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Accueil mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

Geilon, évêque de Langres, est-il allé à Compostelle en 883 ?

Notre réponse : aucun document historique ne permet d’affirmer que Geilon est allé à Compostelle. Cependant, dès le XIIe siècle, l’historiographie a introduit ce pèlerinage dans sa vie.

Pourquoi ?

 

Geilon prend l'habit en 868 au monastère de Saint-Philibert de Noirmoutier, alors replié à Messaé (Deux-Sèvres, ar. Niort, c. Lezay) à cause des invasions normandes. Devenu abbé, il le transfère ensuite à Tournus en 875. Il fait preuve d'une grande activité, se rendant près du roi et du pape. Nommé évêque de Langres en 880 grâce aux appuis de Boson, roi de Bourgogne provençale et du métropolitain de Lyon. Sa nomination est contestée. A ce moment, il fait un voyage en Aquitaine d'où il rapporte les reliques de saint Prudent à l'abbaye de Bèze (Côte-d'Or, arr. Dijon, c. Mirebeau, diocèse de Langres jusqu'en 1731). Il s'emploie à rendre à son évêché les biens spoliés. En 888, il sacre roi de France Guy de Spolète, qui doit se retirer devant le capétien Eudes (888-898).

 

Ce voyage en Aquitaine est attesté par une charte rédigée par son successeur sur le siège épiscopal, Aigrin, le 12 avril 889. Cette charte mentionne la translation des reliques de saint Prudent de Narbonne à Bèze et du rôle joué par Geilon à cette occasion, mais ne dit pas un mot de pèlerinage à Compostelle. Il convient de signaler que cette charte est connue parce qu’elle est recopiée dans la chronique de Bèze [1] , rédigée par le moine Thibaud de Bèze en 1124. Néanmoins, c’est ce même Thibaud de Bèze qui, le premier, parle du pèlerinage à Compostelle, peu après 1124, lorsqu’il écrit une Vie de saint Prudent [2] , après un séjour en pays narbonnais où il a pu recueillir des éléments de la vie de saint Prudent, il écrit : «Avec l'aide de Dieu, il [Geilon] suivit une route si heureuse qu'elle le conduisit jusqu'à la demeure de l'apôtre Jacques, illustre dans le monde entier et située presque au bout de la terre, sur les bords de l'Océan. Ensuite, ayant accompli ses vœux, en revenant plein de joie, le saint pontife parvint en Aquitaine».

 

Certes, il a pu recueillir là-bas des informations nouvelles. Mais surtout cette mention lui a vraisemblablement été suggérée par la lecture de la Chronique de Turpin récemment écrite, lui ayant remis en mémoire la présence ancienne, dans sa cathédrale, d’un bras de saint Jacques. En effet, cette relique est attestée par un document signé de l’empereur Louis le Pieux, le 9 septembre 814, répondant à une demande de Geilon : «Nous accédons volontiers à sa demande et nous lui faisons décerner ce précepte pour l'amour de Dieu Tout-Puissant et de saint Jacques, apôtre et frère du Seigneur dont le bras est conservé dans cette église [3]»

 

D'où venait le bras de saint Jacques ? Bras du Majeur ou du Mineur ? Aucune importance au XIIe siècle. Le fait que Louis le Pieux le cite prouve sa présence et suggère que des pèlerins lui rendaient déjà un culte en 814. Mais Thibaud de Bèze n’en profite pas pour prétendre que ce bras fut ramené de Compostelle par l’évêque, puisqu’il savait qu’il y était déjà plusieurs décennies auparavant. Au XVIIe siècle, un chroniqueur n’a pas ces soucis de vérité et n’hésite pas à affirmer que ce bras avait été rapporté de Compostelle par Geilon [4] :
«Un des actes les plus fameux de Geilon, et qui fut presque le premier qu'il accomplit après son entrée en charge, fut son pèlerinage à Compostelle, d'où il rapporta un bras de l'apôtre saint Jacques, le corps de saint Prudent qui fut jadis archidiacre de Narbonne et martyr, et encore bien d'autres reliques sacrées ; il les déposa avec respect en partie dans sa cathédrale, en partie à Bèze»

Trois siècle plus tard un chercheur, recopiant sans étude critique ce chroniqueur, affirme à son tour [5]:

«De son pèlerinage à Saint-Jacques, l'évêque Gilon rapporta un bras de l'apôtre et, sur le chemin du retour, de passage dans la campagne narbonnaise, il s'arrêta pour la nuit près d'un sanctuaire délabré. Il en enleva les reliques de saint Prudent, martyr de Narbonne. Le mauvais état de la châsse de bois qui les renfermait justifiait une translation dans un lieu plus digne du saint. Il les dépose à l'abbaye de Bèze»

Il est bien évident que les chercheurs qui se sont intéressés à la question ont douté de la réalité de ce pèlerinage à Compostelle. Il serait néanmoins dommage de rejeter cette histoire qui montre qu’en 1124, en une époque où Compostelle appelle à l’aide la chevalerie d’outre-Pyrénées pour les aider à sauver le trône d’Alphonse VII, la réalité historique d’un pèlerinage à Compostelle va de soi pour un moine.

 

BIBLIOGRAPHIE :
Pétouraud, Charles, «Geilon, pèlerin de Compostelle en 883 ?», Albums du Crocodile, Lyon, mars-avril 1954 Vielliard, Jeanne, «Le plus ancien pèlerin de Compostelle», Compostelle, n°25, 1967, p. 41
Viard, Paul, «Gilon a-t-il été à Compostelle à la fin du IXe siècle ?», Compostelle, n°25, 1967, p. 46-47

 

[1] Chronique de Bèze, éd. d'Achery, Spicilegium, sive Collectio veterum aliquot scriptorum qui in Galliae bibliothecis delituerant, Paris, 1655, t.I, p. 530 (éd. in-4°)
[2]Thibaud de Bèze, «Actes, Translation et Miracles de saint Prudent, martyr», Acta Santorum, éd. Paris, Octobre III, p. 352.
[3]Gallia Christiana, éd. 1715, t. IV, Instrumenta, p.129.
[4]Vignier, Jacques, Chronique de Langres, Langres, 1665
[5]M. Chaume, Recherches d'histoire ancienne et médiévale, IV, A propos de saint Prudent, Traits de mœurs des IXe et Xe siècles, Dijon, 1947, p. 85-93

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