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Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente
 

UN SAINT JACQUES BRETON

Denise Péricard-Méa, recherches de 1993, rev.2002

LE CORPS ET LE SANG DE SAINT JACQUES A LOCQUIREC

Le grand Pardon du 25 juillet,

Chaque 25 juillet, sur la côte nord de la Bretagne, au fond de la baie de Lannion, le village de Locquirec fête solennellement saint Jacques avec un faste et une originalité uniques qui ne doivent rien ni au folklore ni au tourisme. D'année en année, de mémoire d'homme et bien au-delà puisque les premiers documents historiques le mentionnent en 1704 comme un fait habituel , le " Grand Pardon " réunit toute la communauté villageoise d'obtenir les faveurs de saint Jacques et d'un autre saint au nom de consonance spécifiquement bretonne, Kirec. Le cérémonial en est réglé de génération en génération avec une constance qui s'explique par la pérennité des familles villageoises dont les noms restent les mêmes depuis la tenue des premiers registres paroissiaux. Il s'ordonne autour d'un double thème, l'enfance et la mer. c'est en effet sous la figure de deux enfants que saint Jacques en costume de pèlerin et saint Kirec en costume d'évêque précèdent les prêtres, eux-mêmes suivis des enfants du village, filles et garçons, vêtus d'aubes blanches. A la fin de la messe s'organise la procession, qui se dirige en chantant vers le port, et dont les insignes furent portés par les marins tant qu'il y en eut : statues et bannières de saint Jacques et de la Vierge, grand voilier offert jadis en ex-voto par des marins sauvés d'un naufrage, et reliquaire contenant, nous le verrons plus en détail, une relique de saint Jacques. Arrivés sur le môle, clergé, statue et enfants embarquent sur un bateau, s'éloignent de quelques encablures et s'immobilisent pour bénir tous les bateaux du port qui viennent demander la protection de saint Jacques, sous les yeux de la foule des fidèles assemblés sur les quais.

Cette pointe de Locquirec abrite depuis fort longtemps une petite communauté de pêcheurs reliée à l'intérieur des terres par une unique route. Comme tous les pauvres, elle a très peu d'archives, mais elle compense le manque de précisions historiques par une légende particulièrement riche. Cette petite église protégeant le port fut longtemps sous la protection simultanée de trois saints, Jean-Baptiste, Kirec et Jacques. Paradoxalement, le premier a disparu alors qu'il est le seul ayant valeur historique en tant que patron de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem dont dépendait Locquirec.

Les trois patrons de Locquirec

Saint Jean-Baptiste.
Au XVe siècle, Locquirec dépendait d'une commanderie d'Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem dont le siège était au Palacret , ainsi qu'en témoignait l'écusson du commandeur sculpté dans le clocher de l'époque . Depuis quand ? On ne sait. On constate seulement que Locquirec est absent d'une liste du XIIIe siècle sur laquelle figurent une soixantaine d'établissements bretons appartenant à cet ordre bien qu'une déclaration affirme en 1687 que les commandeurs sont " seigneurs, patrons et fondateurs " et, qu'en 1720 ce n'est pas, comme aujourd'hui, la statue de saint Jacques qui fasse pendant à saint Kirec de part et d'autre du ch¦ur, mais celle de saint Jean-Baptiste.

Saint Kirec.
L'étymologie du nom de Locquirec permet de dater au moins des XIe ou XIIIe siècles la présence de saint Kirec comme saint patron de l'église dont les premiers éléments architecturaux datent de cette même époque. On ne sait presque rien du village qui existait là auparavant, si ce n'est que le lieu est occupé dès l'époque romaine . Seule, la tradition affirme qu'il y eut un monastère fondé par saint Kirek , moine breton envoyé de Tréguier à Locquirec à la tête d'une colonie de douze religieux. Ce moine était, dit-on, disciple de saint Tugdual, l'un des sept compagnons de saint Colomban qui furent les premiers évêques de Bretagne. Sur l'ancien cadastre, une parcelle porte encore le nom de " champ du monastère ", sur laquelle fut construit l'hôtel des Bains qui surplombe la mer, mais ceci ne suffit pas à justifier la présence d'un monastère sur cet emplacement.


