Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente
 

Les chansons de pèlerins dans les livrets de colportage

Les Chansons des pèlerins de Saint-Jacques sont l’un des 1 200 titres appartenant à la grande collection dite de la Bibliothèque Bleue, vendue par millions à travers la France entre les XVIIe et XIXe siècles.

Cette Bibliothèque Bleue est une collection de petites brochures fragiles, bon marché, mal imprimées sur un mauvais papier mal encré, avec des coquilles nombreuses et des illustrations rares et archaïques. Elle tire son nom du papier bleu-gris de ses couvertures. A Troyes, au début du XVIIe siècle, en un temps où l’enseignement public n’existait pas, où les bibliothèques étaient rares, Nicolas Oudot, fils d’un typographe, s’attire les faveurs du clergé de la région en éditant des livres pieux illustrés de vieux bois rachetés à bas prix. C’est le succès et sa maison perdure jusqu’en 1863, passant d’une véritable dynastie Oudot aux familles Garnier puis Baudot. A la fin du XVIIIe siècle, cent cinquante imprimeurs produisent des imitations de ces livrets dans 70 villes dont Paris, Lyon, Troyes, Rouen, Toulouse. Dans chacune, une librairie de colportage où viennent s’approvisionner les colporteurs qui ; à leur tour, sillonnent les campagnes.

Le public appartient aux classes populaires, mais aussi à la noblesse, même si elle s’en cache. Les sujets principaux  traitent de sujets dans lesquels se mêlent le merveilleux, le burlesque et le sacré : les gueux, les femmes, la cuisine, la mort, l’écriture, la civilité, le rire, le corps, la magie, la sainteté, le roman, le catéchisme, les brigands, les métiers, la misère, le temps, l’histoire, etc. Les imprimeurs ne se soucient de publier du neuf. Ils puisent abondamment dans le fonds ancien de l’imprimerie (d’où l’usure des caractères qui s’impriment mal), c’est-à-dire dans les publications réalisées au XVIe siècle, elles-mêmes puisées dans le répertoire médiéval. Et ils rééditent autant de fois qu’il est nécessaire.

« Les Chansons des pèlerins de S. Jacques » dans les collections des livrets de colportage

Dans l’Inventaire fait après le décès de Jacques II Oudot, en 1722, sur 40 000 volumes, on a compté 2 568 exemplaires de « Chansons de St. Jacques », soit 6,5% de la collection. Ces livrets sont parmi les plus coûteux : alors que les autres valent entre 18 et 40 sols la douzaine, eux sont vendus 46 sols. Lors du décès de sa veuve, en 1742, aucune « Chanson » parmi les 120 titres inventoriés, pas plus que dans les inventaires suivants. Faut-il en conclure que tous les livrets de Chansons se sont vendus sur une courte période (on en trouve mention dans le catalogue d’inventaire de la veuve de Nicolas Oudot), n’allant pas au-delà des livrets qui furent imprimés en 1718 ?

Curieusement, il semble que les imprimeurs étaient liés à Compostelle car tous les livrets comportent cette mention « Imprimé à Compostel » ou « s’imprime à Compostelle », avec cependant, à la fin, les mentions : « Approbation, Troyes 7 août 1718 »

Le livret conservé à Toulouse comporte une inscription curieuse : « S’imprime à Compostelle », d’autant plus curieuse qu’à la fin figure une note explicative très contradictoire : « approbation Troyes, le 7 août 1718. Permission Troyes le 12 août 1718 »
Tous ces livrets ont 48 pages.

Les titres

Ils ne sont pas strictement les mêmes selon les exemplaires. Voici une table des matières classique, qui sur 11 titres, comporte seulement 6 chansons et autres textes, très répandus car figurant sur des images données ou vendues aux pèlerins arrivant à Compostelle. Le « chemin de Paris à Saint-Jacques » figure dans les Guides qui se multiplient à partir du XVIIe siècle.

- La Grande Chanson des pèlerins de Saint Jacques

- Autre chanson des pèlerins de S. Jacques

- Chanson du devoir des pèlerins (sur l’air : Or sus, Peuple de France)

- Histoire arrivée à deux pèlerins (sur le chant : De la Boisle)

- Sur une Gentilhomme qui a fait le voyage de S. Jacques et s’est rendu Capucin (sur le chant : Réveillez-vous belle dormeuse)

- Autre chanson des Pèlerins de S.Jacques (sur l’air : ma calebasse est ma compagne, etc)

- Oraison

- Mémoire des saintes reliques qui sont en l’église de Compostelle

- Mémoire des reliques qui furent apportées par le roi Dom Alphonse III

- Chemin de Paris à Saint Jacques le grand

 -La vie et les miracles de saint Jacques le Majeur, apôtre.

Les illustrations

Les illustrations ne sont pas légendées, mais on peut y reconnaître les grands thèmes classiques. On y retrouve la légende du pendu-dépendu, mais développée en six images qui ne se suivent pas forcément : les pèlerins sur la route, les pèlerins à l’auberge, la pendaison, la prière des parents à saint Jacques à Compostelle, le fils vivant sur le gibet, l’exécution de la vraie coupable, brûlée vive.

Ensuite : la décollation de saint Jacques et, sous réserve d’examen plus approfondi, un ou deux épisodes du Pseudo-Turpin si l’on en juge par la présence du personnage couronné qui peut être Charlemagne.

La Grande Chanson

Certains pèlerins chantaient pour gagner leur vie dans les villes, sur une musique ressemblant à des psalmodies aux accents médiévaux. Elle est composée en forme d’itinéraires. Qu’ils aient pour point de départ Aurillac, Paris, Troyes ou Toulouse ils sont pratiquement identiques et montrent que les pèlerins passaient tous au plus droit, et dans les régions les moins difficiles à franchir : Poitiers, Saintonge, Aquitaine… et Bayonne, là où les Pyrénées se font plus douces au pied. En Espagne, leur itinéraire, un peu sinueux, emprunte à la fois aux vieux chemins de la côte Cantabrique et au Camino frances.

A la description des itinéraires se mêlent des invocations pieuses, des avertissements, des conseils : « Vous aurez loisir, cheminant en Espagne, de vous contenter de peu. Maintes montagnes il vous faudra monter. En ces tristes demeures, vous n'aurez pas souvent pain et vin à vos heures quand n'aurez pas d’argent ».

Dater les textes est pratiquement impossible car la trame est la même pour tous. La plus ancienne, et la plus courte, est certainement celle des pèlerins d’Aurillac.que les spécialistes datent du XIVe siècle. Les autres sont plus tardives. Deux versions parlent de la Saintonge saccagée par les Huguenots : la Rochelle connut deux sièges sanglants, en 1572 et en 1627-1628. Impossible de dire après lequel sont passés les pèlerins… Une autre évoque la « patente de confession »: sous cette forme de substantif, le mot « patente » est apparu au XVIe siècle. On peut simplement dire que ces différentes versions ont été chantées entre les XIVe et XVIIIe siècles, voire même au XIXe (Exemple en Ardèche cette citation d’un folkloriste : « Nous tirons cette pièce d’un vieux manuscrit appartenant à la famille Bezal, de Saint-Pierre-de-Colombier… Son mérite littéraire et poétique n’est pas grand, mais elle contient des sentiments de foi et de patriotisme vraiment touchants… Cette chanson prouve que le pèlerinage, quoique long et difficile, n’était pas ignoré de nos pères : il exigeait une foi et un dévouement autrement plus grands que nos pèlerinages modernes faits en chemin de fer. Cette chanson indique de loin en loin l’itinéraire suivi par nos pèlerins Vivarais »).

Denise Péricard-Méa

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