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Nous nous intéresserons donc, pour l'essentiel, à la
partie historique, rédigée par
Louis Laborde-Balen, déjà rédacteur
de la préface du guide Le chemin de Saint-Jacques en Espagne,
de Rando
éditions (4ème édition en 1999). Dans ce nouveau
guide, pas de préface. Il ne
s'agit plus de présenter l'historique Camino francès, mais
le chemin du Puy qui n'ayant rien d'historique ne méritait pas
qu'une préface lui soit consacrée. C'est un bon point à souligner.
Contrairement à ce qu'affirme la quatrième de couverture, le
chemin du Puy n’est pas «l’un
des itinéraires majeurs du Moyen Age». Il n'est
pas
"aussi le
GR 65 balisé de rouge et de blanc". Il est d'abord
un chemin moderne de Grande Randonnée bâti à partir
d'hypothèses
des premiers chercheurs. Ceux qui l'ont tracé sont
encore vivants. Pour une fois l'historien n'a pas à faire parler
des textes mais des témoins directs.
Il fallait néanmoins des indications historiques pour les néophytes,
les «quelques
repères nécessaires», rédigés par
Jean Chesneaux, s’ils
arrivent tard (p. 214), ont le mérite d’être concis
et de sortir parfois des discours habituels. Un bonheur
de lire par exemple qu’il « n’y
a pas de chemin historique ». Mais malheureusement,
les propos novateurs sont contredits par ailleurs ... Alors ? Au pèlerin
de forger son opinion ? Pourquoi pas ? Mais il faudrait avoir l'honnêteté
de lui en fournir les moyens par une bibliographie complète.
Il est bon de rappeler
que le Codex Calixtinus du
XIIe siècle est « antérieur à l’imprimerie » :
des pèlerins croient que leurs prédécesseurs effeuillaient
le Guide du pèlerin comme eux les pages des guides de la FFRP.
On précise, et c’est nouveau, que ce Guide n’a pas été connu,
mais on oublie de dire que le Codex vient d’être
traduit intégralement en français (censure oblige).
Une précision,
en 1882, le père Fita n’a pas édité le Codex,
mais le dernier Livre de ce Codex, qui n’a porté le
nom de Guide du pèlerin que par la grâce de Jeanne
Vielliard en 1938.
Bref, la quatrième de couverture prétendant que ce livre « propose
des articles d’histoire », nous recommandons la plus grande
prudence à la lecture de toutes les notices historiques, dont certaines
restent orientées par des vues périmées. |
Des remarques, au fil de la lecture
...
p. 10 le coup de tampon peut être apposé par
n’importe
quel commerçant. Inutile de déranger les prêtres
ou la gendarmerie qui ont autre chose à faire.
p. 11 affirmation : la compostela instaurée au XIVe siècle, « ce
certificat officiel destiné à ceux qui ont accompli au
moins 100 km à pied ou 200 à cheval ou à vélo ».
A notre connaissance, rien n’autorise à dater ce certificat
de pèlerinage. Mieux aurait fallu dater cette instauration des
fameux kilomètres fatidiques.
« Chemin historique ? Non ! ». Voilà qui est nouveau et
intéressant. Et plus loin « le GR est une œuvre de
compromis ». Voilà qui va permettre aux malheureux naïfs
d’oser s’aventurer hors des tracés sans craindre
que leur pèlerinage ne soit pas valable.
Les méandres des pèlerins ?
«
Il y a peu de temps encore, notre pèlerin aurait supporté la
circulation et le goudron ». Pourquoi ne le supporte-t-il plus
aujourd’hui ? Pourquoi ne pas dire que même sur ce fameux
chemin bucolique, il y a 50 % de goudron ? « Le sentier GR serpente à loisir
dans la campagne » : est-ce compatible avec une marche vers un
but lointain ?