Saint Jacques.
On ignore tout de l'apparition de saint Jacques comme patron de Locquirec, mais elle ne semble pas antérieure au XVIIe siècle. Sa statue monumentale veille sur le village, solidement plantée au haut d'une tourelle du clocher bâti vers 1630, mais, en 1720, nous l'avons vu, il s'efface encore devant saint Jean et saint Kirec. Une légende , recueillie par écrit à la fin du XIXe siècle, mais à l'évidence beaucoup plus ancienne étant donné la stabilité de la population, raconte une histoire qui ressemble fort à celle qui fit la gloire de Compostelle :

" Un jour, à ce que j'ai ouï dire, ou plutôt une nuit, des marins de cette côte virent sur la mer une barque étrange, en forme de huche à pétrir, qu'enveloppait une nuée lumineuse. Elle venait vers le rivage, contre vents et marées, sans voiles, sans équipage, sans gouvernail. Quand elle eut abordé, les gens s'approchèrent et virent, étendu dans le fond, le corps d'un moine vêtu d'un habit de pèlerin. Des pêcheurs qui avaient voyagé reconnurent saint Jacques et dirent c'est saint Jacques, d'Espagne ou de Turquie. Il vient pour faire des miracles dans notre contrée. Recevons-le avec respect, d'autant plus que saint Kirek est bien vieux. Ainsi fut fait et, depuis lors, saint Jacques habite parmi nous et il est honoré comme patron de la paroisse ".

L'arrivée d'un corps en barque de pierre n'est pas faite pour étonner ces marins. Pline parle déjà, au premier siècle de notre ère, des marins bretons franchissant la mer d'Irlande et l'Océan sur des barques d'osier garnies de cuir et Sidoine Apollinaire des marins d'Irlande abordant en Aquitaine au Ve siècle avec leurs bateaux faits de cuir et de phoque graissé , l'un et l'autre largement confirmés par les récits bretons relatant les arrivées de pieux ermites sur des barques lestées de pierres qui deviennent parfois leur tombeau, partis sans voiles ni gouvernail afin de suivre la seule volonté de Dieu. La légende daterait-elle de ce même XVIIe siècle où fut placée la statue sur le clocher ?

Pourquoi saint Jacques ?

En ce début de XVIIe siècle où la Contre-Réforme se préoccupe de mettre de l'ordre dans le calendrier des saints, Kirec put paraître un saint peu conforme aux nouvelles exigences de l'Eglise catholique. Le clergé aurait pu le supprimer simplement, au profit de saint Jean. Il n'en a rien été, mais on n'en connaît pas la raison. Saint Jacques, apôtre non contesté, fut souvent choisi à cette époque pour patronner des églises nouvelles, ou remplacer d'anciens saints. Peut-être a-t-on pensé à lui à Locquirec parce que deux familles nobles du village portaient des coquilles dans leurs armes ?

 

Ces armes étaient reproduites sur des vitraux offerts au XVIe siècle, ainsi qu'en témoigne cette description faite en 1679 :
"Du côté de l'Evangile dud. grand autel, hors des ballustres d'icelluy est une vitre à deux soufflets et une rose joignant du côté de l'épître l'autel du Saint Rosaire dans laquelle il y a un écusson en plein portant de gueules à trois coquilles d'argent, deux en chef l'autre en pointe surmonté d'un gantelet de même à l'épervier d'or posé en abyme qui est de LESMELEUC surmonté d'un casque et ceinturé d'un chapelet à la croix de chevalier de Saint-Jean de Jérusalem. Au-dessous de la chaise du prédicateur est un banc au-dessus de laquelle est une vitre chargée de deux écussons. Et au milieu sur le tout est un écusson en abyme écartelé au 1 et 4 d'azur à trois coquilles d'or"
Les coquilles d'argent appartiennent aux Lesmeleuc de La Salle (seigneurs de la Salle en Andelle). Deux frères, Maurice et François étaient chevaliers de Malte en 1581, ordre qui a succédé à celui de Saint-Jean-de-Jérusalem. Les coquilles d'or appartiennent à la famille ESTIENNE.

