, sur fond de schisme pontifical, le patriarche
de Jérusalem, Guillaume de Messines, envoie le chanoine régulier
de saint Augustin Aimeric Picaud à Compostelle en passant par Cluny,
où s’est réfugié le pape Innocent II chassé
de Rome par l’antipape Anaclet. Aimeric Picaud est chargé
de remettre au pape la soumission du patriarche de Jérusalem et
de l’évêque de Bethléem. Il rencontre à
cette occasion le bibliothécaire de Cluny, Pierre de Poitiers,
Albéric, abbé de Vézelay et vraisemblablement aussi
Suger, abbé de Saint-Denis, venu faire allégeance au pape
de la part du roi de France. Guillaume de Messines a confié à
Aimeric quelques miracles qu’il a composés en l’honneur
de saint Jacques. Son émissaire accroîtra en cours de route
sa collection en y ajoutant des miracles italiens, des miracles empruntés
à ceux de saint Gilles et des miracles rhodaniens en remontant
vers Cluny, puis des miracles copiés sur ceux de saint Léonard
en redescendant vers Compostelle, où il recueillera enfin quelques
miracles espagnols. Sa collection ne va pas au-delà de 1135. C’est
l’année ou s’achève la cathédrale de
Compostelle, et les Miracles qui montrent saint Jacques protégeant
inlassablement ses pèlerins sur les chemins sont bien faits pour
inciter les fidèles à ne pas redouter les dangers du pèlerinage.
Après 1139, année marquée par le passage à
Compostelle du légat pontifical Albéric d’Ostie qui
ajoute un miracle à la collection d’Aimeric, la mort de Diego
Gelmirez et donc l’arrêt de la rédaction de l’Historia
Compostellana écrite à sa gloire, il semble que l’idée
soit venue à Compostelle de rassembler quelques textes propres
à former un dossier publicitaire en faveur du sanctuaire qui va
connaître quelque turbulences. Une compilation se constitue qui
réunit derrière une lettre évidemment apocryphe du
pape Calixte, qui raconte la visite d’Aimeric Picaud à Cluny,
un dossier sur la Translation, comprenant la quatrième version
de la lettre du pape Léon et la Translation de Limoges/Gembloux,
les trois solennités de saint Jacques parmi lesquelles apparaît,
soi-disant instituée par saint Anselme, une fête des miracles
le 3 octobre, et le recueil des Miracles, attribué lui aussi au
pape Calixte.
A côté de cette compilation de teneur
strictement ecclésiastique, une autre se forme parallèlement,
qui consiste à réunir en un volume les deux textes complémentaires
que sont l’Autobiographie de Tylpin et la Bataille de Roncevaux.
Le résultat de cette fusion est l’Histoire de Charlemagne
et de Roland placée cette fois tout entière sous la responsabilité
autobiographique de l’archevêque Turpin qui retrouve son nom
de guerre. Le contenu des deux composantes qui s’y trouvent réunies
est modifié en conséquence. Puisque les temps ont changé,
le personnage de Charlemagne dans la première partie prend les
traits de l’empereur d’Espagne Alphonse VII, dans la seconde
partie l’archevêque Turpin est éloigné du combat
de Roncevaux, auquel il doit survivre pour en parler savamment. Les deux
parties reçoivent en outre un grand nombre d’adjonctions
pieuses qui leur donnent un caractère parénétique
et moralisateur.
Dans un premier temps, la compilation jacquaire
et la compilation rolandienne sont rapprochées au point de n’en
plus former qu’une, l’Histoire de Charlemagne et de Roland
du Pseudo-Turpin figurant en tête du nouvel ensemble, avant même
la lettre apocryphe du pape Calixte. Il semblerait que cette nouvelle
compilation puisse être attribuée à Pierre de Poitiers,
venu de Cluny pour contribuer à la traduction la tine du Coran.
1144-1159 : C’est seulement au cours d’une étape ultérieure
que cette compilation change l’ordre de ses composantes. La lettre
du pape Calixte passe en tête, suivie des Translations et des Miracles,
puis de l’Histoire de Charlemagne et de Roland. L’ensemble
prend alors le nom de Livre des Miracles de saint Jacques du pape Calixte.
