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Un joli livre, au titre trompeur, illustré de jolies photos, édité
par un grand éditeur parisien, imprudemment ou complaisamment préfacé
par un ancien archevêque de Compostelle et par un haut fonctionnaire
du Conseil de l'Europe, " soutenu " par une " association " qui n'en
est pas une. Tous les ingrédients pour un succès de librairie.
Les mêmes auteur et éditeur avaient déjà publié en 1989 un Guide des Chemins de
Compostelle. Ils ont récidivé en 1996 en publiant ce guide européen. Pourquoi pas ?
L'idée était
bonne de réunir sous une même couverture les éléments majeurs du patrimoine jacquaire,
épars à travers toute l'Europe. Encore eût-il fallu tenir compte des erreurs
commises lors de la
première publication qui faisait écrire à un lecteur connaissant bien sa région*
:
" Les
inexactitudes, confusions, approximations relevées dès les premières pages accréditent
l'idée
que les auteurs, plus zélés que conscients de l'ampleur d'un tel ouvrage, ont
oublié la qualité
essentielle d'un guide : sa précision. Sans tenir compte des reproches adressés à l'éditeur,
c'est en journaliste peu sérieux que l'auteur a poursuivi son travail pour l'Europe
et rassemblé
une documentation qui doit plus aux emprunts faits à diverses publications
touristiques pas
toujours vérifiées, ou incomprises, qu'à une connaissance de l'histoire du pèlerinage
et à
d'élémentaires notions d'archéologie ".
Ce livre, par la vertu du prestige de la chose imprimée et de la publicité qui lui a été
faite, est malheureusement considéré comme une Bible par les néophytes et même
par certaines associations qui manquent d'informations ou de sens critique. Là on s'appuie
sur ses dires pour dessiner un chemin, ailleurs on place sa ville sur une soit-disant route de
Pologne, ailleurs encore des municipalités confiantes, honorées et flattées de voir leur ville
figurer dans ce bel ouvrage susceptible de servir leur politique touristique, paient pour
accueillir une exposition des photos du livre ou des conférences.
Il est grand temps que les associations réagissent** et
relayent Louis Bonnaud qui le premier a signalé les vices de cet
ouvrage. Nous ne devons plus tolérer que les pèlerins et les sympathisants
se laissent berner par une pseudo- culture au rabais, prenant
pour
argent comptant ce qui flatte ou ce qui fait plaisir au détriment
d'une approche sérieuse et documentée. Nous ne pouvons pas laisser
la culture jacquaire aux mains des marchands, des politiques
ou
des incompétents. Nous nous devons de rechercher et faire connaître
les meilleures informations disponibles dans tous les domaines.
Il est souhaitable que, dans chaque association, ceux qui connaissent bien leur région et son histoire et
s'intéressent à la culture jacquaire lisent sérieusement les pages de cet ouvrage concernant leur
région. Qu'ils se rapprochent, si besoin est, des érudits locaux et des sociétés savantes. Qu'ils fassent, comme
Louis Bonnaud l'a fait le premier, œuvre critique.
La Fondation centralisera les observations et, comme l'a fait Louis
Bonnaud, en informera l'auteur et l'éditeur.
Ci-dessous les premières observations recueillies. Elles seront progressivement complétées.
* Louis
Bonnaud, vice président de la Société historique
et archéologique du Limousin, dans un article publié en décembre
1998 dans le n° 45 du bulletin Renaissance du vieux Limoges
sous le titre
" Le mauvais chapitre limousin d'un Guide des chemins de Compostelle ".
** Nous constatons en février 2004 que cette réaction
n'a pas eu lieu. Ce livre continue malheureusement à être
recommandé. Voir La Croix des 7
et 8 février 2004. Interrogé par nous le journaliste
responsable nous a écrit "certains titres vous apparaissent-ils
comme « de mauvais titres pour automobilistes (ndlr : c'est
l'avis que nous lui avons exprimé)» mais,
notre article le montre, les pèlerins peuvent avoir des
attentes différentes". Les journalistes se citent
mutuellement et, croyant connaître les attentes du public, se moquent
de lui. |
En Limousin
Suivons, dans l'ordre des pages, la lecture de Louis Bonnaud pour ce qui concerne le Limousin :
p. 55 : " Les insignes nordique de pèlerinage…sortes de médailles confectionnées par les pèlerins à leur usage ". Ces enseignes n'ont jamais été confectionnées PAR les pèlerins, mais POUR les pèlerins qui les achetaient en souvenir. L'une d'elle concerne saint Léonard, sur laquelle l'auteur voit le saint tenant " le livre de la règle de saint Benoît et, à ses pieds, un faon implorant nu et enchaîné " alors que Léonard n'a jamais appartenu à l'ordre de saint Benoît et que le faon est un prisonnier !
