Connaître saint Jacques - Comprendre Compostelle
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 Pèlerinages vers les premiers sites Grandmontains d’après les Vitae

Le site a déjà consacré des articles à l'ordre de Grandmont. Nous remercions Martine Larigauderie Beijeaud de les compléter par cet article sur les pèlerinages. Ils sont connus d’après la Vita S.Stephani, (sa suite De Revelatione) et la Vita Hugonis, dans Scriptores Ordinis Grandimontensis, édités par J.BECQUET, Turnhout, 1968.

Les origines

Le prieur commande la Vie d’Etienne de Muret vers 1163 pour préparer le dossier de canonisation du fondateur de l’ordre de Grandmont, ordre installé en Limousin, à 20 km au nord de Limoges [voir le site]. Soutenu par le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt et les évêques, le projet abouti sans peine. Guillaume Dandina raconte les miracles d’Hugues Lacerta dans le but d’obtenir une reconnaissance identique ; en vain pour Hugues, le premier disciple. Peu importe. Dans leur compte rendu lyrique de la vie des deux premiers grandmontains, leurs biographes nous peignent les deux ermites de leur Ordre suscitant des visites et des pèlerinages.
Le pèlerinage peut certes être spirituel, pour les personnes qui viennent entendre les sermons ou qui visitent les lieux Grandmontains assidûment. Cependant, les Vitae insistent sur les pèlerinages avec pour but la guérison.

Visite au saint thaumartuge

L’habitude est ancrée dans les mœurs. Le Livre des Sentences recommande de laisser en paix le frère atteint de folie, au lieu d’aller de pèlerinage en pèlerinage.
Prenons Etienne. [Vita Stephani 28-29-42-46]. Les grands et petits de ce monde lui rendent visite pour recevoir les bienfaits de son enseignement spirituel.
Ensuite, après la mort d’Etienne en 1124 et le transfert de sa dépouille à Grandmont, les malheureux se font transporter sur son tombeau. Les infirmes, les difformes, les aveugles viennent et obtiennent la guérison. Des parents essaient les guérisseurs et leurs potions avant de se résoudre à visiter le saint [Vita Hugonis, ch.35]. Ils arrivent à Grandmont de loin, comme ces pèlerins de Normandie, de retour de Rocamadour. Bien que les deux sanctuaires soient dédiés à la Vierge, c’est saint Etienne qui accomplit la guérison miraculeuse. De Limoges ou d’ailleurs, les pèlerins se déplacent en groupe. Pour certains, la visite est annuelle. Reginald et sa femme, originaires du Limousin partent en pèlerinage tous les ans à la Plagne celle (ou petit prieuré) où vit Hugues Lacerta (la Plaigne, canton de Lanouaille, Dordogne) ; puis ils se rendent à Muret (canton d’Ambazac, proche de Grandmont) et enfin à Grandmont, [Vita Stephani, appendix, ch. 65]. [Voir : http://alarig.ifrance.com/cariboost1/ entrée « prieurés du Limousin »]

Quels rites observent-les dévots ?

