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Le pèlerin, l’étranger à la ville, fait souvent peur. On le soupçonne de vagabondage, de traîtrise, de vol et, en période d’épidémies, de véhiculer la peste. Ce n’est qu’un paradoxe : les villes envoient parfois des pèlerins à Compostelle pour demander la fin d’une épidémie dans une ville (exemple à Perpignan). Et s’ils sont eux-mêmes porteurs de la maladie ? En 1497, ne voit-on pas Jérôme Münzer, médecin de Nuremberg, partir pour fuir l’épidémie ? Carlos Montenegro, membre de la Fondation, a rassemblé et traduit plusieurs documents qui témoignent des préoccupations de Compostelle et des villes traversées par des pèlerins.
Durant l’hiver 1517-1518, les pèlerins de Compostelle de passage à Bayonne sont refoulés à cause de la peste qui sévit en Galice[1] « De la part de Monseigneur le maire,
les échevins et conseil de la cité de Bayonne. Quelques mois plus tard, la peste gagne toute l’Espagne et l’interdiction s’étend à tous les voyageurs, quels qu’ils soient[2]. « L’on fait interdiction aux passeurs, bateliers, porteurs et tous autres qu’aucun ne soit assez hardi de passer ou faire entrer dans la cité, les faubourgs et la juridiction. Ni les hôteliers ou autres logeurs ne doivent accueillir en leurs maisons aucun des pèlerins cheminant, allant et retournant à pied de Saint-Jacques, sous la peine d’être bannis de la ville pour 40 jours et d’être punis par peine et amende arbitraire à la discrétion des édiles. Ceci pour éviter la contagion de la peste qui sévit tant en France qu’en Espagne » En 1569, la ville de Compostelle prend des dispositions qui traitent du danger que présente le grand nombre de pèlerins qui lui arrivent « vagabonds » qui « sous l'apparence et cause de pèlerinage » et dont certains sont « atteints de maux contagieux ». Les édiles ordonnent que, indépendamment de la maladie que ces personnes subissent, leur soit interdit le séjour à Compostelle au-delà de trois jours sous peine d'être attachés au rrollo (pilori) pour une durée de quatre heures et de recevoir deux cents coups de fouet si après avoir accompli la première peine on les retrouve en ville « sans avoir un maître »[3] En 1577, c’est la peste qui vient de Galice et du Bierzo : la municipalité de Léon, par ordre de l'administrateur don Pedro Castañon, recherche une ou deux personnes pour la garde des ponts de San Marcos et de Rodrigo Justez pour empêcher « l'entrée dans cette ville des pèlerins ou des pauvres qui viennent de Compostelle et de Galice parce qu'on a appris que dans ces terres sévit la maladie de la peste »[4] Deux mois plus tard l'on insiste pour faire garder les postes de la ville pour cause de peste en Galicia y Vierzo. Dans les archives du Centro del Patrimino Documental de Euzkadi, plusieurs documents exhortent les administrations locales à empêcher l'entrée des français en pèlerinage à Compostelle à cause des risques de contagion de la peste. Ainsi en octobre 1605 une lettre des Juntas Generales de la province d'Alava (où débouche le tunnel de San Adrian) interdisant le passage des pèlerins français en provenance de Nantes et Bordeaux. Effectivement, des Normands envoient des pèlerins dont on peut craindre qu’ils soient vecteurs de la peste. Les historiens racontent : « En 1620, la contrée fut décimée par une peste terrible dont Elbeuf et les environs eurent beaucoup à souffrir, c’est alors que l’on institua dans l’église Saint-Jean de cette ville, le 14 juin, la confrérie des pèlerins de St Jacques en Gallice (province d’Espagne) dont trois, cinq ou sept membres selon les libéralités des habitants et les ressources de cette association devaient aller chaque année faire un dévôt pèlerinage tant pour obtenir du ciel