Ami baliseur,
Non n'ayez pas honte du travail accompli. Mais informez-vous
du cadre global dans lequel vous avez effectué, avec tant d’autres,
ce travail bénévole. Beaucoup de choses sont cachées
derrière les « chemins de Compostelle ». Nous allons
tenter de vous aider à les décrypter par un survol rapide
que vous pourrez compléter par divers articles du site.
De même qu’il n’y a ni vrais ni faux pèlerins, il
n'y a pas plus de fausses bornes que de vrais chemins, seulement
des approches différentes et des esprits qui mériteraient
tous d’être plus « pèlerins », c’est-à-dire
tolérants et ouverts. Quant aux « coquillards »,
ils n’ont rien de spécifique aux chemins de Compostelle.
L'accusation de "coquillard" fait sourire. Qui ne cherche
pas à utiliser à son profit l'image que l'Espagne a su
donner de Compostelle ? Ils se trouvent çà et là sous
des formes diverses, très nombreux si l’on met sous ce
mot l’idée que chacun recherche d’abord son intérêt
même sous couvert de service. Nous oublierons donc cette accusation
pour éviter les passions. Votre message soulève plusieurs questions qu’il convient
de voir dans leur évolution historique sur plus d’un siècle
avec une grosse accélération depuis 25 ans :
• le choix des villes étapes proposées aux pèlerins
• comment passer d’une ville étape ou d’un sanctuaire
au suivant ?
• les critères de tracés d’itinéraires – de
chemins - entre ces villes pour aujourd’hui
• les structures responsables de ces choix et leurs relations
entre elles
• l’impact des décisions politiques
• les implications économiques des choix d’itinéraires
Mais la question essentielle pour notre Fondation est celle de
l’information des marcheurs et des pèlerins.
Le choix des villes étapes proposées aux pèlerins
D'abord une chose aujourd'hui certaine : il n'y a pas de chemins
historiques. Les quatre routes dites historiques ont été révélées
seulement en 1882 par l’édition latine du dernier Livre
du Codex Calixtinus, manuscrit de Compostelle, inconnu avant cette
date. Pour les parcours en France, ce Livre ne décrit pas des
itinéraires mais indique des listes de sanctuaires à visiter,
c’est à dire des étapes.
Deux idées sont
nées de la lecture de ce Livre :
• celle –justifiée
par les premiers mots du Livre - des routes historiques
• celle – totalement
imaginée - de rassemblements de pèlerins dans des sanctuaires
points de départ qui ne sont en fait que les bornes de la grande
Aquitaine du XIIe siècle.
Les « routes historiques » sont
nées en reliant entre elles tant bien que mal les étapes.
De premières cartes ont été dessinées alors
que les premiers touristes s’en allaient à Compostelle.
Lorsque les liens manquaient il a été imaginé que
tout édifice au vocable
Saint-Jacques (église, hôpital ...) représentait
une balise sur les chemins de Compostelle (plus tard certains
ont attribué
la même valeur à des objets aussi mobiles que des monnaies,
des statues, une chasuble ... ou une coquille dans une tombe).
Ce dernier Livre du Codex Calixtinus a été traduit
en français
en 1938 sous le titre de Guide du pèlerin que ne comportait
pas le manuscrit. Le choix de ce titre dans l’ambiance du développement
du tourisme et des congés de cette époque a été déterminant
pour toute la suite de l’histoire des chemins de Compostelle.
Après la seconde guerre mondiale, l’enthousiasme des érudits
des années 1950-1970 a validé sans études historiques
sérieuses les itinéraires déjà tracés
entre ces villes sans vérifier les premières hypothèses.
Ce fut une énorme erreur de méthodologie. Ces itinéraires
ont ensuite été matérialisés
par des panneaux à l’entrée
des villes ou sur des monuments dans un souci de promotion de
Compostelle. Ceux qui prétendent aujourd’hui baliser des
itinéraires
historiques sur la base de ces travaux se trompent et trompent
les pèlerins. Il y a des lieux qui ont une histoire intéressante,
le plus souvent une histoire locale propre, indépendante de
Compostelle et des lieux où des passages de pèlerins
sont attestés mais il n'y a pas d'itinéraires historiques
en dehors de ceux des pèlerins
connus.
Comment passer d’une ville étape ou d’un sanctuaire
au suivant ?
