Pour comprendre ce message, nous avons recueilli des expériences
vécues par des gens de notre époque et des citations de l'histoire passée
afin qu'elles aident à prendre connaissance du sens de l'hospitalité de
ce lieu magnifique l'une des entrées traditionnelles du Chemin dans la
Péninsule Ibérique.
L'histoire du développement du patrimoine de Roncevaux est intimement
lié à la mission d'assistance pour laquelle fut créée la collégiale Santa-María,
il y a déjà 900 ans. Les voyageurs venus d'Outremonts, éblouis par les
évocations historico-légendaires chantées par la Chanson de Roland
et surtout par le Pseudo-Turpin, ainsi que par son prestige, y
reçurent pendant des siècles un traitement très supérieur à celui des
autres lieux hospitaliers.
Plus près de nous, en 1982, après une parenthèse de nombreuses années,
Roncevaux a retrouvé une nouvelle vocation hospitalière. La collégiale
ne s'ouvre plus à tous les types de voyageurs, mais seulement aux pèlerins
de Compostelle en s'ouvrant. Au cours de l'été 1992, trois pèlerins modernes,
deux femmes et un homme, offrirent de s'occuper gratuitement du Refuge
des Pèlerins.
Cette activité s'inscrit dans la tradition multiséculaire d'hospitalité
de la Collégiale Royale. Dans les statuts successifs qu'a suivi depuis
le douzième siècle le Chapître de Roncevaux, on a toujours mentionné le
chanoine hospitalier, conformément aux prescription de la Règle de saint
Benoît. Là, à côté d'un groupe de religieux, il y avait un personnel séculier
fixe, des deux sexes, comme l'étaient l'oblat, las serosas, la béate,
l'aumonier, l'ermite de Ibañeta, etc. Ceux-ci s'occupaient, sous les ordres
du chanoine hospitalier, du bon ordre interne et de la propreté de l'Hôpital.
"Aujourd'hui - nous confiait il y a quelques années, Javier Navarro,
chanoine de Roncevaux, l'hospitalier séculier (ancien pèlerin qui a vécu
dans son corps l'expérience du pèlerinage) possède un savoir pratique
qui manque au prêtre. Cet hospitalier peut faire participer les pèlerins
à ce savoir et les aider dans de nombreux cas, à ouvrir l'horizon du projet
de pèlerinage, dans la mesure ou certains d'entre eux, qui commencent
à cheminer, ne savent pas encore de quoi il retourne. La présence patiente
de l'hospitalier au refuge et sa cohabitation avec le pèlerin aident à
les éclairer. Si dans d'autres refuges la présence de l'hospitalier est
toujours utile, dans des refuges comme Roncevaux, situés en début de pèlerinage,
elle est d'une utilité maximale pour la prise de conscience des pèlerins."
Karmele et María Antonia, les deux premières hospitalières modernes de
Roncevaux, nous ont laissé cet écrit :
" L'expérience que nous avons vécue là-bas est inoubliable. Le lieu,
les gens qui vivent ici, et qui nous ont fait sentir comme si nous avions
été chez nous, entre les nôtres, et aussi les pèlerins. Le contact avec
autant de personnes, auxquelles tu donnes mais dont tu reçois beaucoup
et apprends beaucoup.
Ici la monnaie avec laquelle on paie n'est pas l'argent
et c'est beaucoup plus gratifiant : la tête étonnée de certains qui commencent
le Chemin presque sans savoir pourquoi, mais qui sont ouvert à tout ce
que le Chemin offre et qui commencent à s'étonner, du coup, depuis le
commencement ; ou la conversation tranquille avec ces personnes qui marchent
déjà depuis des jours ou des mois, et te laissent cette sérénité propre
à celui qui est dans le rythme de la nature, le cœur tranquille, tout
de calme.
