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L'abbé Benoît d'Aniane, soucieux de remettre pleinement en honneur
la règle de son saint modèle, Benoît de Nursie, père
monastique du Mont Cassin, se rattacha aux tentatives répétées
mais jamais très réussies pour émonder les faiblesses de
la vie monastique. A son époque (IXe siècle) parut, pour illustrer
les abus auxquels la réforme souhaitait remédier, et comme le
canevas d'une farce médiévale, le texte d'un auteur anonyme. Il
s'en prenait d'une manière dramatique au phénomène des "gyrovagues".
Ce pamphlet, unique en son genre, contre les moines pèlerins, caste d’ecclésiastiques
tenue pour infaillible par le peuple, stigmatise un défaut qui est aussi
vieux que l’état monastique lui-même. Mais c’est seulement
l’église anglo-franque qui s’était habituée à appliquer
la notion du vagabond en froc surtout aux Irlandais. Finalement c’étaient
eux qui depuis toujours avaient considéré le monachisme itinérant
comme la partie la plus importante de leur vie chrétienne…
Bernard Gicquel nous donne ici la traduction d'un texte savoureux dont l'origine
exacte reste à trouver.
"Ces vagabonds, déclare-t-il, comptent sur l'hospitalité que
l'apôtre a prescrite, et avec le plaisir de leur arrivée inattendue,
pour soutirer toute sorte de délices gastronomiques. Bien des poulets
rendent l'âme sous leur couteau. Leurs pieds sont fatigués des rigueurs
du chemin, et ils les baigneraient volontiers ; mais d'abord ils laissent arroser
leurs entrailles d'un gobelet toujours rempli. Et lorsque le visiteur famélique
a fait table rase et balayé la dernière miette, il souligne encore
avec une instance éhontée son ardente soif. S'il n'y a pas de gobelet à portée
de main, ils tendent les assiettes dans lesquelles ils viennent de manger. Une
fois remplis à ras bord et bourrés à en vomir, ils font
remarquer accessoirement quelle rude vie est la leur. Avant d'aller au lit, épuisés
plus par l'effort de manger que par leur voyage, ils décrivent les épreuves
de leur chemin, soutirant ainsi de nouveaux gobelets à leur amphitryon.
Et vous voudriez que nous appelions cela un pèlerinage ? Ils se renseignent
bientôt sur les environs et les moines et monastères éventuellement
proches. Ils s'en vont fatigués, en hommes auxquels le monde est fermé,
qui n'ont aucun lieu pour reposer leur tête ni rafraîchir leur âme
et qui ne trouvent nulle part un parfait respect des règles de l'hospitalité.
N'ont-ils pas raison de poursuivre leur chemin ? Où qu'ils aillent, leur
soif de voyageur exige gobelet après gobelet, pèlerins qu'ils sont
pour le salut de leur panse plus que celui de leur âme. Deux jours passent.
Les réserves alimentaires s'amenuisent. Au matin du troisième jour
notre amphitryon ne se rend pas immédiatement dans la cuisine, mais commence
par vaquer à ses occupations de la journée. Notre ami quant à lui
commence à songer à faire une autre visite. Soudain, il se lève,
comme si une force le poussait par derrière. Déjà il voit
un frais repas lui sourire à l'horizon. Non loin de ce monastère,
il en trouve un autre. Il s'y arrête pour une petite halte. Mais voilà qu'il
arrive de la frontière italienne et c'est le moment de placer un bon récit
nouveau sur son pèlerinage ou sa captivité. Il entre dans la maison,
la tête penchée avec humilité et ment comme un arracheur
de dents, jusqu'à ce que toutes les provisions de la maison aient pris
le chemin de la casserole et soient arrivées sur la table. En deux ou
trois jours son bienfaiteur ne sera plus qu'un os bien rongé. Au bout
de trois jours lui-même et son monastère, ses habitudes et ses règles
commencent à devenir pesantes ; c’est le moment de nouer une fois
de plus son sac à dos, rempli de pain sec. Il rejoint le malheureux âne
sur une maigre pâture, qui aurait fait son bonheur, si deux jours d'hospitalité avaient
eu l'heur de plaire à son maître. Une fois de plus, il part chargé de
tuniques et de capuches, car tu peux toujours dénuder ton amphitryon,
si tu déclares n'avoir que des haillons à te mettre. Adieu, dis-tu à ton
hôte, et te voilà parti vers d'autres régals.
Traduit par Bernard Gicquel,de Ingeborg Meyer-Sickendiek,
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