A chaque époque, les pèlerins sont passés par
les routes et les itinéraires de tout le monde : marchands,
artisans, soldats, religieux ... ils appartenaient souvent eux-mêmes à l'une
ou l'autre de ces catégories. Ils empruntaient les moyens de
communication de leur époque selon leur rang social et leurs
moyens. Ainsi ont fait les premiers pèlerins de Compostelle
modernes. Plusieurs facteurs ont contribué à une évolution
progressive :
• le souci de certains pèlerins de se mettre dans les conditions
qu’ils pensaient être celles des pèlerins médiévaux
donc d’éviter les routes modernes et de marcher sur des
chemins
• le développement de l’automobile et des moyens de transport
mécaniques
• l’explosion de la marche à pied et le besoin de retour à la
nature d’une population de plus en plus citadine (ce ne sont
que rarement des paysans qui partent en pèlerinage lointain)
Il est intéressant de noter qu’encore au début
des années 1980 le développement du pèlerinage à pied
sur notre territoire n’était pas soupçonné même
par les promoteurs les plus ardents de Compostelle.
Les structures responsables de ces choix et leurs relations
A partir de la fin des années 1960, le Comité Français
de la randonnée pédestre (devenu FFRP) a entrepris le
balisage de chemins de Saint-Jacques dans la suite de son travail déjà ancien
sur les chemins de randonnée. Le premier fut celui au départ
du Puy (premier topo-guide en 1972). (A ce propos, nous sommes étonnés
de la mention de 30 ans de travaux sur le GR 654).
Le développement du pèlerinage à pied dans les
années 1980 et le souci des premiers pèlerins de rendre
service à leurs successeurs a naturellement conduit à la
création d’associations d’anciens pèlerins
qui ont eu le souci de définir et baliser des chemins dans leur
périmètre géographique (département, région,
territoire ou pays …). Ce travail associatif a le plus souvent été conduit
en relation avec les Comités locaux de la FFRP car bien des
pèlerins étaient des marcheurs mais ce ne fut
pas partout le cas.
La FFRP et les associations travaillent dans un cadre administratif
et politique qui impose ses propres contraintes. Par chance,
la FFRP a réussi à obtenir une place prééminente
qui lui permet de proposer et conduire une politique nationale
en bonne harmonie avec la plupart des acteurs. Elle est ainsi devenue
l’un
des garants majeurs de la pérennité des chemins mais
rien n’est jamais définitivement gagné.
Certaines associations, dont celle qui vous fait des reproches,
se sont approprié des itinéraires et les définissent
avec leurs propres critères en traitant directement avec les
autorités politiques et administratives locales. C’est
une réalité sans doute inéluctable avec l’augmentation
des pouvoirs des collectivités locales. C’est aussi une
bonne chose dans la mesure où elle permet une approche globale
d'une voie avec des critères différents de ceux de la
FFRP. Le danger est que ces associations aient tendance à imposer
leurs choix comme les seuls valables. Une bonne coopération
des différents acteurs devrait permettre de proposer en commun
aux pèlerins des choix clairs.
Il semble en outre que dans un
département
sur cette voie de Vézelay des ambitions politiques locales fassent
naître un autre tracé alternatif.
Il est regrettable que les associations de pèlerins n’aient
pas su développer avec la FFRP au plan national un partenariat
qui aurait été bénéfique pour tous. L’étude
de leurs comportements et de leurs relations dépasse le cadre
de cette réponse. Il est dommage qu’elles n’aient
pas su se fédérer comme l’ont fait les associations
de marcheurs. Les particularismes, les ambitions personnelles
et les différents idéologiques ont été les
plus forts. Marcheurs et pèlerins n’ont
pas forcément les mêmes besoins. Leur coopération
aurait été utile.
Les critères de tracés d’itinéraires – de
chemins - entre ces villes
La FFRP a représenté d’abord le
monde de la marche sportive, liée au camping. Son objectif n'était
pas de faire des itinéraires de pèlerinage au long cours.
Dans l'optique de la randonnée pédestre, il s'agissait
de définir des sentiers permettant de visiter des régions
touristiques, en évitant les voies goudronnées et sans
souci d'aller au plus court. Elle donne parfois même l'impression
de vouloir éviter à tout prix les lignes droites (comme le suggèrent
les GR qui serpentent autour d’allées forestières
rectilignes sur de longues distances qui conviendraient bien
aux pèlerins).
Il est donc certain que les itinéraires proposés par
les GR accroissent la longueur du parcours par rapport à ceux
qui empruntent de petites routes, et cherchent le plus droit
plus que le pittoresque. Les reproches qui sont faits sur l'augmentation
des
distances en découlent et ils sont justifiés. Mais libre
à chacun de suivre l'itinéraire de son choix. L'important est
que tous soient proposés sans faire de certains des points de
passagge obligés, par tradition ou par souci d'une authencité mal
placée.
Cette philosophie du GR est toujours celle de la FFRP qui
ne s'est pas occupée de grands itinéraires pèlerins
car ce n'était pas son objectif. Elle ne répond pas au
besoin du pèlerin au long cours qui doit aller loin donc
au plus court et n'a pas toujours l'entraînement des marcheurs.
