Au Moyen Age, il semble que la place des nobles dames ne soit pas sur les routes de Saint-Jacques de Galice. La reine Blanche de Castille se vit dissuadée d’entreprendre un tel voyage et seule la reine-mère Marie d’Anjou l’accomplit, en 1463.
Quant aux princesses, il faut des circonstances exceptionnelles - sainteté
latente, guerre ou diplomatie - pour qu’elles aillent jusque là- bas,
dans des équipages impressionnants qui ne les font pas passer inaperçues.
D’autres, plus discrètes, se contentent d’envoyer des pèlerins (salariés
ou pénitentiels) prier pour leurs intentions, ou encore de faire des fondations
locales à saint Jacques. Dans la littérature chevaleresque, les princesses
pèlerines occupent également une place modeste, avec des rôles de composition
-accomplissement d’un vœu, expiation ou adultère- propres néanmoins à
faire rêver les belles lectrices, toutes celles qui ne partiront jamais.
On trouve peu de femmes sur les grandes routes de pèlerinage (à peine 10% si l’on peut se risquer à avancer un chiffre) et à plus forte raison peu de femmes de sang royal, peut-être à cause du mauvais souvenir laissé par la croisade entreprise en 1147 par Louis VII, accompagné d’Aliénor. En effet, si l’on en croit le chroniqueur Guillaume de Neubourg,
“au moment où allait s’ébranler cette fameuse expédition,
le roi, animé d’une fougueuse jalousie à l’égard de sa toute jeune épouse,
jugea qu’il ne devait à aucun prix la laisser et qu’il convenait à celle-ci
de l’accompagner au combat”.
Le chroniqueur ajoute que
“l’exemple fut suivi par de nombreux autres nobles qui emmenèrent avec
eux leurs épouses ; et comme celles-ci
ne pouvaient se passer de chambrières, une multitude de femmes vécut dans
ce camp chrétien qui aurait dû être chaste”. Et de conclure : “de là le
scandale qu’offrit notre armée”
Trente ans plus tard, Guillaume de Tyr précise et traite Aliénor de “ femme folle… qui offensa la dignité royale, négligea la loi du mariage et oublia le lit conjugal ”. Malheureusement, nous ignorons si le même Louis VII, nouvellement remarié avec Constance, fille du roi de Castille Alphonse VII, emmena son épouse avec lui à Compostelle en 1154. C’est cependant vraisemblable, car il rend visite à son beau-père. Mais aucun chroniqueur n’en souffle mot.
D’une façon générale, l’Eglise n’encourage pas les femmes à courir les routes, par crainte de débordements amoureux. Vers 1175, l’évêque de Rennes Etienne de Fougères, dans son Livre des manières, raconte comment une femme mariée peut facilement rencontrer son amant à l’occasion d’une veille de fête : elle se déclare malade, se fait conseiller un pèlerinage par une amie et obtient immanquablement le consentement de son mari.
A plus forte raison, les pèlerinages lointains sont encore plus déconseillés, pour cette raison et pour une autre, le coût. Au XIIIe siècle, l’évêque de Paris n’hésite pas à interdire à la reine Blanche de Castille d’aller à Compostelle, malgré le vœu qu’elle en avait fait. Etienne de Bourbon raconte :
“la reine Blanche devait aller en pèlerinage à Saint-Jacques
et avait déjà engagé des dépenses somptuaires. Guillaume, évêque de Paris,
son confesseur, lui demanda si elle avait tout acheté sur ses fonds personnels.
Elle répondit que oui. Il dit alors :
- “Domina, vous avez déjà dépensé inutilement beaucoup d'argent
pour des parures terrestres et pour montrer votre magnificence sur votre
sol natal, et cet argent aurait pu être beaucoup mieux dépensé”.
- “Vous avez raison, dit-elle, mais que dois-je faire maintenant
? je suivrai votre sage décision et je m'engage envers vous, solennellement,
à renoncer à mon vœu et à répondre de mon nouvel engagement devant le
Juge Suprême”.
