Accueil | mise à jour le 20 janvier, 2006 | Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. | survol du site | Page précédente |
Un éditeur courageux et lucide demande à un historien de faire une recension d’un de ses livres et de la publier sur le site de la Fondation David Parou Saint-Jacques.
Remarque préliminaire : il est gênant que ce livre ne se conforme pas aux usages éditoriaux en cours, à savoir que, lorsqu’on parle du saint on écrive saint Jacques (s minuscule) et que lorsqu’on parle du lieu on écrive Saint-Jacques (S majuscule et trait d’union entre Saint et Jacques). |
Un père de famille parisien, inspiré par un mystérieux pèlerin et son âne, entraîne sa femme et ses deux enfants vers Compostelle. En guise de préparation, il invite les enfants à rechercher dans la Bible tout ce qui concerne saint Jacques. Comme il n’a pas beaucoup de temps, il rejoint la frontière espagnole en voiture, tout en continuant à raconter aux enfants ce qu’il a appris sur le pèlerinage. Sur le Camino frances, il marche parfois en famille mais, le plus souvent femme et enfants visitent les sites qu’il leur a indiqués pendant que lui est guidé sur le chemin par son énigmatique compagnon. A 100 km. de l’arrivée, toute la famille marche à pied, afin d’obtenir la Compostela.
Séduisant. C’est le premier mot qui s’impose après une lecture attentive de ce livre, séduisant car écrit dans un style alerte, simple et facile. Il témoigne d’un réel souci de scénario tant dans la présence du pèlerin et de son âne que dans les questions des enfants. Ces questions sont bien posées, tellement bien posées que l’on se demande très vite si ce ne sont pas celles que l’auteur n’ose pas formuler pour son compte personnel. Peu importe que ce pèlerinage soit réel ou fictif, seul compte le fait que l’auteur a «lu beaucoup de livres sur le sujet» (p. 54) et qu’on le sente. Il a certainement marché, et sa marche lui a révélé quelques vérités bien prosaïques : «un pèlerinage est une prière, mais toutes les peines de la marche sont aussi des prières (p. 77-78)… «onze jours pendant lesquels j’oubliais de prier et de vénérer les reliques, inquiet de ma famille» (p. 167). Ailleurs il découvre que «l’hospitalero est entièrement bénévole» (p. 110) et que «le paysage est peut-être très beau mais je ne l’admire pas beaucoup, occupé à regarder mes pieds?, à éviter les pierres et les flaques, à observer les flèches jaunes » (p. 92-95). Séduisant pour ceux qui souhaitent retrouver dans les livres toutes les idées reçues comme les enfants qui aiment se faire raconter sans fin les mêmes histoires.
Décevant cependant pour ceux qui aimeraient
sortir des poncifs habituels : il y a des cartes de chemins de Compostelle
et des routes à emprunter obligatoirement, il y a des animaux féroces
sur les routes, avec des brigands, l’ordre de Santiago faisait la police
de ces routes, il faut partir du Puy ... (bien que parti de Paris, l’auteur
rencontre des embouteillages à Orléans qui lui permettent opportunément
de passer par Le Puy !) etc, etc ...
