page établie le 07/06/2004
mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil
 

Chemins de Saint-Jacques et patrimoine mondial

On lit couramment dans nombre de brochures touristiques ou publicitaires que les chemins de Saint-Jacques figurent au patrimoine mondial de l'humanité.
Cela est vrai pour le chemin espagnol ou Camino francès. Ce ne l'est pas pour les chemins en France et encore moins dans le reste de l'Europe. Mais, comme souvent en ce qui concerne Compostelle, la réalité est déformée. Elle a été embellie par la foi des pèlerins et l'enthousiasme des précurseurs et cela est compréhensible.
Le développement du phénomène compostellan dans une société très médiatisée et les ambitions nées du succès du pèlerinage contribuent aujourd'hui à la déformer encore plus. Les intérêts et les luttes de pouvoir côtoient les bons sentiments. Le souci de maintenir des traditions (souvent plus récentes qu'on ne le pense) et la peur de sortir des discours convenus s'allient à l'incompétence et à la mauvaise foi pour diffuser des idées fausses et induire en erreur tous ceux qui s'intéressent à Compostelle.

En 1984 une recommandation du Conseil de l'Europe

Au cours de sa trente sixième session, le 28 juin 1984, l'ASSEMBLEE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE émet une recommandation relative aux itinéraires européens de pèlerinage (RECOMMANDATION 987)
Elle souligne la place particulière du chemin de Saint-Jacques et souhaite que les Etats "s'inspirent de son exemple comme point de départ d'une action relative à d'autres itinéraires de pèlerinage". Dès cette époque elle envisage leur inscription sur la liste du patrimoine mondial comme moyen de préserver ces itinéraires. Elle recommande au Comité des Ministres : " ... d'encourager une coopération entre les Etats membres destinée à préserver conjointement les itinéraires internationaux de pèlerinage - par exemple une action concertée en vue de faire figurer les itinéraires les plus significatifs et leurs monuments sur le Répertoire du patrimoine mondial de l'UNESCO ..." . En fait d'action concertée il y eut des actions dispersées liées aux politiques nationales. L'Espagne, agissant seule, sut la première faire inscrire le Camino francès. Il faut reconnaître que ce chemin reliant Pampelune à la Galice était le seul à avoir une réalité historique reconnue dans la durée. Il est regrettable que son succès ait conduit à en dénaturer les quelques vestiges qui avaient survécu à la modernisation des routes.

1998, des monuments et des portions du « chemin français de Santiago » élevés par l’UNESCO au rang de Patrimoine de l’Humanité

Le Camino frances espagnol ayant été classé Patrimoine mondial en 1993, la France n'a pas voulu être en reste. Les démarches ont été entreprises par le Ministère de la Culture (Direction du Patrimoine) en 1994 puis en 1996. Ce ministère a déposé les dossiers de demandes à l'UNESCO en juin 1997. Pour établir ces dossiers, le Ministère s'est appuyé sur trois organismes :
1 - la Société des Amis de Saint-Jacques, fondée en 1950 à Paris,
2 - la Fédération Française de Randonnée Pédestre
3 - l’Association inter-régionale des chemins de Saint-Jacques (ACIR), organisme politique et touristique dont le siège est à Toulouse.

Ces organismes se sont basé sur les hypothèses des premiers chercheurs qui se soient intéressés à Compostelle qui n'avaient pas toutes été vérifiées. (cf. la diffusion des chansons de geste). Aucun apport historique ou scientifique récent et contradictoire n'a été sollicité. Elles avaient pour origine la description des itinéraires contenue dans le Guide du pèlerin, complétés d'itinéraires secondaires établis en reliant entre eux des sanctuaires et établissements hospitaliers sous le vocable Saint-Jacques ou comportant des indices de passage de pèlerins (de Galice ou d'ailleurs).

Les dossiers ainsi établis par des pèlerins, des randonneurs et des politiques sans compétences particulières ont été soumis aux inspecteurs de l’ICOMOS (International Council On Monuments and Sites) Ceux-ci ont fait des enquêtes pour vérifier que les demandes correspondaient bien aux critères fixés par l’UNESCO.

Les enquêteurs ont alors jugé que les routes de pèlerinage ont permis « la remontée d’objets orfévrés musulmans… hâtivement christianisés qui se retrouvent dans les trésors des églises de France » en même temps que la descente vers l’Espagne d’objets « autrefois appelés limousins dont on sait aujourd’hui qu’ils ont été produits entre Loire et Douro ». Ils ont admis que « les chemins de Saint-Jacques ont été les vecteurs de la naissance et de la circulation des chansons de gestes aux XIe-XIIe siècles ».

Mais ces chemins français étaient de loin moins pertinents que le chemin espagnol. Sur une longueur totale de 5000 kilomètres identifiée, sept tronçons discontinus d'une longueur moyenne de 22,5 km ont été proposés et finalement retenus. La réalité n'en est pas moins déformée sur le site de l'ACIR qui n'hésite pas devant deux affirmations contradictoires :
"L'ensemble du réseau constituant les chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France est reconnu par le patrimoine mondial. La décision d'inscription sur la Liste du patrimoine mondial recouvre à la fois certains monuments individuels notables jalonnant les routes et des tronçons du chemin du Puy particulièrement distingués." On reste perplexe ... que signifie cette contradiction ?