Informé de ce que les Dominicains de Paris étaient liés
par des dettes dont ils ne pouvaient s'acquitter, l’évêque envoya la reine
en pèlerinage beaucoup moins loin, rue Saint-Jacques, au couvent des Dominicains
voué à saint Jacques et, selon lui, de même valeur que celui de Compostelle.
- “Voici, dit-il, des Frères Prêcheurs qui sont appelés
Frères de saint Jacques, et qui sont liés par des dettes de 1500 livres
ou à peu près. Recevez l'escarcelle et le bourdon et allez à Saint-Jacques,
c'est-à-dire dans leur demeure, et acquittez leur dette. Quant à moi,
je modifie en votre faveur les prières que je forme pour vous et je promets
en outre de témoigner pour vous au jour du Jugement. Je montrerai que
ce geste est bien meilleur que la mise sur pied d'un apparat aussi excessif
et superflu”.
“Et la reine, termine Etienne de Bourbon, suivit sagement
le conseil du saint homme”
Rares furent-elles à prendre le chemin
Deux ambassadrices ?
Deux grandes dames proches de Louis XI partent à Compostelle, poussées vraisemblablement par autre chose que la dévotion. Diplomatie ? Projets de mariages ? On ne sait, tout ceci étant secret par excellence.
En 1463 la reine-mère Marie d’Anjou (fille de Yolande d’Aragon, femme de Charles VII, mère de Louis XI) part à Compostelle, officiellement pour s’assurer que le vœu des rois de France d'entretenir à perpétuité les deux cierges allumés devant l'autel de la chapelle des rois de France était réellement exécuté. Sans un but plus précis, pourquoi part-elle à la mauvaise saison ? Elle est même obligée de s’endetter, car, disent ses comptes, pour financer ce “ joyeux voyage de Monsieur S. Jacques en Galice ”, la reine suspendit le paiement de ses officiers. Encore n’a-t-elle pas fait le voyage par la voie terrestre, mais par mer. Elle débarque à la Rochelle mais meurt subitement le 29 novembre, près de Parthenay, à l'abbaye royale des Châtelliers où elle fut inhumée. Une semaine après, un service solennel fut célébré à l’église Saint-Jacques de Dieppe, un lieu de pèlerinage local où Louis XI s’était rendu en pèlerin alors qu’il était dauphin.
En 1466, soit trois ans plus tard à peine, c’est la tante du roi qui part à Compostelle, Marguerite de Savoie, comtesse de Wurtenberg. (Elle est même deux fois tante par alliance : elle a épousé en premières noces l’oncle maternel de Louis XI, Louis III d'Anjou, puis en secondes noces Louis de Savoie, oncle de Charlotte de Savoie épouse du souverain). Le 1er septembre, Louis XI demande aux habitants de Troyes de lui réserver un très bon accueil et il envoie au devant d’elle son maître d’hôtel Pierre Aubert auquel il donne près de 500 livres pour qu’il l’escorte ensuite jusqu’à Saumur. Le roi la rencontre à Montargis, d’où il demande le 16 septembre aux habitants d'Amboise de la recevoir comme ils le feraient pour lui :
Chiers et bien amez pour ce que nostre très chère et très amée tante la comtesse de
Witemberg laquelle est puis naguerre venue devers nous pour aucunes de ses affaires séen va prsentement devers nostre très cher et très aimé oncle le roy de Secille et de l l intencion de s'en aller en pèlerinage monseigneur saint Jacques de Galice nous voulons et vous mandons qui vous la recevez et lui faites tout l'honneur et la meilleure chère que faire sera possible tout ainsi que vouldriez faire nous mesmes et en ce faisant vous nous ferez tr s singulier et agréable plaisir . Une journée de pèlerinage Tant de soin nous permet de vivre avec la princesse l'étape d Amboise. Au soir du 22 septembre elle arrive entourée de sa suite de ses sergents et de cinquante-sept chevaux. Aux portes de la ville elle est attendue par le clergé et les habitants qui s'étaient portés au-devant d elle en procession. On lui fit la révérence et on lui offrit raisins poires et pommes . Il est étonnant de constater qu'aucun notable de la ville ne lui a offert l'hospitalit car elle et sa suite furent logés dans les différentes auberges de la ville aux frais des habitants. Marguerite de Savoie passa donc une nuit et un jour chez Perrenelle l'hostellie de l'Image Nostre-Dame sur les ponts d Amboise tandis que ses femmes taient logées chez Pierre Pell et ses chevaux et autres gens en la rue de la Boucherie . Les frais furent réglés seulement le 30 octobre 1470 sur le budget de la fortification et emparemens de la ville ” , ce dont Perrenelle se déclara “ tenue à contentement et pour bien payée ” !