Le rite le plus simple est la prière. Une femme passe trois jours en prière avant d’être exaucée. Le dévot va de lieu saint en lieu saint, pour trouver le bon intercesseur. Finalement soulagé à la Plagne,un pèlerin devrait prouver la sainteté d’Hugues [Vita Hugonis, ch.38].Un chevalier qui habite à une dizaine de kilomètres de Grandmont, Raymond de Plantadis, paralytique et aphasique, prie sur la dalle devant l’autel de l’église mère. Prière et contact avec la pierre du tombeau de saint Etienne le guérissent. Un chevalier de Limoges demande lui aussi à se rendre à Grandmont pour prier devant les reliques de saint Etienne. Il souffre de ce qui ressemble au mal des Ardents. Il supplie tant le prieur Etienne de Liciac (avant 1163) que ce dernier autorise le recueillement sur la tombe. La supplique se termine par une guérison. On le voit, l’homme qui souffre demande à la fois le pardon pour ses fautes et l’aide de saint Etienne. L’hagiographe nous brosse un tableau des dévotions que le chevalier accomplit. Le pèlerin se prosterne, prie, fait acte de contrition, pleure, puis
« Lavant avec de l’eau la dalle qui couvrait la sépulture du bienheureux, il versa cette eau sur son ulcère, aussitôt le feu s’éteignit ; ulcère et douleur disparaissent » [Vita Stephani, ch.42- Au cours d’un pèlerinage, l’offrande va se soi et peut prendre la forme d’un engagement total. Une femme décide de vouer son fils au saint, pour obtenir sa guérison [De Revelatione, 6-9-10-29- 26 ; Vita Stephani, ch. 35-36-38].
46].
L’aumône prend souvent la forme de cire ou de luminaire, geste qui représente un investissement. Une mère, ses fils, sa famille portent un cierge de la taille du fils malade ; une dame dont le fils est ressuscité se rend en pèlerinage à Saint-Michel de Lodève et offre la cire suffisante pour faire une statue. Allumer une chandelle fait partie du rituel. Le chroniqueur remarque que les jours où le tombeau d’Etienne est peu éclairé, les miracles sont moins nombreux.
Des pèlerins qui remercient portent aussi d’autres types d’offrande. Pour les plus humbles, c’est un œuf ou un peu de seigle. Deux fils arrivent de Limoges avec le suaire de leur père ressuscité ; une mère en donne un autre. Un père et son fils se déplacent depuis Montmorillon, pour rendre grâce à Dieu et au bienheureux Etienne [De Revelatione, ch.25-34, leur maison est épargnée par le feu]. L’attitude humble du pénitent est soulignée pour les femmes. Une jeune fille vient pieds nus, vêtue de laine, avec son cierge pour prier au tombeau. La grand-mère d’un enfant guéri envoie sa bru pieds nus depuis Ambazac : les personnes qui ne peuvent pas se déplacer font le pèlerinage par délégation.
En fait, le pèlerin ne se contente pas du tombeau, il va aussi remercier à l’autel de la Vierge. Après la guérison, il demande de l’eau. [De Revelatione, ch. 21]. Porter la relique du saint dans une procession est un une faveur (elle s’accompagne d’une guérison, De Revelatione, ch.18). L’eau et le contact avec le symbole du saint font partie des gestes traditionnels.
D’autres coutumes sont connues. Les ermites de Fontcreuse en Charente avaient obtenu du prieur la table qu’avait utilisée Etienne. Un des frères racle le bois de la table et la met dans l’eau. Il le donne à boire aux pèlerins qui souffrent de fièvre. Il conserve l’eau précieuse dans un coffre en bois dans un drap de lin enveloppant du tissu blanc. La blancheur immaculée, marque de respect, participe à l’impression que le Grandmontain veut laisser aux visiteurs. Un prêtre emporte une dent qu’il place sur la zone à soigner tout en priant devant l’autel de Notre-Dame de son église [Auginiac, Dordogne]. Une mère ruse pour toucher les pieds d’Hugues et emporter ainsi la paille de ses sabots [Vita Hugonis, ch.35].
Le peuple qui voit le miracle se réjouit bruyamment, sonne la cloche pour alerter les frères (chordam cymbali, laudantes nomem domini ; subito clamor in maiori ecclesia, De Revelatione, ch. 12 ; ch.21).
Ainsi, les dévotions des pèlerins révèlent deux tendances. Certains dévots se rendent dans les sites grandmontains pour prier et se recueillir, en pensant à leur salut. Des personnes religieuses croient fermement aux miracles. Ils hésitent entre la magie de la médecine et celle de l’Eglise. Ils demandent la guérison pour eux-mêmes ou pour leurs proches lors d’un premier pèlerinage. Par la suite, ils reviennent remercier, certains à date régulière, et portent chaque fois une nouvelle offrande. Ceux sont par exemple les familiers (familiaris) des frères de Puy Gibert (Larche, Corrèze) et Vayssières (Vitrac, Dordogne) [De Revelatione, ch. 33].

Des traits qui persistent

De nos jours, l’eau continue à jouer un rôle dans les pèlerinages limousins. Par exemple A Saint-Eutrope, (Compreignac, 6 km de Grandmont, site d’un prieuré dépendant de Saint-Gérald de Limoges), comme à d’autres bonnes fontaines les pèlerins du XXe siècle font couler des gouttes d’eau, dans leur cou, dans les manches, sur leurs jambes. Les pèlerins boivent de l’eau et en emportent. Ils déposent des cierges dans la chapelle. Deux jeunes ont l’honneur de porter la statue du saint suer un brancard : les pèlerins passent sous le brancard. A Etricor (Etagnac, Charente, Grandmontain), fontaine et statue de saint Pardoux sont l’objet de dévotions [www.saint-jacques.info/pardoux.htm ]. La visite à la fontaine du Bon Saint-Etienne à Ambazac est peut-être un souvenir des vertus attribuées à saint Etienne. Toucher le bois ou la pierre, prendre de l’eau, payer un cierge se trouvent déjà dans les Vitae. De même, il était courant au XXe siècle de « tirer les saints », pour connaître celui qui était responsable du mal ou d’aller visiter de nombreux sanctuaires, démarche que suggèrent les textes. Là les proches jouaient le rôle de la « recommandeuse » lorsqu’ils suggèraient Etienne. Et comme la « recommandeuse », ils faisaient le pèlerinage pour la personne qui ne pouvait pas se déplacer, sans oublier la prière à la Vierge.

Après avoir mis l’accent sur le pèlerinage spirituel, les Vitae insistent sur le pouvoir du saint (saint potentiel dans le cas d’Hugues).Les pèlerins viennent trouver la consolation face à la mort et aux souffrances de la vie, ils ont confiance dans les qualités thaumaturgiques du saint. Les rites déjà en place se sont maintenus jusqu’à nos jours.

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