Une
opération exceptionnelle a été menée à Grenoble sous l'égide du Commissariat
à l'énergie atomique (CEA) sur une statue de saint Jacques représentative
de la sculpture baroque du Lot. |
La statue avant
restauration
Nelly Blaya © Conseil
général du Lot, janvier 2007 |
Le Conseil général du Lot s'investit fortement en faveur
des Monuments historiques
Atypique
en raison du procédé d'irradiation et de son mode de financement, cette
restauration s'inscrit néanmoins dans le cadre des programmes de travaux
sur les objets mobiliers classés et inscrits, suivis et coordonnés par
la conservation des antiquités et objets d'art du Lot.
Cette mission relève usuellement du ministère de la Culture, mais est
assurée depuis 2003 par le Conseil général du Lot qui a décidé de s'investir
fortement en faveur des Monuments historiques.
Le Lot est ainsi le seul département en France à avoir accepté la gestion,
entre 2007 et 2010, des crédits de restauration auparavant alloués par
l'Etat aux communes et particuliers propriétaires d'édifices ou œuvres
protégés.
Concrétisant sa volonté d'œuvrer en faveur de la connaissance, la conservation
et la mise en valeur du patrimoine départemental, ce dispositif a d'ores
et déjà permis de relancer une politique de restauration des richesses
artistiques lotoises : vingt-trois opérations sur des retables, statues,
tableaux, ..., bénéficient en 2007 du concours financier du Conseil général
du Lot.
cliquer pour agrandir l'image |
L'année
2007 a vu la redécouverte d'une statue exceptionnelle, qui dormait paisiblement
dans une petite chapelle bordant le chœur de l'église Saint-Jacques-le-Majeur.
Lauréate
du concours national organisé par l'atelier Arc-Nucléart, sa restauration
a été entièrement financée par le mécénat et s'est accompagnée d'une inscription
à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en reconnaissance
de son intérêt patrimonial.
L'église
Saint-Jacques-le-Majeur, un des rares édifices du Lot placés sous la protection
du patron des pèlerins, est un remarquable monument érigé au cours du
second quart du XIVe siècle. Elle se distingue à la fois par la qualité
de son architecture gothique, mais aussi ses deux retables baroques qui
ornent les bras du transept.
Le chœur
de l'église abritait probablement jusqu'à la fin du XVIIIe siècle un troisième
retable, sans doute détruit au cours de la Révolution après que l'édifice
fut temporairement transformé en temple de la Raison par les tenants de
l'anti-christianisme. Ce maître-autel devait être encore plus monumental
que les retables latéraux, si l'on en juge par la taille des seules trois
statues aujourd'hui conservées : saint Pierre, saint Paul et saint
Jacques.
Les
figures de saint Pierre et saint Paul ont été entièrement repeintes, en
même temps que les deux retables secondaires, par Albert Bertoletti, peintre
italien qui réalisa entre 1872 et 1874 le décor pictural sur l'ensemble
des murs et voûtes de l'édifice.
Seule la
statue de saint Jacques échappa aux pinceaux des rénovateurs zélés du
XIXe siècle, et nous est ainsi parvenue à peu près intacte dans son état
de la fin du XVIIe siècle.
