page établie le 8 juin 2004
mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil

Les femmes en pèlerinage

L'imagerie traditionnelle montre volontiers des pèlerins. Le pèlerinage était-il une entreprise uniquement masculine ? En avant-première du colloque de Liège, programme nous vous proposons quelques informations sur ce thème. Voir aussi notre article sur les reines et princesses en pèlerinage dans le chapitre des portraits et témoignages de pèlerins.


D’une façon générale, ni l’Eglise ni la littérature n’encouragent les femmes à courir les routes, par crainte de débordements contraires à la morale.
Vers 1175, l’évêque de Rennes Etienne de Fougères, dans son Livre des manières, raconte comment une femme mariée peut facilement rencontrer son amant : elle se déclare malade, se fait conseiller un pèlerinage et obtient le consentement de son mari. Les vingt-deux miracles de saint Jacques repris par le Codex Calixtinus ne mettent en scène que deux mères d’adolescents et une vieille, toutes trois assez âgées pour décourager les séducteurs. Vers 1180, un récit hagiographique présente cependant une jeune fille originaire de Toulouse, délivrée du démon à Oviedo grâce à des séances d’exorcisme pratiquées en présence de reliques de saint Jacques. Le récit se termine ainsi : « Elle partit alors pour Saint-Jacques, Sainte-Marie de Rocamadour et Saint-Thomas de Cantorbery, puis vers Jérusalem et le Saint-Sépulcre ».

La littérature n’est pas plus incitative et détaille les dangers qui guettent les honnêtes femmes. Floire et Blancheflor, vers 1150, est l’histoire d’une jeune noble, veuve et enceinte qui avait fait vœu d’aller à Compostelle. Malgré la compagnie de son père, elle est capturée par des Sarrasins. Au début du XIIIe siècle, La fille du comte de Pontieu, partie avec son mari demander un enfant à saint Jacques, se fait violer en Galice et se retrouve dans un harem. Au XIVe siècle, le Dit des annelés raconte le pèlerinage d’un jeune chevalier dont l’épouse est séduite sur la route par un chevalier célibataire. Seul Le livre de Ponthus, filz du roy de Galice et de la belle Sydoine fille du roy de Bretaigne s’achève en apothéose sur un pèlerinage « à Saint-Jacques en Galice », mais il s’agit d’un retour au pays. Au XVIIe siècle un bon moine de Limoges raconte le décès d’une jeune pèlerine dont le mari a poursuivi seul sa route. Au retour, il meurt sur la tombe, la défunte se pousse pour lui faire place dans son cercueil. Au XVIIIe siècle une pièce allemande, le Pèlerinage à Compostelle envoie en Galice une jeune fille qui fuit l’amour, en compagnie d’un vieil ermite. Mais le mode est plus léger, bien que tout aussi moral.

De fait, on trouve peu de femmes sur les grandes routes de pèlerinage (à peine 10% si l’on peut se risquer à avancer un chiffre). En 1272 à Toulouse passent un homme et deux femmes, marchands d’aiguilles se disant « des pèlerins voulant aller à Saint-Jacques », dont on ne sait pas s’ils sont d’honnêtes commerçants ou des hérétiques.
La présence de femmes sur les routes de Compostelle est parfois évoquée dans les statuts de confréries d’anciens pèlerins, ainsi à Bagnères-de-Bigorre en 1325 ou celle du Mans en 1490, qui admettent les « sœurs qui firent le saint voyage ». La confrérie de Paris prévoit même que si une femme a accompli le pèlerinage en étant enceinte, son enfant sera confrère comme elle. De fait, c’est un état qui ne semble pas effrayer les femmes. En 1384, l’une d’elle accompagne ainsi son mari ménestrel, et marche depuis l’Angleterre jusqu’en Navarre. Une autre Anglaise, Margerie Kempe, semble plutôt partir pour fuir les maternités. Après avoir accouché de quatorze enfants dont un seul survit, et souffert de dépression, elle convainc son mari de faire vœu de chasteté et part pour Rome, Jérusalem et Saint-Jacques.
Hormis une chambrière de l’hôpital Saint-Jacques-aux-pèlerins de Paris qui, à l’âge de quatre-vingts ans, se lance seule sur les routes (elle s’arrête, épuisée, à Oviedo), les autres sont accompagnées de leur mari, telle la femme de Jehan Dynant qui part aussi de Paris, à cheval avec son époux.
Au XVe siècle part de La Rochelle un curieux quatuor, deux hommes dont un boucher accompagnent les épouses de deux bourgeois. En ce même XVe siècle, une autre femme part de La Rochelle, Marie d’Anjou, la mère de Louis XI. Officiellement, elle va s’assurer que le vœu des rois de France d'entretenir les cierges allumés dans la chapelle des rois de France était exécuté. Avait-elle un autre but ? Un but diplomatique ? La malheureuse, partie en novembre a dû prendre froid car elle mourut au retour, près de Parthenay. Trois ans plus tard, en 1466, c’est la tante du roi qui part à Compostelle, Marguerite de Savoie, comtesse de Wurtenberg. Elle est en grand équipage, Louis XI la rencontre et la recommande aux villes placées sur son chemin.
Au temps des guerres de Religion, lorsque passent beaucoup de pèlerins se rendant à Compostelle, un prêtre de Provins voit passer « hommes et femmes ». En 1592 à Chalon-sur-Saône, la confrérie compte cinquante anciens pèlerins dont onze femmes et en 1598 quatre-vingt-quinze dont quatorze femmes.
La réalité autant que la fiction montrant que les femmes furent peu nombreuses sur les routes, la majorité des autres dut sans soute se contenter de rêver en frissonnant de la grande aventure, la grande marche vers Compostelle.


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