Un pèlerinage princier se déroule donc dans des conditions conformes au rang social, qui ne se trouve absolument pas gommé par la condition de pèlerin. Il n’interdit pas non plus, chemin faisant, de traiter d’“ aucunes de ses affaires ” ni de rencontrer des membres de sa famille. Le duc de Savoie Amédée IX est allié du Louis XI, mais un peu incertain car dans le même temps il signe des alliances avec la Bourgogne. Tante et neveu ont-ils traité de ce sujet ? Ont-il tenté d’organiser quelque projet matrimonial pour rétablir l’ancienne entente franco-espagnole ? (Moins de trois ans plus tard, entre mai et août 1469 le cardinal Jean Jouffroy est officiellement envoyé, pour cette raison, à Cordoue. Il était chargé d’obtenir pour le frère du roi, Charles duc de Berry et de Guyenne, la main de la princesse Isabelle sœur du roi Henri IV devenue héritière de la Castille).
Une candidate à la sainteté
Sainte Brigitte fut pèlerine à Compostelle en 1341-1342. Issue d’une famille noble, elle épousa, en 1320, Ulf Gudmarson, sénéchal de Néricie. Après que le couple eut fait vœu de chasteté (elle a qegna son mari à Dieu et tous deux allèrent à Saint-Jacques... Ainsi l'un et l'autre, fervents dans l'amour de Dieu, pour mieux se dégager des vanités de ce monde, quittèrent leur patrie et leurs parents, à l'exemple d'Abraham, et au prix de nombreux efforts et dépenses, se rendirent en Espagne à Saint-Jacques-de-Compostelle ”.
Brigitte et son mari ne sont pas seuls. Ils sont accompagnés d’une suite nombreuse de laïcs et d’ecclésiastiques, moines, prêtres, frères mendiants. Première halte à Cologne, puis Aix-la-Chapelle et, sans transition, la Sainte-Baume. Ils s’embarquent à Marseille et arrivent par mer sur les côtes espagnoles. Toujours selon son biographe, Brigitte “ ne ménagea pas ses peines pour rendre visite aux tombeaux des saints, celui de saint Jacques et d'autres saints, marchant sur les traces de ses prédécesseurs, car son père avait été en pèlerinage à Jérusalem, de même son aïeul et son bisaïeul ..... Il est inouï que des seigneurs aussi magnifiques et dotés d'autant de richesses et de gloire aient accompli un aussi dur chemin, partant du bout du monde pour voir Saint-Jacques, et Jérusalem où Jésus-Christ s'est incarné et a souffert sa Passion. Brigitte, dit encore le biographe, fut introduite sous les voûtes du sanctuaire par les chevaliers de Saint-Jacques. Elle supplia saint Jacques de protéger la chrétienté et de réveiller chez les fidèles le désir de croisade ”. Là encore se devinent des discussions politiques dont les femmes ne sont pas exclues.
Aux pieds de l’apôtre restait le cistercien Dom Svenung, confesseur de Brigitte, miné par un mal chronique. Il eut une vision au cours de laquelle il vit Brigitte couronnée de sept diadèmes, signe qu’elle aura une grâce septuple. En 1344, après la mort de son mari, elle se retire au couvent d'Alvastra, où elle eut les visions qui la rendirent célèbre. Elle pressa les papes d'Avignon de retourner à Rome où elle s’installe au moment du jubilé de 1350. En 1372 elle part à Jérusalem et elle meurt à son retour à Rome, le 23 juillet 1373. Elle fut canonisée par Boniface IX et par le concile de Constance.