p. 237 : " Léonard meurt en 559, entouré d'un immense prestige " ce qui n'empêche pas d'apprendre trois pages plus loin que " c'est dans une époque troublée du XIe siècle que Léonard de Noblat s'est établi en Limousin ".
p. 238 : à Saint-Léonard-de-Noblat ce ne sont pas " deux ponts gothiques sur la Vienne ", mais un seul.
p. 238 : une statue légendée " Saint-Léonard-de-Noblat. Statue de saint Léonard " est en réalité une statue de saint Jacques située à Seilhac et p. 240 un " saint Jacques du XVIIe siècle " dans l'église Saint-Pierre-du-Queyroix qui n'abrite pas de statue de l'apôtre.
p. 238 encore : " Fête et jeu équestre de La Quintinie ", confondant le célèbre agronome né à Chabanais en 1626 avec le jeu de la Quintaine !
p. 239 : Aureil n'a pas été fondé au IIe siècle, mais au XIe siècle.
p. 239 : deux évêques de Limoges appelés Martial, l'un ayant vécu de 1090 à 1156 comme l'annonce le titre, l'autre vers 250 comme l'affirme le texte qui suit ce titre ???
p. 239 : " il ne reste qu'une crypte de la célèbre abbaye " alors que, sur plus de 1000 m2 on peut visiter les vestiges de l'hypogée de saint Martial, le sanctuaire de Tève le Duc, les bases de l'église Saint-Pierre-du-Sépulcre et de la chapelle Saint-Benoît.
Toujours p. 239 : A la Révolution, les reliques ne furent pas " dissimulées dans un coin de l'église Saint-Michel " mais cachées au domicile de deux des révolutionnaires.
p. 240 : un encart intitulé " le culte de saint Léonard en Limousin " compte églises, confréries et hôpitaux dédiés à saint Jacques.
p. 242 : le pèlerin passe devant " le château de Châlus devant lequel Richard Cœur de Lion fut mortellement blessé " mais p. 243 " est venu mourir au château de Viellecour ". Richard a dû faire comme le roi Renaud de la chanson, rentrer en " tenant ses tripes dans ses mains ". Mais quel chroniqueur l'a écrit ?
Et enfin, p. 313, nul besoin d'être spécialiste pour s'étonner de voir la cathédrale du Puy étiquetée " basilique " puis " église typique du roman limousin ".
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En Berry
Suivant les conseils de Louis Bonnaud qui demande que chacun lise " sa " région avec la même minutie, voici ma lecture concernant le Berry.
p. 214-215, première surprise, à Sancergues où, à propos de l'église Saint-Jacques l'auteur affirme que " l'édifice actuel est du XIIe " alors que l'église du XIIe fut détruite pendant la guerre de Cent Ans. Il ne s'étonne pas même de la photo du dit " édifice actuel ", manifestement fort remanié au XIXe siècle.
En cette même page, on apprend que " le chemin de Saint-Jacques ne suit pas le trajet de la nationale mais passe légèrement au sud ". Sur quelles bases ? A quelle date ? Ce soit-disant chemin passe à Baugy puis, sans raison apparente remonte vers Sainte-Solange. Sans raison apparente pour l'historien, car l'auteur sait, lui, que " c'était un lieu de pèlerinage très fréquenté sur le chemin de Saint-Jacques ". Si seulement il nous disait pourquoi ? On repique au sud vers Bourges, l'antique " Avarich " (Avaricum doit être démodé ?) Puis notre pèlerin pressé se perd dans les " fils de Jean le Bon " qu'il renonce à nommer. Jean de Berry, il devrait pourtant connaître. Mais Bourges ne fut pas sa capitale : il ne fut jamais roi de Bourges (contrairement à Charles VII un peu plus tard) mais reçut la région au titre de frère du roi Charles V, et cette possession viagère s'appelle un apanage. Puis, en un raccourci saisissant on apprend que Calvin, se serait " converti à Bourges au protestantisme ".