de faire cesser le fléau que pour prévenir le retour par la bienveillante intercession de ce saint dont les reliques sont encore à Compostelle » [5] Encore en 1698, les habitants d’Elbeuf continuent à exécuter leur vœu de pèlerinage annuel à Compostelle. Selon un acte notarié du 21 décembre, il s’agissait de se mettre sous la « protexion du glorieux Saint Jacques le Grand »[6]. Pendant la Guerre de Trente Ans (1618-1648) où la France s’oppose aux Habsbourg, soutenus par Philippe III d’Espagne, c’est d’Espagne que viennent les premières interdictions de pèlerinages : En novembre 1624, les Juntas Generales de la province d’Alava interdisent le passage des pèlerins français en provenance d'Hendaye. L’interdiction est renouvelée en Juillet 1646 pour ceux qui viennent de Bordeaux. Et une lettre de février 1646 du Corregidor (Maire/Magistrat) de Tolosa, au Pays Basque espagnol, rappelle l'ordre du roi de « condamner tout le monde possible aux galères ». Deux ans plus tard, des pèlerins normands constatent que ces interdictions sont bien réelles[7] : « En l’an 1648, le 8 mars sont partis de la ville de Bernay, de Sainte-Croix et de la Couture pour faire le voyage de Monsieur saint Jacques le Majeur en Galice, lesquels ont forcé et sont passés en Espagne jusqu’au haut de la montagne Saint-Adrien. Passé l’hôpital de cette montagne, ayant vue et reconnu les défenses faites par le roi d’Espagne de ne laisser passer aucun pèlerin pour aller à Saint-Jacques, à peine d’être mis aux galères, en furent pris, dit-on, bien 50 venant de Victoire. Cette publication fut faite aux confrères, tous d’une bande de notre ville de Bernay. Ils prirent conseil ensemble et décidèrent de s’en aller à Saint-Jacques le Mineur à Toulouse, ils l’ont fait et nous les avons reçus bien et dûment, comme proches et vrais pèlerins de saint Jacques le Majeur à cause des guerres et grand péril de souffrance et emprisonnement où ils ont été mis. Et par les prières des saintes et dévotes personnes qui ont prié Dieu pour eux et les grands troubles qui ont été dans le royaume, Dieu les a préservés… Nos frères de la dite compagnie feront en sorte et feront l’effort, pour la seconde fois, pour tâcher de franchir les passages du glorieux apôtre saint Jacques le Majeur. Nous prions pour l’avenir, si les guerres sont encore en Espagne et que les passages soient bouchés, nous prions ceux d’après nous de renvoyer ceux qui feront le voyage le saint Jacques le Mineur apportant attestation et pardon de Toulouse »
Même après la signature des traités de Westphalie de 1648, en 1657, un accord est encore signé par les autorités de la province de Gipuzkoa décidant d'appréhender et d'expulser par Béhovie tous les pèlerins français... [1] Registres gascons. Délibérations du corps de ville de Bayonne, éd. E. Ducéré, P. Yturbide, Ch. Bernadou, Bayonne, 1896, 2 vol., t.II, n°330, p. 129, 5 décembre 1517 [2] Registres gascons. Délibérations du corps de ville de Bayonne, éd. E. Ducéré, P. Yturbide, Ch. Bernadou, Bayonne, 1896, 2 vol., t.II, n°338, 8 février 1517 (1518) [3] Bol. de la Real Academia gallega, 1931, Documentos t.II, pag 42-43 [4] Leon, archives municipales, Livre d'actes du 10 juin 1577 et 2 août 1577, éd. Vazquez de Parga, Lacarra y Uria Las peregrinaciones a Santiago de Compostela, pg.419, Madrid 1948 [5] GUILMETH, Histoire de la ville et des environs d’Elbeuf..., Rouen Imprimerie de Lapommeraye, 1842, p. 583. (Archives Municipales d’Elbeuf BH 25) - L. Petit, Histoire d’Elbeuf, 1856, (Archives Départementales de Seine Maritime BHSM 67). [6] SAINT-DENIS Henri-Michel, Histoire d’Elbeuf, tome 4, page 84. [7] Archives Départementales de l’Eure, G 2210, fol. 70 |
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