Elles ont envoyé des pèlerins à leur place
D’autres dames de la haute noblesse eurent plutôt recours au pèlerinage par procuration. Au XIVe siècle, la comtesse Mahaut d’Artois est l’exemple le plus typique de ce que put être la dévotion d’une princesse à saint Jacques, sans jamais être allée à Compostelle. Sa personnalité et les drames qu’elle a vécus en font une figure féminine princière particulièrement intéressante.
Mahaut d’Artois
Le personnage
Mahaut est de sang royal, fille de Robert II, comte d'Artois, petite-fille de Robert I, frère de Saint-Louis. Elle fut l’épouse d’Otton IV, comte palatin de Bourgogne, tué à Cassel en 1303. Elle avait eu de lui quatre enfants : Jeanne, née avant 1291, Blanche, née peu après. Robert, né vers 1300. L’administration du comté de Bourgogne qui lui revenait en 1303 par la mort de son père le comte Othon fut dévolue à sa mère et tutrice. Il prend part à la campagne de Flandre en 1315. Il est à Reims au sacre de Philippe le Long le 9 janvier 1317. En septembre, il meurt brutalement, âgé de 18 ans. Le dernier fils de Mahaut, Jean, est mort au berceau.
Mahaut était comtesse d’Artois depuis la mort de son père en 1302. Ses deux filles furent tour à tour épouses d’un roi de France, Jeanne épouse de Philippe V le Long, Blanche de Charles IV le Bel, tous les deux fils de Philippe le Bel. En 1314, Jeanne, Blanche et leur cousine Marguerite furent accusées d’adultère et emprisonnées. Jeanne fut enfermée presque un an au château de Dourdan puis son innocence fut reconnue. Elle revint à la cour à Noël 1315. Blanche fut détenue à Château-Gaillard. Elle fut répudiée en 1322 au moment où son mari monta sur le trône. Elle prit alors le voile à l’abbaye de Maubuisson où elle mourut en 1326, âgée d’environ 30 ans. (Quant à Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X, elle était morte dès l’hiver 1315 à Château-Gaillard).
Ses envois de pèlerins par procuration :
Sans que l’on sache toujours pourquoi, elle envoie six fois quelqu’un prier pour elle ou sa famille à Compostelle. En 1305, sa fille Jeanne est gravement malade, elle envoie Gauteron : “ baillié à Gauteron por aler de Saint-Mandé à Saint-Jaque en Galice por un veu que Madame avoit fait, por notre damoisele qui estoit malade, XXVI livres ”. En 1312, ce sont deux pèlerins, anonymes qui sont payés dix-neuf livres et quatre sols. En 1317, à la mort de son fils, après les funérailles, partent : une pauvre femme à Chelles, un pèlerin à Saint-Louis de Marseille, deux pèlerins à Saint-Didier de Langres, un autre à Saint-Côme et Saint-Damien de Luzarches, un dernier en Galice “ pour Robert monseigneur et pour offrendes au saint XI ll. 6 sols ”. En cette occasion apparaît pour la première fois la personnalité d’un de ces pèlerins par procuration, Yvon Le Breton, qui est un fournisseur de fourrures de Mahaut, bourgeois de Paris et qui doit voyager en même temps pour ses affaires. Il retourne à Compostelle en 1321. En 1326, Mahaut envoie encore Laurent, dit le Vaillant, parisien puis, en 1327, Estève Gelerin le Boudenier : “ Le troisième jour d'avril à Estève Gelerin le Boudenier pour faire le voiage à S. Jaque en Galice pour madame, par marchié fait 9 lb. pour offrande 16 s. en somme IXlb.XVIs. ”
Mahaut traite ses affaires en bonne et due forme : elle rédige et fait signer un contrat d’engagement, avec les clauses de départ, les sommes destinées au salaire et celles destinées aux offrandes, la promesse de rapporter une attestation. Il reste deux de ces pièces, extrêmement rares.