p. 216 : Le pèlerin est ensuite dirigé d'autorité vers Chârost par Villeneuve. Voici une vérité qui a été prise pour argent comptant : un panneau est planté sur cette route sur la foi de cette affirmation. C'est donc ainsi que s'écrit l'histoire ? Comble du comble, voici Chârost avec de " nombreux monastères aujourd'hui disparus ". On a jusqu'ici connaissance d'un seul, devenu au XIIe siècle prieuré dépendant de Notre-Dame d'Issoudun. Où sont les autres ? Le pèlerin doit admirer ensuite " un tympan avec un Christ en majesté " sans qu'on lui précise qu'il date du XIXe siècle…. Puis voici " Issoudun, ville qui possède le plus de souvenirs du passage des pèlerins de Compostelle ", ce " plus de souvenirs " (2 fois répété) consiste en un saint Jacques parmi le collège des apôtres sur un chapiteau de la chapelle de l'hôtel-Dieu et en une tête de saint Jacques. Sur quoi se fonde l'auteur pour affirmer que cette tête est un " émouvant souvenir du passage des pèlerins " ? Elle est une rescapée du musée détruit en 1940, son origine est inconnue. Pour l'auteur, de l'abbaye Notre-Dame " subsiste la belle collégiale Saint-Cyr ", sans qu'il soit gêné par la confusion entre abbaye et collégiale qui ont coexisté à Issoudun : de Notre-Dame il ne reste rien tandis que l'église de l'ancienne collégiale Saint-Cyr n'a pas bougé.
p. 218 : Ne cherchez pas à Issoudun la " place de la Ghaume " mais " la Chaume ", ni la " croix de pierre " qui a disparu depuis longtemps de la " place de la croix de pierre "
La lecture se poursuit : à Déols, voici " une tour romane, vestige d'une église du XIIe siècle " dont l'auteur ne sait pas que c'est le clocher de l'abbaye dont il parle un peu plus bas. Qui étaient les pèlerins " hébergés à l'hôpital Saint-Jacques " de Châteauroux, allaient-ils à Compostelle ?
p. 219 : on n'échappe pas à George Sand, produit touristique essentiel de la région de la Châtre. En arrivant à Gargilesse, nous voici sur " un des tronçons les plus pittoresques du chemin de Vézelay que George Sand a célébré ", elle dont l'œuvre ne recèle pas la moindre mention de saint Jacques ou de Compostelle.
D.P.M.
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Au Portugal
Un dignitaire portugais a fait part de son indignation au Conseil de l'Europe… On le comprend quand on lit p. 528 que " c'est seulement au XVIIe siècle que le Portugal accéda à l'indépendance " ! alors qu'elle date de 1139.
A Compostelle
Louis Bonnaud relève, à propos de Compostelle, un seul exemple au milieu des incertitudes et approximations : p. 163 " place de los Literarios, voir la porte Sainte ouverte à certaines dates ". La place est celle de la Quintana et les dates sont celles des années jubilaires qu'il eût été bienséant d'expliquer.
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Généralités
Après Limousin et Berry, voici des commentaires de lecture des généralités
(p. 13 et suivantes)
Un résumé mal présenté de compilations aboutit à des paragraphes
incompréhensibles et à des affirmations fausses. On y parle de la
« Charte de 1077 » ? C’est quoi ? Un flou artistique permet de passer
de la « tradition du corps ramené en Espagne » à, trois phrases
plus loin, l’affirmation « au-dessus de ces reliques de saint Jacques
fut bâtie la basilique ». Qu’est devenue la supposition initiale
? De même des affirmations pour les reliques de saint Jacques à
Compostelle : à cause de l’amiral Drake « en 1589, on les transfère
sous les pavés de l’abside… on les remit en place en 1879 » alors
qu’on ne sait rien de la présence des reliques dans le tombeau à
aucune période, mais qu’on sait pertinemment que la redécouverte
de 1879 est bien contestable.