Dangereux. A certains égards, ce livre apparaît dangereux par la peur et le mépris qu’il véhicule insidieusement. Derrière le rejet de l’historien que peut-on deviner ? La manifestation d’une peur ambiante du progrès, particulièrement visible aujourd’hui dans les milieux où se retrouvent d’anciens pèlerins ? Un durcissement d’une partie des fidèles qui se réfugient dans la tradition ? «C’est ce que nous dit la tradition» (p. 54) ; «c’est la tradition et la tradition ne ment pas» (p. 104). Quelle tradition ? Ici l’historien n’en voit qu’une, celle qui s’appuie sur des images pour signifier et faire comprendre que la foi chrétienne s’est répandue jusqu’aux confins de l’Espagne où elle a été défendue. Ne confondons pas tout. Une autre soi-disant tradition veut que le pèlerin cogne sa tête contre celle de Maître Mathieu ? «il paraît que ce geste rend intelligent» (p. 182), mais ce geste n’est vieux que d’une cinquantaine d’années, lancé par des étudiants en médecine facétieux… Une autre encore, celle de jeter une pierre sur le monticule de la Croix del Ferro à Foncebadon car, de temps immémorial, les pèlerins l’ont fait. Or, en 1952, l’abbé Branthomme nous apprend que cette croix venait d’être relevée par le médecin du village et que les pierres étaient jetées par les moissonneurs venant de Galice et du Bierzo pour les moissons de Castille. A quelle tradition obéissaient-ils ? Pourquoi ce besoin d’affirmer la présence réelle du corps de saint Jacques à Compostelle ? Pourquoi vouloir faire passer pour vraies les légendes ? N’est-ce pas confondre le Dogme avec des faits imaginaires ? Il est effectivement du métier de l’historien de douter de tout. Mais douter ne signifie pas rejeter. C’est tenter de comprendre le pourquoi des écrits et de démêler le réel du mythique. Il n’a jamais été dans les buts de l’historien de rejeter le merveilleux, mais au contraire de s’en nourrir pour approcher au mieux les mentalités anciennes, pour faire resurgir les voix disparues. Dans ce livre encore, un zeste de nationalisme : c’est grâce aux Français que les Espagnols ont appris à construire des églises et à cultiver… grâce aux Français, grâce à Charlemagne, «notre Charlemagne» que les Sarrasins ont été chassés. Un autre zeste d’indifférence aux Espagnols rencontrés. Tout ce que dit la cabaretière de Burguete «semble vraiment sans intérêt». Elle racontera «l’histoire de sa famille et du pays tout entier à d’autres victimes» (p. 92-95). Le pèlerin ne s’intéresse-t-il qu’à ses semblables ? Doit-il passer, hautain et méprisant, indifférent à ceux qui vivent dans ce pays ? Est-il guidé par la peur de l’autre ? Même la peur des autres pèlerins ? «Certains sont là pour espionner et détruire, induire les pèlerins en erreur, leur glisser des faussetés sur Notre Seigneur et les éloigner tout doucement de notre foi» (p. 153). Et surgit inévitablement le vieux serpent de mer : «ainsi, même sur le chemin de Saint-Jacques, on peut rencontrer des Francs-Maçons, des ennemis de l’Eglise !» (p. 171). A cela ajoutons un gros zeste de machisme et de condescendance vis-à-vis de l’épouse de ce bon mari. Elle «a une connaissance des évangiles un peu plus poussée que celle des enfants» (p. 29), elle prépare le dîner pendant que monsieur est plongé dans les livres (p. 20-21), le Maître et le mari lui dictent ses étapes. Quelle image de la femme !!!
Ce livre est plus dangereux que d’autres parce qu’il met des enfants en scène. Mais il n’est pas unique en son genre. Des écrits de la même veine s’évertuent à prouver que saint Jacques est bien apparu dans le ciel de Clavijo en 844 (ou en 859). Et si on l’ignore, c’est encore de la faute des historiens qui l’ont soigneusement caché… D’autres véhiculent le rejet des Lumières ou des Encyclopédistes ...Quel est ce repli frileux et méprisant ? Toujours la peur ? Peur de son ombre, peur du clonage, peur des produits transgéniques, peur de la fragilité de sa propre foi ? Est-ce cela qu’on veut transmettre aux générations futures ? Est-ce ainsi qu’on peut enseigner aux enfants la tolérance, l’ouverture au monde et la curiosité ? Il est dangereux de laisser croire que toutes les «vérités» sont de même nature et d’interdire le doute, le sens critique, la recherche personnelle. On murmure déjà que les associations de pèlerins sont assimilables à des sectes et le mystérieux pèlerin appelé Maître, (sur le modèle de Paolo Coelho ?) semble donner raison à ces inquiets. Ne donnons pas prise à ces accusations. Ne laissons pas ce merveilleux chemin de liberté aux mains de soi-disant gardiens de la foi qui vont finir par repousser tous ceux qui sont en recherche. |
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