Le contrat de départ de Laurent le Vaillant en 1326
“ A touz ceus qui ces lettres verront.. Hugues de Crusi, garde de la prevosté de Paris, salut. Sachent… que par devant nous vint en jugement en sa propre personne Lorens dit le Vaillant demourant à Paris à la porte de Montmartre si comme il disoit. Rocognut et confessa lui avoit eu et receu de haute dame noble et puissante Madame la contesse d’Artois par les mains de honorable homme et discret Mestre Jehan de Salmes son trésorier nuef livres parisis pour cause de faire un voiaige bien et souffizamment à Saint Jaque en Galice pour ladite madame la contesse. Et narroit ledit Lorent et son departemen de Paris à faire ledit voiaige duy en huyt jours et seize soulz parisis pour offrandes faire à l’autel saint Jaque dessus dit pour ycelle madame la contesse si comme il disoit. Des queles sommes d’argent dessus dites ledit Lorent se tint et bien paiez et agreez par devant nous. Avoit la confection de ces lettres et en quitta et clama quitte bonnement … droit et touz jours la dite madame la contesse son donnant du trefons et touz autres et qui quittance… Lequel voiaige devant dit avecques les dites offrandes il promist par son serment et par la foi de son corps baillé pour ce en nostre main à faire bien et loiamment. Et de rapporter de ce bonnes lettres souffisans à la dite contesse ou à son dit trésorier pour ycelle. Pour l’obligation de touz ses biens et des biens de ses hoirs tant meubles comme immeubles presenz et advenir ou qu’il soient et pourront estre trouvez… ”
L’attestation d’accomplissement d’un pèlerinage d’Yvon Le Breton, en 1321, signé du trésorier de Compostelle
“A tous les fidèles dans le Christ appelés à lire les présentes
lettres… et trésorier de l’église du bienheureux apôtre Jacques de Compostelle
en Galice, salut dans le Seigneur qui est notre seule force et salut.
Sachez qu’Yvon Le Breton, Parisien, pour l’illustrissime noble comtesse
d’Artois, encore vivante… a visité le tombeau du bienheureux apôtre Jacques
de Galice et qu’il y a accompli parfaitement son pèlerinage pour la dit
noble comtesse. Et nous, nous concédons par ces écrits les indulgences
du bienheureux apôtre Jacques à la noble comtesse d’Artois. Et il faut
savoir que le dit pèlerin Yvon Le Breton a offert pour ladite dame, sur
l’autel du dit apôtre, 4 sols sterling (ils existent depuis le XIIIe siècle)
en argent. Nous mandons que la présente charte munie du dit sceau vaille
pour lui témoignage de ce fait ”
Une autre façon d’envoyer des pèlerins par procuration ? Par trois fois, Mahaut, qui exerce la justice, a prononcé l’envoi de pèlerins pénitentiels à Compostelle, l’un en 1307 (il fut gracié ensuite), les autres en 1328
D’autres manifestations de la dévotion à saint Jacques
Vers 1318, Mahaut fait une offrande pour la confection d’un reliquaire au chef de saint Jacques conservé à Aire-sur-la-Lys et, en 1319, son effigie figure au grand portail de l’église de l’hôpital Saint-Jacques de Paris, en compagnie de sa fille Jeanne et de ses quatre petites-filles. On est cinq ans après le scandale de l’adultère de la tour de Nesle et Blanche est toujours détenue à Château-Gaillard
“Et en ceste mesmes année, le mardi aprez les Brandons,
XIX jour du moys de fevrier [1319], de Jehanne la roynne de France et
de Navarre, de Mahaut sa mère comtesse d’Artoiz et de Bourgongne, de la
duchesse de Bourgongne fille de ladite roynne et des confrères fut fondé
à Paris, en la grant rue appelée Saint-Denys, dedens les murs du roy,
ung hospital en l’onneur de Dieu et de saint Jaque, confrarie de saint
Jasque…ou dit portail une ymage de saint Jaques en l’escaufiche (à la
place d’honneur) et une de madame la royne à genoux d’une part devant
lui, et la contesse d’Artois d’autre et les quatre filles la royne aussi…”
Il semble que Mahaut a participé à la fondation et aux cérémonies d’inauguration. Les comptes de la confrérie parlent d’un Mahiet de Douai chargé de “ faire la légende de saint Jacques “ et d’un Brisebarre, lui aussi natif de Douai, chargé de “ trouver les rimes et les dis de la reine ”
La comtesse Mahaut témoigne d’une dévotion à saint Jacques particulièrement constante, dévotion qui ne se concrétise pas par un pèlerinage à Compostelle, mais par des pèlerinages locaux à Aire ou à Paris assortis de l’envoi périodique de pèlerins en Galice.