Il n’adopte pas pour autant une forme immuable : l’Histoire
de Charlemagne et de Roland y connaît des versions successives,
qui ont entre autres pour but de souligner que l’empereur d’Allemagne,
Frédéric Ier revendique l’héritage de Charlemagne.
En outre apparaissent des textes satellites, sur saint Eutrope de Saintes,
sur les Navarrais, sur la mort de Turpin, sur l’émir de Cordoue,
etc. A la fin de la compilation figure un poème d’Aimeric
Picaud, qui n’est qu’une table des matières versifiée
du recueil de miracles, ainsi qu’une authentification apocryphe
de l’ensemble par le Pape Innocent II, elle-même confirmée
par des cardinaux.
Vers 1160, le Livre des Miracles du pape Calixte, s’enrichit encore.
Les textes épars tendent à se regrouper et à former
le contenu d’un volume qui sera placé en aval et deviendra
le Guide du Pèlerinage. D’autre part, une vaste compilation
liturgique de sermons et d’offices se constitue et prendra la première
place. Ainsi se constitue le Jacobus, que la critique moderne a dénommé
le Livre de saint Jacques. Cet ample dossier qui rassemble l’essentiel
de ce qui a pu être dit en l’honneur du saint, à l’exception
de l’invention de son tombeau, remplit à divers titres une
fonction critique à l’égard de l’archevêché
de Compostelle. Non seulement elle condamne certaines prébendes
ecclésiastiques des chanoines, mais la somptueuse liturgie laisse
bien entendre que l’on n’est pas en mesure sur place de s’en
doter soi-même. Tout en essayant d’y reprendre la main, alors
même que les Cisterciens y sont désormais implantés,
Cluny adopte envers Compostelle une attitude colonisatrice.
Ce Jacobus ou Livre de saint Jacques n’est connu que par un manuscrit
de luxe appelé aussi Codex Calixtinus, composé à
Vézelay, copié à Cluny et relié à Aix-la-Chapelle.
Il fut vraisemblablement apporté à Compostelle en 1164 par
le cardinal archevêque de Mayence, Konrad von Wittelsbach, sur l’ordre
de l’empereur Frédéric Ier. Compte tenu de son contenu
critique l’archevêché de Compostelle ne lui a assuré
aucune diffusion. Les premières copies relativement complètes
datent du XIVe siècle et furent établies à l’intention
de hauts dignitaires ecclésiastiques. En revanche les diverses
versions du Livre des Miracles de saint Jacques du pape Calixte ont été
assez largement répandues au XIIIe et au XIVe siècle, et
plus encore la seule Histoire de Charlemagne et de Roland qui a été,
jusqu’à la redécouverte de la Chanson de Roland dans
les premières décennies du XIXe siècle, le seul texte
à transmettre à la postérité la légende
dans laquelle elle a plus d’une fois voulu voir une histoire.
Ainsi les contenus légendaires relatifs
à saint Jacques et à Roland, qui ont une tendance commune
à s’agglutiner séparément selon le mode de
la boule de neige, se sont-ils trouvés conjoints au XIIe siècle
en raison d’une convergence manifeste d’intérêts.
Mais ce ne sont pas toujours les mêmes intérêts. Dans
un premier temps, la légende locale de Roland à Roncevaux
se développe pour constituer une attraction à la fois religieuse
et touristique au profit de l’hospice des pèlerins qui connaîtra
effectivement une situation florissante par la suite. Après une
brève période de flottement pendant laquelle la légende
délocalisée oscillera entre le débraillé bon
chic bon genre et la solennité guindée, elle donnera lieu
à une récupération politique au plus haut niveau,
servant de vecteur aux ambitions impériales des souverains d’Espagne,
de France et d’Allemagne, servies par des clercs qui ont vu tout
le profit à tirer de cette désinformation en termes d’image
de marque. Et, de fait, elle éclipsa très largement en fin
de compte le simple fait religieux des trois tombeaux qui ont fondé
cette prétention suprême, ceux dans lesquels sont censés
reposer à chaque fois trois corps saints : de Jacques, Athanase
et Théodore à Compostelle, de Denis, Rustique et Eleuthère
à Saint-Denis, et de Gaspar, Melchior et Balthasar, les rois mages,
à Cologne.
Bernard Gicquel, janvier 2008
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