Un souci permanent de style littéraire conduit l’auteur à
utiliser des mots-remplissage sans signification, parfois dans une
même phrase : « remarquable », « magnifique », « exceptionnelle
» ou encore « belle », « beau », « fière allure », « joyau ». Les
murailles sont « puissantes », les étapes « importantes »
employer des mots savants, comme le fit avant lui le Médecin malgré
lui pour faire croire à sa science :
- emploi du terme « émaux champlevés » pour désigner une série de
24 plaques d’émail peint ;
- -utilisation du mot « basilique » comme synonyme de « cathédrale
» ou « grande église » sans tenir compte du fait que depuis le XIXe
siècle, le terme désigne une église ayant reçu du pape des privilèges
qui la placent au-dessus des autres églises, à l’exception de la
cathédrale (ex. la basilique du Sacré-Cœur à Issoudun) ;
- à propos de Bourges, écrire que la ville fut « rattachée » au
domaine royal par Philippe Ier laisse entendre que le roi utilisa
des procédures légales (y compris militaires) alors qu’elle fut
vendue par le dernier vicomte partant à la Croisade. Il eût été
plus exact de dire que Bourges fut rattachée au domaine royal sous
Philippe Ier.
- Le baptême par immersion n’est pas une « coutume saxonne » (p.
69) mais une coutume chrétienne généralisée. Au IXe siècle, on est
passé au baptême par aspersion lorsqu’on a baptisé non plus des
adultes, mais des nouveaux-nés. Ce baptistère de Osnabrück est donc
une intéressante transition entre les deux formules. Date-t-il vraiment
du XIIIe siècle comme le laisse entendre l’auteur ? Ce serait alors
une continuation saxonne de l’ancienne formule, ce qui n’est pas
la même chose.
- Emploi de mots dont le lecteur ignore souvent la définition d’un
« martyrologe » et ne connaît pas « Adon ». Est-ce pour le persuader
de son ignorance et le pousser à avaler tout le reste ?
- Emploi indifférencié de « vitrail » et « médaillon » (p.216) dans
le titre d'un encadré « La vie de saint Jacques sur les vitraux
de la cathédrale de Bourges » (un seul vitrail raconte la Vie en
plusieurs médaillons)
- Écrire « rétable » au lieu de « retable ».
- Quelques grandes envolées de style aboutissent à des affirmations
toutes plus fausses les unes que les autres : les Français qui «
affluèrent», ce qui fait dire, à tort que le camino frances est
le chemin des Français alors qu’il est le chemin des Francs ; Brigitte
de Suède qui « brave les dangers de la guerre de Cent Ans », pauvre
Brigitte que l’on voit, seulette sur les routes avec son courageux
mari alors qu’elle était accompagnée d’une suite nombreuse ; Guillaume
d’Aquitaine parti « pour expier une hérésie » ; les riches qui seuls
voyagent en bateau.
Certaines des envolées sont très imagées et fort surprenantes, sans
doute involontairement : Eric Marquard qui « part enchaîné à Compostelle,
pris en charge par son évêque pour expier son crime ». Pourquoi
diable cet évêque s’est-il cru obligé de porter ce pèlerin empaqueté
et alourdi de chaînes ? La tradition se perpétue puisque récemment
« deux délinquants belges on accompli leur peine en accompagnant
à pied à Compostelle un délégué du tribunal qui les avait condamnés
».
On n’échappe pas au couplet du temps que nous n’avons pas, mais
dont nos ancêtres disposaient abondamment. Alors, on tronçonne.
Exemple de ces pèlerins qui n’ont pas le temps : ce « ménage de
professeurs ». Pas le temps, ou pas envie ? Qui sont ces « ils »
« qui se reposaient dans de modestes hôtels ou de petites auberges
où ils dégustaient les petits plats de la maîtresse de maison, arrosés
d’un agréable vin de pays » ? Un pèlerinage gastronomique, pourquoi
pas ? Mais ces « ils » ont peut-être d’autres motivations ?
p. 16 souffle le vent de l’épopée : les pèlerinages renaissent «
au moment où l’on s’acharne à recoudre un tissu déchiré par l’Histoire,
y compris l’Histoire de l’Eglise, qui ne s’est jamais guérie des
schismes de 1054, la privant de son poumon oriental, ni d’une Réforme
faisant de correligionnaires des frères séparés ».
La suite est à l’avenant et se termine par le choix péremptoire
de « neuf routes principales de l’Europe vers Compostelle », une
belle surenchère, tout aussi arbitraire, sur les quatre routes du
Guide du pèlerin. Un dernier conseil : ne pas court-circuiter ces
routes, ni la « toile des chemins secondaires ». Où passer pour
être tranquille ?
Bref, une collection d’imprécisions, d’à-peu-près, de phrases mises
bout-à-bout, d’idées toutes faites que ce livre contribue puissamment
à véhiculer.
Comment après cela lire ce livre sans avoir envie de douter de tout
?
Denise Péricard-Méa docteur es-lettres, Septembre
2001
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