(Exemple : dans le sud de l'Indre, le GR suit les boucles
de la Creuse, par des chemins de chèvre qu'il est anormal de
proposer à un
pèlerin de Compostelle).
Limitées à leur territoire, les associations de pèlerins
n’ont pas su non plus développer cette notion d’itinéraire
de pèlerinage empruntant des éléments de voiries
diverses : petites routes, chemins vicinaux, PR, GR, voire grandes
routes aménagées pour la sécurité des piétons
comme cela commence à être fait. En ce sens les associations
couvrant l’ensemble d’une Voie sont une bonne initiative.
Il resterait à les faire fonctionner partout de façon
vraiment associative et non autocratique.
GR et grands itinéraires pèlerins européens devraient
dans l’avenir coexister et pas seulement dirigés vers
Compostelle. Les efforts d’une association comme la Via Francigena
(Canterbury-Rome) ouvrent la voie à une nouvelle approche.
Tout cela finira par s'arranger sous la pression du bon sens
et de la demande ... Il restera des GR Saint-Jacques que vos successeurs
baliseurs continueront à entretenir avec dévouement pour
la joie de marcheurs entraînés ou "anciens chasseurs
alpins" ... Chaque pèlerin fera son chemin à partir
de chez lui, vers le sanctuaire de son choix en passant par où il
voudra, GR ou PR, petite route ou plus grande, partie en autocar ou
autrement selon ses moyens, sa forme, le temps dont il dispose ...
son intérêt pour l'histoire, son besoin de mythes ou de
légendes.
D’autres chemins seront de plus en plus nécessaire pour
des vacanciers de plus en plus nombreux aux modes de locomotion diversifiés … ne
nécessitant pas de coordination nationale.
L’impact des décisions politiques
La décision, annoncée en 1984 et prise
en 1987 par le Conseil de l’Europe de définir les chemins
de Compostelle comme premier Itinéraire Culturel Européen
a donné à ces
questions un poids nouveau. Prise en faveur de l’Espagne qu’il
convenait de réintégrer dans l’Europe et d’aider
dans son développement économique elle a réveillé des
ambitions et fait naître des espoirs de financements.
Avec la
bénédiction sans doute trop rapide du Conseil de l’Europe
des chemins de pèlerinage ont été définis à la
hâte pour relier Compostelle à la plupart des
pays européens. Des experts aux vues homogènes les ont
validés,
étendant à l'Europe entière les erreurs méthodologiques
faites en France, et écartant les voix discordantes. Un journaliste
a rapidement édité un guide routier sous
le titre trompeur de Guide européen des chemins de Compostelle.
Un livre truffé d'erreurs et d'approximations,
illustré de
photos souvent mal légendées, édité par
un grand éditeur
parisien, imprudemment ou complaisamment préfacé par
un ancien archevêque de Compostelle et par un haut fonctionnaire
du Conseil de l'Europe, "soutenu" par une "association" qui
n'en est pas une.
Les «coquillards» se sont alors mis à l’œuvre
par souci politique, pour le développement économique
ou par ambition personnelle. Compostelle a progressivement été mis à toutes
les sauces et tout a été vu en fonction de Compostelle.
Nos amis Espagnols ont magnifiquement réussi leur marketing
avec l’aide efficace de Jean-Paul II, pèlerin en 1982
et y invitant les JMJ en 1989.
En France la loi de décentralisation a fait naître l’espoir
de financements régionaux importants qui a conduit à des
accords de coopération déséquilibrés bloquant
tout espoir d’une politique
nationale cohérente.
Les implications et les répercussions des choix d’itinéraires
Chacun essaye de profiter de l’impact attendu des chemins de
Compostelle pour des raisons économiques, politiques, idéologiques
ou de promotion personnelle.
Les aspects économiques sont loin d’être négligeables.
La FFRP est une grosse organisation qui doit bien vivre et trouver
des ressources. C'est le lot de chacun. Elle a eu la chance du mécénat
intéressé de GDF qui a su s’attirer ses faveurs
quand il lui a fallu défigurer des paysages pour ses travaux
d’équipement. Depuis la coopération continue, pas
toujours aussi ouverte qu’il serait utile, chacun ayant ses propres
contraintes. Les collectivités locales sont mises à contribution
? Pourquoi pas ? A elles de savoir juger de leurs intérêts
et de l’impact de leurs initiatives. Je serais étonné que
vos détracteurs qui se sont réservé la représentation
des clous en bronze en fassent cadeau. Les topos-guides sont aussi
une source de revenus importante convoitée par de nombreux concurrents
ce qui conduit à de nombreuses publications désordonnées
et sans intérêt qui rendent les choix bien difficiles
aux pèlerins mais enrichissent sans doute les éditeurs.
