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mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil
 

«La mémoire des passeurs»
Paroles de Jean sur le chemin de Saint-Jacques

Ce projet réunit des acteurs roumains et français.
Il propose un cheminement de réconciliation pour guérir les plaies du passé.
Le spectacle témoigne de la lutte pour le droit de l’homme à l’encontre de tout système totalitaire et de toute forme d’oppression.
Une dimension politique, sociale et culturelle.
Un spectacle conçu par Anca Belorgea, artiste roumaine

 
un spectacle de mémoire

Ils sont confrontés à la mort. Ils sont condamnés à l’oubli. Ils veulent garder la mémoire.

Des hommes et des femmes au XXème siècle s’opposent à un régime totalitaire à l’Est. Ils veulent avoir la liberté. Ils veulent pouvoir s’exprimer. Ils veulent préserver la vie. C’est interdit : Une nuit d’hiver pas comme les autres. Des jeunes viennent d’être tués. Des croix se dressent. Des cierges s’allument. On prie.
C’est une nuit de l’Histoire pareille à une autre nuit de l’Histoire. Deux mille ans avant. Jacques, l’apôtre, vient d’être tué. Pierre est en prison. Leurs compagnons cherchent un refuge.

Ils sont confrontés à la mort. Ils sont condamnés à l’oubli. Ils veulent garder la mémoire.

C’est la mémoire d’une éblouissante rencontre, c’est le souvenir d’une parole qui leur a été dite et qu’ils n’arrivent toujours pas à comprendre. Un puzzle de souvenirs différents et parfois contradictoires cerne un ancien mystère : Qui est Jésus de Nazareth?
L’histoire se tisse ainsi dans un continuel échange de témoignages. Le texte de l’évangile de Jean se recrée à plusieurs voix.

 
Le cheminement des acteurs vers Compostelle

Le groupe d’acteurs va parcourir à pied le chemin vers Santiago de Compostela, où se trouve le tombeau de Jacques, le premier apôtre martyr.
Ce pèlerinage est un geste symbolique fait à la mémoire de tous ceux qui, au vingtième comme au premier siècle, ont donné leur vie pour apporter la paix dans un monde en guerre, ont redonné l’espoir à ceux qui traversaient des persécutions et qui ont réussi à libérer les prisonniers.

 
Anca Berlogea : le pourquoi du projet

De l’expérience vécue...

Roumanie 1989. La chute du communisme. Après 45 ans de régime totalitaire.
Je suis là, en face de la parole de l’Evangile, interpelée par cette parole et par ma propre histoire.
Ce que j’ai vécu dans ma vie, s’explique par ce que je revis en lisant l’histoire de l’Evangile. Ce que d’autres ont pu vivre, prend sens à travers cette même parole.
Je suis entourée de morts, de martyrs, de gens que je n’ai jamais connus mais qui sont là, vivants, dans la mémoire des autres. Ils ont été oubliés de leur vivant dans des cachots communistes. Maintenant on se souvient d’eux, comme de porteurs de lumière.
On se souvient qu’ils ont toujours dit: N’ayez pas peur.

Mais tous les autres, ceux qui sont restés en dehors de ces prisons froides et humides, eux, ils ont eu peur. Ils ont vécu leur vie dans une prison plus infernale encore, car aucun mur ne les enfermait, seulement leur peur et elle était infranchissable. Ils ont fait grandir leurs enfants dans cette peur, dans cet enfer sans paroles, car rien ne pouvait être dit ni dans la confiance, ni dans l’amour. Et les paroles des vivants étaient là, porteuses de ténèbres et de nuit, sans espoir et sans vie. Mais la voix de ceux qui étaient morts, enfermés au delà des murs épais des prisons communistes, ces voix là qu’on a voulu faire taire, ce sont elles qu’on a finalement entendues. La voix des morts a été plus forte que celle des vivants.
Ils disaient tout simplement : N’ayez pas peur.

Un 21 décembre, en plein hiver, c’étaient des jeunes, des très jeunes qui ont eu le courage de franchir ces murs invisibles de la peur et du silence, de choisir la liberté et la parole. Ils n’étaient pas nombreux, ceux qui ont osé crier « liberté » et ils ont été tués, en pleine nuit, en plein hiver. Quelques-uns. Mais le lendemain déjà, c’étaient leurs voix qu’on entendait, c’était leur foi qui ouvrait aux autres les portes de cette prison du silence. Le lendemain déjà, ils étaient là, plus présents encore. Il y avait des croix, des fleurs, leurs photos sur les murs. Des photos de jeunes souriant. Ils étaient morts: ils étaient encore plus vivants.
Eux aussi, ils semblaient dire, tout simplement: N’ayez pas peur.