Une statue grandeur nature, sortie des ateliers
Tournié
|
Détail du visage de saint
Jacques avant restauration
Nelly Blaya © Conseil
général du Lot, janvier 2007 |
La statue
de saint Jacques ornait sans doute la travée centrale du retable du maître-autel
de l'église de Salviac, accompagnée de Pierre et Paul, les deux piliers
de l'Église qui trônent traditionnellement dans des niches latérales. Cheveux longs
et barbe bouclée, le saint au pied léger pointe l'index gauche vers les
cieux et tient dans l'autre main le bourdon du pèlerin auquel est accroché
une calebasse servant de gourde. Il est vêtu
de chausses nouées de sangles, d'une cotte (tunique pourvue de manches
et s'arrêtant au dessus du genou) et d'un surcot (habit sans manches et
fendu sur les côtés, au col boutonné et orné de deux grosses coquilles
Saint-Jacques). Il porte par-dessus son épaule la pèlerine, chaude cape
retombant jusqu'à ses pieds. |
Le départ de la statue
vers Grenoble
Nelly Blaya © Conseil
général du Lot, janvier 2007 |
Mesurant 1,95
m de haut, le corps central de la statue est réalisé dans un tronc de
tilleul évidé, tandis que les membres et parties inférieures y ont été
greffés à l'aide de nombreux clous aujourd'hui oxydés. L'œuvre se pare
d'une fine polychromie rosée pour les carnations et a reçu une dorure
à la feuille sur les vêtements. Cette dernière
a subi les assauts du temps et des petites mains de la paroisse qui, à
force de l'astiquer, ont usé l'or jusqu'aux apprêts blancs. Le bâton était
quant à lui recouvert de feuilles d'argent, dont seule l'assiette rouge
témoigne encore. Aucun document
historique ne permet de préciser la datation ni l'auteur des retables
de Salviac. Toutefois, les comparaisons avec d'autres œuvres similaires
dans le Lot laissent supposer qu'ils ont probablement été réalisés au
cours du dernier quart du XVIIe siècle par les ateliers de Jean II Tournié,
membre d'une célèbre famille de sculpteurs et menuisiers installés à Gourdon. Exemple parmi
d'autres, le saint Ferréol de Lherm présente les mêmes caractéristiques
que le saint Jacques de Salviac : yeux révulsés par l'extase, foisonnement
des cheveux ou bottes à mi-tibias. | |
Une restauration hors du commun : la radioactivité
contre les insectes
|
La statue en cours d'irradiation
aux rayons gamma
© Arc Nucléart / CEA Grenoble, 2007
En cours de restauration,
juste avant la pose d'une nouvelle dorure
© Arc Nucléart / CEA Grenoble,
2007 |
La commune de Salviac
fait partie des cinq lauréats du concours 2006 organisé par le Commissariat
à l'énergie atomique (CEA) et l'association des Maires de France pour
la préservation d'objets du patrimoine culturel en bois ou en cuir, appartenant
aux communes françaises. Elle s'est
ainsi vue offrir la restauration de la statue de saint Jacques, réalisée
par l'atelier régional de conservation Arc-Nucléart installé à Grenoble. Spécialisé
dans le traitement et la consolidation des bois gorgés d'eau, provenant
essentiellement de sites archéologiques subaquatiques, cet atelier intervient
aussi de façon plus classique sur tout type d'œuvre d'art en bois. Bénéficiant
des installations du CEA, la statue a fait l'objet d'une technique unique
en France d'exposition radioactive aux rayons gamma, destinée à éradiquer
tout insecte xylophage ou champignon, causes de lentes mais sûres dégradations
des bois anciens. L'irradiation
déstabilise les électrons qui gravitent autour des noyaux de l'atome,
provoquant un dysfonctionnement au sein de l'organisme vivant et entraînant
sa mort. Cette solution
est une alternative aux traitements plus courants de désinfestation des
œuvres en bois, que ce soit à l'aide de produits chimiques ou, plus rarement,
de privation d'oxygène (anoxie). Le décrassage
et le lent nettoyage des ors et polychromies ont permis de retrouver l'éclat
des décors d'origine. Ils ont été suivis de la fixation des écailles et
éléments les plus fragiles, de la purge des quelques rafistolages anciens
(notamment de cartonnages sur les pieds) et de la stabilisation des clous
contre la rouille. Afin de ne
pas perturber la lecture globale de l'œuvre, il a été fait le choix de
réintégrer partiellement les dorures par trop altérées, notamment sur
l'avant-bras droit : la pose d'aquarelle sur les rebouchages permet néanmoins
de conserver la distinction entre l'or ancien et les ajouts modernes. Enfin, il
a été décidé, en concertation avec la municipalité et l'atelier de restauration,
de ne pas remodeler le nez du personnage, considérant que cet accident
de l'histoire n'altère en rien la compréhension du visiteur et suscite
au contraire son pouvoir d'imagination. |
La
statue a ainsi repris place dans le chœur de l'église de Salviac en septembre
2007,
à l'occasion des Journées européennes du Patrimoine.
|
Auteur
Nicolas Bru, chargé du patrimoine au Conseil général du Lot, conservateur
des antiquités et objets d'art.
Auteur des photographies
Nelly Blaya, photographe au Conseil général du Lot
Bibliographie
- Boyer d’Agen, "La Révolution à Salviac", in Bulletin de la Société
des Etudes du Lot, 1934, pages 155 à 166.
- Rousset Valérie, L'église Saint-Jacques-le-Majeur de Salviac, notice
de présentation pour le site Internet http://www.patrimoine-lot.com/.
|