Alors qu’à l’origine les chemins étaient
conçus pour des campeurs, la question des hébergements
de populations de plus en plus exigeantes avec des contraintes administratives
croissantes est devenue majeure. Là sont des gisements de besoin
et de ressources. Le détournement d’un balisage peut favoriser
tel ou tel hébergement … les réseaux d’influence
ne manquent pas de jouer … et certaines associations ne se privent
pas de mélanger conseil aux pèlerins et prestations hôtelières.
Que toute l’infrastructure serve de support publicitaire n’est
pas pour étonner, c’est humain plus que «coquillard».
L’information de ceux qui empruntent ces itinéraires
Pour la Fondation, l'essentiel est de donner à ceux qui prennent
les chemins les informations les plus sérieuses et de les laisser
libres de leurs choix, sans imposer les nôtres comme ont trop
tendance à le faire les rédacteurs de guides. La pluralité des
propositions favorisera la pluralité des choix individuels.
La FFRP a joué un rôle majeur dans la promotion du pèlerinage.
La beauté et la difficulté des GR encouragent le pèlerinage
par tronçons comme cela est systématique sur la route
du Puy (« j'ai fait Compostelle du Puy à Conques » entend-on
dire).
Aujourd'hui les GR Saint-Jacques sont une réalité,
il convient de bien informer ceux qui les empruntent de ce qu'ils
sont : des chemins de marcheurs plus que de pèlerins au long
cours.
Les topo-guides ne sont sans doute pas assez explicites sur la
question des distances. En ce sens le reproche qui est fait de
donner des indications
de distance sans précision suffisante sur l’itinéraire
est justifié. Mais les fonds de cartes qu’utilise à juste
titre la FFRP et certains guides dont celui de la Voie de Vézelay,
permettent à celui qui veut s'écarter du GR de le faire.
Les pèlerins le font d’ailleurs souvent, même s'ils
n'osent pas le dire sous la pression du qu'en-dira-t-on. Il n’est
pas interdit d’exploiter
la documentation au lieu de se laisser guider par des panneaux
ou des flèches.
Un regret, les topos-guides de la FFRP ne sont pas toujours faits
avec le sérieux qui serait nécessaire pour les parties
historiques. Les relations personnelles de certains responsables
de la FFRP lui interdisant de prendre en compte les résultats
des travaux professionnels sérieux de spécialistes de
saint Jacques et c'est navrant.
Merci en tout cas de votre question qui nous a permis de préciser
certains points.
Nous espérons que cela vous sera utile et restons à votre
disposition.
Jacques d’Anvailles
Fondation David Parou Saint-Jacques
Citation du site qui a mis en cause notre correspondant :
Fausses bornes et vrais coquillards
La FFRP et ses comités départementaux, avec le concours
de leur "partenaire" Gaz de France, implantent sur des points
de plus en plus nombreux du GR 654, dit "de Vézelay" ou "via
Vézelay", des "jalons-bornes", indiquant la distance à parcourir
par les randonneurs sur le GR jusqu'à Santiago.
Cette distance par le GR est globalement supérieure d'environ
30 %, au moins, à celle que parcourt le pèlerin de Saint-Jacques
en suivant la voie historique de Vézelay et en passant, lui,
par toutes les étapes attestées.
Par ailleurs, ces "jalons-bornes" servent surtout de support
publicitaire pour la FFRP et GDF. Ceci tout bonnement aux frais du
contribuable, puisque ce sont les communes - à qui l'on fait
miroiter l'apport économique et touristique des éventuels "randonneurs-pèlerins" -
qui en financent elles-mêmes l'acquisition et la pose.
En un certain nombre d'endroits où les tracés se recoupent,
ces "jalons-bornes" sont implantés à proximité immédiate
ou sur le parcours de la voie historique (par exemple, en Limousin,
aux Billanges, à Saint-Léonard-de-Noblat ou à Limoges).
Cette situation tend, dans l'esprit du pèlerin peu averti à créer
confusion et doute quant au balisage à suivre et à la
distance à parcourir. Qui plus est, par ce biais, la FFRP donne
l'impression de s'annexer le balisage associatif, notamment en coquilles
de bronze, qu'elle n'hésite pas à mettre en avant et
en valeur dans son agenda des chemins de Compostelle 2004, mais en
se gardant bien d'indiquer qu'il s'agit d'une belle initiative de notre
association.
Que les pèlerins prennent donc garde et ne suivent en aucun
cas les indications du GR 654 !
|