Finalement, quand quelqu'un vit intensément chaque jour, et même si tous
les jours paraissent identiques, tous sont différents ; le concept de
temps devient relatif, on dirait qu'il se fait plus grand, parce qu'il
donne le temps de vivre des vécus multiples, de savourer la vie minute
par minute. "
Quand et comment a commencé la pratique de l'hospitalité à Roncevaux
?
A l'endroit où se situe l'entrée en Espagne en venant de France, par les
Pyrénées occidentales, existait jusqu'au 12° siècle un monastère au col
d'Ibañeta, situé à 1065 m d'altitude, qui était dédié au Sauveur. Les
premiers faits historiques dont nous disposons se réfèrent à la donation
que fit le roi Sancho Garces IV de ce monastère à celui de Leire en 1071,
même si on pense qu'à cette date il existait déjà depuis longtemps et
accueillait déjà les voyageurs au haut de la montée. Après de multiples
destructions et reconstructions, il est désormais réduit à une chapelle
moderne, construite en l'honneur de l'année sainte compostellane de 1965.
La croix adjacente à l'ermitage rappelle celle, légendaire, que dressa
l'empereur Charlemagne dans un geste de gratitude envers l'apôtre saint
Jacques.
En 1127, la communauté religieuse devient collège de chanoines de Saint-Augustin,
vivant dans de modestes bâtiments autour d'une petite chapelle du Saint-Sauveur.
En 1132, les chanoines s'installent là où ils sont actuellement pour exercer
l'hospitalité, avec l'aide d'une confrérie composée de clercs et de laïcs.
Cette fondation fut le fait de l'évêque de Pampelune, D Sancho de Larrosa
et du roi Alfonso I le Batailleur, soucieux de faire face au nombre croissant
de voyageurs qui depuis tous les coins d'Europe, traversaient les Pyrénées
Rapidement, l'importance de Roncevaux éclipsa le monastère d'Ibañeta si
bien qu'en 1160 le " Guide des pèlerins ", ne recommande que Notre-Dame
de Roncevaux., La communauté de chanoines réguliers de Saint- Augustin
et la confrérie, avec des époques d'expansion et de régression ont survécu
jusqu'à une période récente, jusqu'à ce que l'archevêque de Pampelune
détache la Collégiale de la règle de Saint-Augustin et approuve la création
du chapitre séculier diocésain, qui a donné une vie nouvelle à la communauté.
A côté du vieil hôpital, on a construit, au XIII° siècle, entre 1210 et
1234 - la grande église collégiale Sainte-Marie, excellent exemple du
plus pur style gothique français, qui comporte trois nefs inégales, autant
en longueur qu'en largeur. La nef centrale est prolongée d'une abside
à cinq pans avec des fenêtres en ogive et les bas côtés par un mur avec
des doubles fenêtres. La voûte de la partie centrale est divisée en six,
celle des bas côtés est de simple croisée, les nervures reposent sur deux
rangs de grosses colonnes rondes, avec un soubassement et des chapiteaux.
Sur les belles arcades se situe un beau triforium et des rosaces qui jouent
le rôle de fenêtres hautes.
Le travail des sculptures intérieures se limite pratiquement à la décoration
végétale des chapiteaux des piliers et au bas relief du couronnement de
la Vierge à la clef de l'abside. A côté de l'autel, on peut admirer l'ensemble
formé par une statue de la Vierge à l'enfant qu'accompagnent quatre anges,
de facture récente portant des lampes. Tout au contraire, la statue gothique
de la Vierge de Roncevaux, œuvre française - peut-être de l'atelier d'un
sculpteur de Toulouse - est antérieure à 1387, date à laquelle un document
certifie déjà son existence. Son indiscutable beauté la place parmi les
meilleures représentations du gothique. C'est une statue en bois revêtue
d'argent et d'or dans laquelle se détache le visage de la Vierge, majestueux
et serein, maternel en même temps et le vêtement de plis doux qui l'enveloppe.
La couronne qui lui couvre la tête est un souvenir du couronnement canonique
de la vierge de Roncevaux en 1960.