Bonne de Berry, comtesse de Savoie
En 1384, Bonne de Berry, fille du duc de Berry et épouse d’Amédée VII depuis 1376 envoie deux frères mineurs à Compostelle
Marie de Clèves (1426-1487), épouse de Charles d’Orléans et mère de Louis XII
En 1470 elle envoie à Compostelle un frère prêcheur de Blois, Jean Beauson, chargé d’y offrir en ex-voto un cœur d’or enrichi d’un saphir, d’un rubis et d’une émeraude. Ce cœur, suspendu par une chaîne d’or, supportait à son extrémité inférieure un petit écusson émaillé sur deux faces, aux armes ducales. Le voyage a coûté 13 l. 15 s.
Elles ont demandé un pèlerinage dans leur testament
Jeanne de Fougères en 1269
Jeanne de Fougère fut comtesse de la Marche et d'Angoulême après la mort de Hugues XII dont elle avait eu sept enfants. Elle le resta jusqu’à la majorité de son fils aîné Hugues XIII. Par son testament du 28 mai 1269 elle donne “ à tres homes qui iront a Seint Jaque por mes enfanz, vint livres “ après qu’elle ait fait “ un don à la terre d'Outre-mer de 100 livres si je n’i vois por moi e por ma filhe ”
Rose de Bourg, épouse d’Amanieu d’Albret.
Les Albret sont une famille apparentée aux plus grandes familles d’Aquitaine, possessionnée en majorité dans le diocèse de Bazas. En 1323, elle avait demandé que son fils Bernard Aiz accomplisse pour elle un pèlerinage à Compostelle après sa mort. Mais, lorsque celui-ci fait à son tour son testament en 1341, il est obligé de confesser qu’il n’a pas accompli la volonté de sa mère. Il demande à ses fils ou à son frère Bernard de Vayres d’exécuter ce vœu à sa place, mais rien ne dit que ce fut fait.
Les mésaventures des prinecesses de la littérature en pèlerinage à Compostelle
Toute la littérature mettant en scène des pèlerines nobles semble bien écrite pour dissuader toute la gent féminine de partir.
Floire et Blancheflor, vers 1150, raconte l’histoire d’un chevalier accompagnant sa fille à Compostelle, car celle-ci, à la suite de son récent veuvage et sur le point d’être mère avait fait vœu d’accomplir ce pèlerinage. Ils sont attaqués. Le chevalier résiste. Il est tué. La fille est emmenée captive. L’auteur de la Fille du comte de Pontieu campe une noble jeune femme et noble mari Thibaut partis en pèlerinage à Compostelle afin de demander un enfant à saint Jacques. Presque arrivés, dans une forêt galicienne, la dame se fait violer sous les yeux de son mari… puis tente de tuer ce dernier pour effacer l'horreur. Thibaut finit seul son pèlerinage et il récupère sa femme au retour. Punition, séparation, aventures de la belle en Orient avec un sultan auquel elle donne une fille… et retrouvailles des époux suivie d’une réconciliation.
Dans le Roi Flore et la belle Jehanne, l’événement-clé du roman est le départ inattendu à Compostelle de Robin, tout nouvel époux de la fille d’un chevalier flamand. Robin se devait d’honorer un vœu qu’il avait fait de partir dès qu’il aurait été armé chevalier, ce qui datait de la veille de son mariage. Un félon tente de le persuader que sa femme ne lui restera pas fidèle… Malgré ses agissements déloyaux, tout se termine bien.
