| Le double titre de cet ouvrage renvoie à ses deux parties.
La première traite des circonstances dans lesquelles le personnage de
l’apôtre saint Jacques, sur lequel les Évangiles ne donnent
que des informations très succinctes, a connu un développement
légendaire substantiel qui a fait de lui l’évangélisateur
de l’Espagne, puis, en quelque sorte par voie de conséquence, lui
a attribué un tombeau sur le site de la future ville qui portera son
nom. Partant d’informations éparses et toutes apocryphes, les catalogues
apostoliques ont proposé à son sujet de brèves notices
qui ont répandu, à côté d’informations basiques
sur son état civil, de vagues assertions sur sa prédication en
Espagne et des termes énigmatiques sur sa sépulture qui ont incité à la
découvrir au début du IXe siècle, friand de reliques, sur
les côtes de la Galice. |
Pour expliquer la présence du tombeau en cet endroit, une légende
de translation du corps de saint Jacques, martyrisé à Jérusalem,
a été forgée par synthèse de données empruntées
d’une part à l’histoire de l’hérétique
Priscillien, prédicateur en Galice, martyrisé à Trèves
au Ve siècle mais dont le corps a été rapatrié sur
les lieux de son ministère, et de la légende des sept évangélisateurs
de la Bétique, elle-même une version occidentale de la légende
grecque des sept dormants d’Éphèse. Ainsi le personnage
de Jacques, qui tient de son nom biblique la qualité de « supplanteur »,
amalgame-t-il les deux récits qui pourraient lui susciter des concurrents
dans le patronat de l’Espagne.
Le développement d’un pèlerinage au tombeau de saint Jacques
se reflète successivement dans deux séries de textes qui attribuent à saint
Jacques, entre 1110 et 1120, le mérite d’avoir initié la
conquête fictive de l’Espagne par Charlemagne, et, entre 1130 et
1135, l’accomplissement de vingt-deux miracles au profit des pèlerins
qui se rendent sur son tombeau. Ces deux textes seront réunis après
1141 par Pierre de Poitiers, (venu avec Pierre le Vénérable en
Espagne et chargé de traduire le Coran), en un volume intitulé Liber
Miraculorum sancti Jacobi papae Calixti , donc attribué au pape Calixte
II, qui connaîtra plusieurs versions successives et aboutira à la
rédaction du Jacobus de la Cathédrale de Compostelle, distinct
de toutes les versions qui l’ont précédé par l’adjonction,
en tête du recueil, d’un ensemble très volumineux de sermons
et de messes chantées, et, en dernière partie, d’une présentation
de l’itinéraire de Saint-Jacques de Compostelle, connue depuis
1938 sous le titre inexact de Guide du Pèlerin de Saint-Jacques. Des
indices concordants suggèrent que le luxueux manuscrit aura été rédigé à Vézelay
et copié à Cluny, puis apporté à Compostelle en
1164 par l’archevêque de Mayence, Konrad von Wittelsbach.
La traduction
intégrale en français, - la première en son genre - du
Jacobus, alias Livre de saint Jacques ou Codex Calixtinus forme la deuxième
partie du livre.
L'interprétation de ces textes, tous apocryphes, n'y recherche ni des
témoignages sur leur époque, la personnalité supposée
de leurs rédacteurs ou l'histoire des idées religieuses, mais
la présence en eux-mêmes et dans leurs rapports entre eux des multiples
courants qui déchirent cette période troublée de la Reconquête.
Trois schismes pontificaux entre 1119 et 1160, les tensions entre les Augustins,
les Clunisiens et les Cisterciens, l'héritage impérial de Charlemagne
que se disputent la France, l'Espagne et l'Empire germanique apparaissent à l'origine
de cette production textuelle. Loin de refléter une situation triomphale
de Compostelle, elle cherche à conjurer les dangers qui menacent la ville,
le tombeau de l'Apôtre et la grande cathédrale qui est son écrin.
Ce discours de style roman et clunisien s'interrompt brutalement au seuil de
l'âge gothique et cistercien.
La Légende de Compostelle / Le Livre de saint Jacques, Tallandier 2003, 760 p.
par Bernard Gicquel
postface de Denise Péricard-Méa |