Un tombeau nommé "reliquaire"
Une autre question est de savoir où fut déposé le corps de saint Jacques, miraculeusement débarqué. En 1720, les textes mentionnent un Reliquaire "dans le cimetièr" , proche d'une "croix de pierre de taille avec un crucifix au pied duquel sont en bosse les armes de l'Ordre" et distant de cinquante pas d'un autre beau calvaire de granit "avec grand nombre de figures et de statues de saints". A partir de là, peut-on supposer que le sarcophage de la légende est ce Reliquaire, à l'évidence trop volumineux pour répondre à la définition habituelle (coffret à contenir des reliques) puisqu'il est situé dans le cimetière et non dans l'église ? D'aucuns diront qu'en Bretagne, ce " reliquaire " pouvait n'être qu'un ossuaire, classique dans la région. Mais à Saint-Jean-du-Doigt, tout près de là, subsiste un édifice appelé aussi reliquaire , niché dans le contrefort sud du clocher et daté XVe siècle et ayant vraisemblablement abrité le corps de saint Meriadec, détrôné en 1420 par l'arrivée d'une phalange d'un doigt de la main de saint Jean-Baptiste. Une gravure des années 1845 montre que ce reliquaire était l'objet de la ferveur populaire : on y voit une procession sortant de l'église derrière croix et bannière, venir se recueillir devant ce petit édicule qu'il est impossible d'assimiler à un ossuaire puisqu'il en est un juste à côté, daté de 1597. A Locquirec, ce reliquaire fut vraisemblablement détruit en 1790 en même temps que le Calvaire et les écussons, par des révolutionnaires venus de Morlaix. N'en resteraient que les quelques morceaux scellés dans le mur méridional extérieur de l'église. Un fait plaide en faveur de la présence du corps de saint Jacques dans ce Reliquaire : les registres paroissiaux du XVIIIe siècle rapportent qu'il était de coutume d'y inhumer certains enfants. Par trois fois au moins des bébés morts y sont enterrés, comme si on voulait confier leur passage à un corps saint capable de les protéger, et ceci rappelle tous les enfants présents autour de saint Jacques le jour du Pardon. Il convient de remarquer qu'il ne s'agit pas d'enfants morts sans baptême, passibles d'une quelconque exclusion :
- le 4 mai 1733 "a esté enterré dans le Reliquaire de Locquirec un enfant née du jour précédent ... ondoyée à la maison"
- "Jean Le Galloedec, agé d'onze mois, décédé le 25 mars 1739 a esté le jour suivant enterré dans le Reliquaire de Locquirec ..."
- "Françoise Le Goff, âgée d'environ 5 mois, décédée le 17 avril 1739, a esté le jour suivant enterrée dans le Reliquaire de Locquirec ..."

Ces parents qui confient leurs enfants à saint Jacques rappellent que l'apôtre fut aussi, au Moyen Age en Allemagne, patron des enfants orphelins, s'il est capable de protéger les enfants vivants, il est capable de protéger les enfants morts. Rappelons qu'il est réputé savoir guider les morts au long de leur voyage vers le ciel. En plusieurs autres endroits, saint Jacques ressuscite des enfants morts. Qui sait si la coutume n'était pas de les porter sur ce reliquaire avec cet espoir ? La présence, aujourd'hui, de deux enfants représentant saint Kirec et saint Jacques plaide en faveur de cette hypothèse, les pouvoirs du second ayant pu succéder à ceux du premier.

Sang de saint Jacques
Tout ne fut peut-être pas détruit à la Révolution puisqu'il reste, dans le trésor de l'église, une relique rare, une goutte de " Sang de saint Jacques ". L'authentique qui l'accompagne fut délivrée par Rome en 1887 :

" ... particules sacrées du sang de saint Jacques le Majeur, apôtre ... que nous avons trouvées dans une boîte que l'on nous a montrée. Cette boîte est en argent, de forme ovale, elle est munie d'un unique cristal et est garnie à l'intérieur d'un tissu de soie de couleur rouge ... ".

L'évêché de Quimper ne conserve aucun dossier sur le sujet . Cette authentification tardive ne signe pas une création, mais laisse supposer, comme cela s'est produit parfois, que la relique, cachée à la Révolution, a été retrouvée dans quelque tiroir par un héritier qui l'a restituée à l'église. Qui s'est soucié de l'authentique, et pour répondre à quels doutes, émis par qui ? Aucun souvenir n'a été gardé par la mémoire du village. La facture du reliquaire peut le dater du XVe siècle, mais rien ne prouve que la relique n'a pas été glissée dans un écrin plus ancien.

Une conclusion en forme d'hypothèses : Au XVIIe siècle, saint Jacques remplaça saint Kirec dans le coeur des fidèles de Locquirec. Comme lui, il avait le pouvoir de protéger les enfants morts, voire de les ressusciter. Les familles nobles du village ont pu être à l'origine de ce changement de vocable. Après la Révolution, une fois détruit le corps de saint Jacques et son Reliquaire, la goutte de sang de saint Jacques resta comme le seul témoignage d'une dévotion que rien n'autorise à dater d'avant ce début du XVIIe siècle où fut reconstruit le clocher de l'église.

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