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D'autres éléments sculpturaux comme le baldaquin d'argent qui
surmonte la statue - à l'imitation de celui de la cathédrale de Gérone - ou les reliefs qui décorent le tympan de la
porte d'entrée sont aussi de facture récente, résultat de la dernière restauration entreprise il y environ cinquante
ans. A l'extérieur, la tour élevée à gauche de la façade a été construite au XIV° siècle. Son caractère militaire se
concrétise dans les mâchicoulis que conserve encore l'étage supérieur. Et le dernier élément singulier se trouve
dans la crypte, récemment restaurée, qui conserve des peintures gothiques réalisées au XIVè.
Des dépendances conventuelles, subsiste la magnifique salle capitulaire, élevée au XIV et le cloître qui a du être
un véritable musée à cause du grand nombre de tombeaux sculptés qu'on y trouvait avant son effondrement sous
le poids des neiges en 1600. A l'intérieur de sa vieille salle capitulaire recouverte d'une voûte de croisée
d'ogives est conservé le tombeau de son fondateur, Sancho VII le Fort, légendaire héros de la bataille des Naves
de Tolosa, dont le surnom doit beaucoup aux proportions colossales d'un personnage qui, au Moyen Age
mesurait 2,20 m. La scène de la bataille est reconstituée sur le grand vitrail près du mausolée, œuvre de José
Maumejean en 1906.
Auprès de l'église s'élève le dernier hôpital, construit entre 1802 et 1807, ainsi que la maison des chanoines et
l'actuelle bibliothèque musée. Ce bâtiment contient des pièces de grande valeur, dont un reliquaire d'émaux de
Montpellier connu comme le jeu d'échec de Charlemagne - XIVè siècle - ou la petite statue gothique de la
Vierge du Trésor.
L'église des pèlerins ou chapelle de Santiago est une chapelle extraordinairement conservée. Petite et simple,
aux deux étages d'ogives du XIIIè siècle, elle a du être construite peu après 1215 dans un style gothique primitif.
On y entre par une porte surmontée d'archivoltes sur des colonnes aux décorations végétales ; le tympan est
décoré d'une tête en bas relief. Au campanile est accrochée la cloche de San Salvador de Ibañeta qui signalait
autrefois le chemin de la Collégiale aux voyageurs perdus.
Non loin de cette église se trouve la chapelle du Saint-Esprit, construction funéraire dont la construction fut
commencée au 12° siècle, utilisant des éléments de style roman dans la partie méridionale de l'ensemble. La
salle carrée contient une crypte voûtée au-dessus de laquelle s'élève une chapelle dont la voûte repose sur des
arcs en diagonales dans le style des petites églises de Eunate et Torres del Río. Au XVIIè siècle, fut construit le
portique à arcade en plein ceintre qui borde actuellement la chapelle. On appelle également cet édifice " Silo de
Charlemagne " dans la mesure où la légende suppose que l'empereur le fit construire au dessus de la pierre
brisée par l'épée de Roland. C'est là que sont supposés enterrés les douze pairs de France. Légendes mises à
part, le monument a été utilisé durant des siècles comme cimetière
Cet établissement hospitalier, composé d'une église, d'un hôpital et d'un collège de chanoines, fut l'un des plus
importants du Chemin, appuyé comme nous le verrons par des donations provenant de l'Europe entière, à cause
de la renommée qu'il avait d'être toujours ouvert, comme le chante la romance populaire du XIIIè siècle " écrit
dans la pierre pour que personne ne l'oublie " :
" La porte s'ouvre devant tous, malades ou en bonne santé,
pas seulement aux catholiques mais aux païens également,
aux juifs, hérétiques, aux oisifs et aux vauriens ;
et plus brièvement, aux bons et aux profanes. "
Entre le XIIe et le XIVe siècles, l'hôpital de Roncevaux reçut des donations importantes, tant des gens qui
habitaient la région de Pampelune que des vallées Pyrénéennes, bénéfices qui s'ajoutèrent à la dotation initiale
provenant des biens de l'évêque et du chapitre de Pampelune. De plus les donations particulières arrivèrent de
toute la Navarre et des autres royaumes de la péninsule : Portugal, Aragon et Castille. Mais l'accroissement du
patrimoine de la Collégiale ne s'est pas limité aux royaumes d'Espagne, mais s'est étendu Outremonts,
s'enrichissant d'héritages et de droits économiques sur les péages et les hôpitaux en France (Samatàn, la
Rochelle, Villefranche de Beaujolais, Montpellier…) ainsi qu'en Italie et en Angleterre.