La Roumanie n’est pas un pays qui a connu la résistance, qui était à l’oeuvre en Pologne. Les gens se sont tus, ils ont subis la tête baissée le poids d’un système totalitaire. Si des voix, si rares, osaient dire la vérité, elles étaient vite rendues au silence. Il y a eu des martyrs : ils ont témoigné de leur foi, ils ont prononcé une parole de vérité contre un système fondé sur le mensonge. Ils sont morts. Contre ceux qui osaient dire la vérité, la haine grandissait, nourrie par la peur, par cette peur sans limites, cette peur incroyable qui peut rendre les hommes esclaves de la mort. Quand les murs de cette prison sont tombés, les hommes se souvinrent de ceux qui ont osé dire : vous vivez dans le mensonge. Ils leur ont dédié des monuments, des croix et des fleurs, ils ont publié leurs photos pour garder vivante leur mémoire. Ils ont aménagé des anciennes prisons en musées, ils les ont remplies des vestiges. Ils cherchaient les fiches de la « securitate », des souvenirs classées dans des boîtes sur ceux qui sont morts. Ils ne les ont pas toujours retrouvées. Tant de temps après on voulait enfin connaître la vérité, cette vérité qui rend libre. Et ce n’était qu’une parole, si simple, si puissante, et si difficile à suivre.
C’était irrecevable : N’ayez pas peur.

... à la parole de l’Evangile

Ce qui m’a frappé la première fois que j’ai lu l’Evangile selon Jean c’était cette lutte, cette lutte incroyable entre un homme qui prenait le risque de la parole et des gestes qui rendaient libre et tous ceux, tous les autres, qui avaient peur.
Le Christ ne faisait que dire et répéter : N’ayez pas peur.

Autour de lui, contre lui, se dressait une vague de haine et de rage. Contre lui, contre sa parole de vérité, se dressait la peur de vivre pleinement et librement la vie. Au fur et à mesure de l’histoire de l’Evangile, la haine grandit contre celui qui demande de changer de vie. Les hommes le haïssent et le font mourir sur la croix, parce qu’il leur dit qu’ils vivent dans le mensonge, qu’ils ne connaissent pas la vérité, qu’ils vont mourir esclaves de leurs idoles. Et ils l’ont haï pour ça.

Mais il ne faisait que leur répéter: « N’ayez pas peur. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.»
Peu de gens l’ont entendu de son vivant. Ils l’ont presque tous quitté.
Quelques-uns se souvinrent de ses paroles, mais bien après.

Après : c’est le regret. Les remords. Des questions embarrassantes qui reviennent sans cesse.
Comment est-on arrivé à une telle haine, à la trahison, au crime?
Comment la peur peut-elle avoir une telle emprise sur l’homme?
Après: ça peut être aussi la libération. Libération de la peur, du mensonge et de la haine.
Ca peut être enfin le courage de prendre la parole. Le courage de témoigner.
Le courage de faire confiance en cette parole si difficile: N’ayez pas peur!
C’est après qu’on peut comprendre ce qui est advenu. Quand on a le courage de faire mémoire.
Le passé éclaire le présent et le présent illumine le passé.
La situation que j’imagine pour dire l’évangile de Jean :
C’est après la mort et la résurrection du Christ. C’est une nuit pendant la persécution d’Hérode.
Jacques, l’apôtre, a été décapité. Pierre vient d’être arrêté.
Nicodème, un des notable juifs, arrive de nuit pour trouver Jean.
Il a peur. Il a toujours mal à comprendre le Christ. Comment ne pas avoir peur? Comment pouvoir comprendre?

Nicodème et Jean, en face à face. Ils se souviennent.
Celui qui se cache face à celui qui est venu à la lumière.
Celui qui a peur du monde face à celui qui a vaincu le monde.
Celui qui regrette face à celui qui fait confiance.

Entre les remords et la confiance, entre la peur et le courage de la parole, il y a un difficile passage: c’est le pardon.
C’est une expérience de miracle et de bonheur qui va être vécue durant cette nuit commencée dans l’angoisse.
Une expérience qui ressemble tant à ce qu’on a vécu en Roumanie, durant une nuit de libération commencée dans la terreur, il y a une douzaine d’années : le 21 décembre 1989.

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