Plus honnête, la Société des Amis de Saint-Jacques précisait dans son bulletin du 1er trimestre 1999 que c’est indûment qu’on a annoncé le « classement des chemins de Saint-Jacques en France », précisant qu’il ne s’agissait que du classement de tronçons de chemins « choisis en raison de leur préservation en sentiers piétons ».
Les enquêteurs poursuivent ainsi :
« l’étude nationale des routes de Saint-Jacques de Compostelle en France a identifié quelques 800 biens de toutes sortes associés au pèlerinage » parmi lesquels
«  Soixante neuf ont été sélectionnés sur la base des critères suivants :
- démontrer la réalité géographique de chaque chemin en marquant son tracé à intervalles réguliers,
- illustrer le développement du pèlerinage entre le XIe et le XVe siècle
- illustrer certaines fonctions essentielles de l’architecture le long des routes… notamment le repos et les soins (hôtelleries et hôpitaux), la prière, le voyage (croix et ponts) ».

Une dizaine d'entre eux figuraient déjà au patrimoine Mondial (comme le Mont-Saint-Michel ou Sainte-Madeleine de Vézelay) et n'avaient aucunement besoin d'une reconnaissance supplémentaire. N'ont-ils pas plutôt servi de faire-valoir ?

Parmi les biens intéressant l’hospitalité figurent l’hôtel-Dieu du Puy dont aucun texte connu ne mentionne le nom de Compostelle et qui fut créé pour les pèlerins venant vénérer la Vierge Noire, deux hôtels-Dieu Saint-Jacques, à Toulouse et Figeac, le vocable apparaissant comme suffisant pour justifier leur place sur un chemin et, plus surprenant encore, sans doute comme balise … le dolmen de Pech-Laglaire à Gréalou (Lot) …

Les enquêteurs donnent finalement les raisons suivantes dans le rapport de la 22 ème session du Comité du Patrimoine mondial réuni à Kyoto :

Justification d'inscription :
Critère ii : La route de pèlerinage de Saint-Jacques-de- Compostelle a joué un rôle essentiel dans les échanges et le développement religieux et culturel au cours du Bas Moyen Age, comme l'illustrent admirablement les monuments soigneusement sélectionnés sur les chemins suivis par les pèlerins en France.
Critère iv : Les besoins spirituels et physiques des pèlerins se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle furent satisfaits grâce à la création d'un certain nombre d'édifices spécialisés, dont beaucoup furent créés ou ultérieurement développés sur les sections françaises.
Critère vi : La route de pèlerinage de Saint-Jacques-de- Compostelle est un témoignage exceptionnel du pouvoir et de l'influence de la foi chrétienne dans toutes les classes sociales et dans tous les pays d'Europe au Moyen Age.
Brève description :

Tout au long du Moyen Âge, Saint-Jacques-de-Compostelle fut la plus importante de toutes les destinations pour d'innombrables pèlerins venant de toute l'Europe. Pour atteindre l'Espagne, les pèlerins devaient traverser la France, et les monuments historiques notables qui constituent la présente inscription sur la Liste du patrimoine mondial étaient des jalons sur les quatre routes qu'ils empruntaient.

Une réalité contemporaine incontournable et convoitée

On cherche en vain une approche scientifique et professionnelle de ce dossier. L'affectif et le politique y ont tenu les premiers rôles. Cela est compréhensible de la part d'organismes de promotion des chemins qui y avaient leur intérêt. Cela l'est moins de la part des inspecteurs dont la capacité critique semble avoir été bien faible. Des hypothèses non vérifiées des premiers chercheurs français, on est passé à la consécration internationale de chemins qui, s'ils n'ont pas eu la réalité historique qu'on leur prête sont devenus une réalité incontournable contemporaine. Qu’importe. On sait même aujourd’hui que le document initial, le Guide du pèlerin au titre trompeur n’a pas été connu en France, ni ailleurs, avant la fin du XIXe siècle. Les études d’Alison Stones[1]l’ont démontré, celles de Bernard Gicquel l’ont largement confirmé[2]. Même s’il n’a pas été l’ancêtre du Guide Bleu, du Guide du Routard ou des topo-guides de la Fédération Française de la Randonnée Pédestre, il prévaut aujourd’hui et est brandi lors des discussions autour de tracés de nouveaux chemins. Car les appétits restent ouverts ... les généralisations hâtives et les à-peu-près permettent toutes les fantaisies. Les espérances de retombées économiques et les intérêts politiques locaux avivent les ambitions. Une nouvelle ère s'est ouverte pour les chemins de Compostelle.

Elaborée en France à partir de la traduction de Jeanne Vielliard, l'hypothèse des quatre chemins de Compostelle lui est revenue sous la forme d'une affirmation validée par une autorité internationale incontestable. Le 29 décembre 1998. l'UNESCO adressait au Gouvernement français une lettre dont voici un extrait :
"Tout au long du Moyen Age, Saint-Jacques de Compostelle fut la plus importante de toutes les destinations pour d'innombrables pèlerins venant de toute l'Europe. Pour atteindre l'Espagne, les pèlerins devaient traverser la France et les monuments historiques notables qui constituent la présente inscription sur la liste du Patrimoine Mondial étaient des jalons sur les quatre routes qu'ils empruntaient."
Ainsi va l’Histoire, elle est souvent basée sur des documents faux ou mal interprétés et des enquêtes qui n’en furent pas. Plus tard les historiens referont l'histoire en étudiant les documents que nous leur auront légués et en essayant de comprendre nos mentalités.

 Jacques d'Anvailles

 

[1] A. Stones et J. Krochalis, « Qui a lu le Guide du pèlerin ? » Pèlerinages et croisades, Actes du 118e colloque de Pau, 1993, Paris, C.T.H.S., 1995, p.11-36
[2] Gicquel Bernard, La légende de Compostelle, Paris, Tallandier, 2003

Sources :
Site Internet de l'Unesco
Bulletin des Amis de saint Jacques de Compostelle, 1er trim. 1999
Site Internet de l'ACIR

La propriété intellectuelle du contenu de ce site est protégée par un dépôt à la Société des Gens de Lettres

Page précédente haut de page Accueil

nous écrire