Au XVIIè siècle encore il arrivait de comptabiliser des milliers de rations annuelles. C'est ce que nous raconte
Martin de Andía, prêtre, notaire et secrétaire de la Collégiale : " Dans le dit Hôpital général on dépense chaque
année de fortes sommes parce que régulièrement, on y distribue plus de 30 ou 40 mille rations aux pèlerins et
aux pauvres passants qu'on y accueille, permettant qu'ils se reposent deux ou trois jours, les obligeant souvent
à rester plus longtemps, tant ils sont maigres et affaiblis… La dite maison royale a un médecin, un chirurgien et
une pharmacie… Un ermite vient en aide à l'hôpital dans l'ermitage de San Salvador de Ibañeta, chaque nuit, il
sonne la cloche qui sert de signal et de guide pour que les pèlerins ne se perdent pas en chemin… et le dit ermite
reçoit et héberge tous les pauvres et les pèlerins avec une égale charité, leur donnant le réconfort nécessaire
pour qu'ils parviennent à l'hôpital. "
L'idée de l'hospitalité si propre à Roncevaux depuis le jour même de sa fondation se retrouve dans ces brèves
notes du médecin D Guillermo Arrain (1663): " Eux-mêmes (les pèlerins) avouent que de Rome jusqu'à
Santiago, ils ne trouvent aucune auberge comme l'hôpital de Roncevaux, ils ont raison, car un religieux est
chargé de les recevoir, de leur donner un rafraîchissement pour qu'ils puissent continuer avec plus d'énergie.
Un chanoine assiste aux repas pour que les pèlerins soient servis à table avec ponctualité, il leur fournit
généreusement tout ce dont ils ont besoin. En plus de cela, on leur fait cadeau du feu et du lit… si toutesfois ils
arrivent fatigués, même s'ils ne sont ni épuisés ni malades, ils se reposent là le temps qu'ils désirent, jusqu'à ce
qu'il fasse beau. "
Bien sûr, il passait à Roncevaux des pèlerins et de faux pèlerins, comme nous le raconte le sous-prieur Juan de
Huarte, en 1600 :
" Dans la seconde catégorie on peut ranger les vagabonds, les paresseux, les vauriens, ennemis du travail et
surtout vicieux, qui ne sont ni pour Dieu ni pour le monde. La plus grande partie sont condamnés et exilés de
chez eux, et pour dissimuler leur mauvaise vie, ils se couvrent de l'habit du pèlerin et se munissent de faux
papiers, ainsi ils parcourent l'Espagne, où ils trouvent les gens les plus charitables et les autres pays de la
Chrétienté sans jamais terminer leurs pérégrinations ni revenir dans leurs terres, soit pour avoir été bannis ou
exilés. "
Sans nier l'existence de vrais et de faux pèlerins, en 1985 on en comptabilisait 526 à Roncevaux, quinze ans plus
tard, en 2000, 25000 hommes et femmes de différentes nationalités ont dormi à l'auberge des pèlerins. Parmi
eux, 40% venaient de Saint-Jean-Pied-de-Port et plus de la moitié avaient commencé là, sur le versant nord des
Pyrénées. Précisément, ces hommes et ces femmes ont compté sur l'aide des hospitaliers volontaires du Chemin,
dont la mission d'accueil continuera, il faut l'espérer.
Angel Urbina Merino
Février 2001
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