Vers la fin du XIVe siècle, Le livre de Ponthus, filz du roy de Galice et de la belle Sydoine fille du roy
de Bretaigne, est un roman écrit selon les grandes traditions des siècles antérieurs :
un roi sarrasin débarque près de la Corogne et tue le roi de Galice. La reine s’enfuit avec treize enfants
dont son fils, le jeune Ponthus. Les rescapés arrivent en Petite Bretagne où règne le roi Huguet, lequel a une fille unique, Sidoyne, “ la plus belle et la plus courtoise ”. Tristesse du roi Huguet qui “ aimait fort le roi de Galice ”, qu’il avait souvent aidé à combattre les sarrasins, en compagnie du roi de France. Au bout de trois ans, Ponthus est présenté à la cour où il rencontre Sidoine. Ils s’aiment. Elle lui donne un anneau d’or orné d’un diamant. A la suite d’une invasion de la Bretagne par les sarrasins, Ponthus est fait connétable mais il est trahi par un de ses compagnons, jaloux. Les amants ne se retrouvent qu’après sept ans au terme desquels Ponthus épouse Sidoine avant de repartir en Galice avec une armée pour reconquérir son royaume. Il revient vers son épouse puis “ ils s’en allèrent à sainct Jacques en Galice en pellerinage puis revindrent en Bretaigne ”.
Jean de Saint-Quentin écrit le Dit des annelés, un sombre drame propre à décourager toute personne bien née de s’aventurer sur les routes. Un jeune couple noble part à Compostelle, rencontre en chemin un chevalier qui fait route avec eux et qui finit par séduire la dame. Le séducteur est pendu, la dame jetée sur un bateau sans rames, les doigts serrés dans des anneaux de fer. Par une série de miracles, elle est sauvée, devient hospitalière sur les chemins de Saint-Jacques, retrouve son mari et ses fils revenus en pèlerinage. Ils lui pardonnent, mais elle refuse de rentrer au pays.
La malheureuse épouse de saint Julien
Aux alentours de 1260, un poète anonyme écrit la Légende de saint Julien, long texte écrit à la gloire de saint Julien, fils unique du duc “ Gefroi ” d’Angers qui “ tient aussi Touraine, Maine et Poitou ”. Dans la forêt du Mans au cours d’une partie de chasse, Julien rencontre une bête à “ face d’homme ” qui lui prédit qu’il tuera son père et sa mère. Il décide de fuir et, dès ce moment se donne à saint Jacques et prend la route de Compostelle. Après de multiples aventures, sur cette route, il délivre un château en combattant un géant réputé invincible… épouse la châtelaine et coule une vie enfin heureuse car il croit son père mort et caduque la prédiction.. Mais un jour arrivent à l’auberge du village deux pèlerins qui vont “ a Saint-Jake en pelerinage ” et qui ne sont autres que les parents de Julien. Ils se présentent à l’épouse de Julien qui leur offre sa chambre en attendant le retour de l’époux. Julien rentre, entre dans la chambre, croit y voir sa femme adultère et la prédiction s’accomplit, il tue ses parents. Julien et la comtesse Clarisse, accablés, décident de se faire pèlerins sans espoir de retour. Ils partent à Rome où le pape leur donne l’absolution à condition qu’ils créent un hôpital pour pèlerins. Ils reprennent la route, à la recherche de ce lieu, vont jusqu’à Saint-Jacques puis fondent et gèrent l’hôpital demandé, près d’une rivière. La comtesse se fait servante, cuisine, jardine, lave, épouille. Un soir, un lépreux arrive, qui veut dormir avec elle ! C’est le Christ, qui disparaît. Ils sont assassinés par des larrons qui les croient riches.
Ces femmes ont-elles été des modèles pour leurs consœurs moins titrées ? A défaut de pouvoir le prouver, on peut penser que c’est vraisemblable. Mais la réalité autant que la fiction montre qu’elles furent peu nombreuses sur les routes, dissuadées sans doute par les pires dangers qu’on leur prédisait, tant à l’église que dans les salles de leurs châteaux. La majorité dut se contenter de rêver en frissonnant de la grande aventure, la grande marche vers Compostelle.
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