De sages conseils, nouveaux eux aussi : « par mauvais temps,
quittez le sentier devenu trop isolé pour évoluer sur
un bord de route ». Remarque : on marche sur un sentier et on « évolue » sur
une route. Intéressant.
p. 13 « A vous d’inventer votre propre itinéraire » :
nouveau aussi.
Moyennes calculées sur une base de 4 km heure : bon pour le
chasseur alpin muni de bonnes lunettes pour trouver les balises, un
jour de soleil.
p. 15 hélas, l'auteur parle de « folklore
moyenâgeux » voila un mot qui trahit l'amateurisme.
Qu’entend-il par là ? Les chemins de Compostelle en sont
exempts, de ce folklore : « ici place aux
adeptes de la simplicité,
du sourire, de la recherche spirituelle et de la curiosité d’esprit ».
Voilà campé le personnage, qui n’est pas encore
défini autrement que « jacobipètes » (sans
doute sur le modèle du « romipète » de la
p. 83. Pèlerin ? Randonneur ? On ne sait, mais la ligne suivante
le dévoile comme un « cheminant ». Les lignes suivantes
sont plus osées : avec des guillements, on ose employer le mot
pèlerin, immédiatement suivi de « itinérant ».
Puis arrive l’inévitable « esprit du chemin »,
opposé à la « mise en marché des chemins
vers Compostelle » laquelle n’est, bien sûr, pas
le fait des vrais « hébergeurs » qui « offrent » une « ambiance ».
Comment n’avoir pas pensé, sur ce chemin semé d’étoiles, à en
attribuer 4 aux meilleurs, comme chez Michelin ??
Des variantes, des sentiers qui ne sont pas battus, des « anciens
cheminants » à rencontrer.
Que va choisir le cheminant pas catholique ? p. 10 la « créanciale » catholique
gratuite qu’il n’est « pas nécessaire d’être
chrétien pour l’obtenir » ou p. 16 aller voir l’association
interrégionale de Toulouse qui procède à la « vente
de la crédencial » ou p. 19 demander aux associations
qui « vendent la crédencial (prix et conditions variables)
?
p. 21 les « routes historiques » commenceraient-elles à passer
de mode ? Les monuments classés par l’UNESCO sur « l’itinéraire
entre le Puy et Saint-Jean-Pied-de-Port… ne tracent pas cette
route dans sa continuité… A-t-elle jamais existé ? ».
Et des rectificatifs de taille : on ne parle plus de millions de pèlerins
en route vers Compostelle, on parle simplement « de pèlerins
en route vers Compostelle, Rome, la Terre Sainte ou encore vers des
sanctuaires de pèlerinage plus proches : Saint-Gilles, Conques,
Rocamadour, le Puy, la Sainte-Baume ». Mais, il ne faut pas trop
choquer le « cheminant » qui rêve encore de ses millions
de pieux pèlerins : on reprend les phrases de l’UNESCO
soulignant que Compostelle « fut la plus importante de toutes
les destinations pour d’innombrables pèlerins ».
A l’abri derrière une telle organisation, on ne craint
rien. Et en route pour le patrimoine immatériel mentionné par
l’UNESCO justifiant tant de choses bêtifiantes sur le chemin « danse,
arts du spectacle, artisanat, coutumes, croyances ». Pas un mot
sur l’Histoire, qui doit entrer dans une autre catégorie
oubliée par l’UNESCO.
p. 25 et suivantes : « la forte identité jacquaire » du
Puy date des années 1990. Curieux : pas un mot sur Godescalc.
Pourquoi cacher que ce pèlerin très réel du Xe
siècle ne fut retrouvé qu’en 1866 ? Chemin faisant
voici les « donats et les donates successeurs des servants des
Templiers ». Templiers dont aucune commanderie ne s’est
jamais préoccupée de Compostelle, mais qu’on n’oublie
pas de mentionner au Sauvage. Puis une croix avec un pèlerin
qui ne peut être que de Compostelle « à moins que
ce ne soit saint Jacques lui-même ». Puis Saugues « point de
rencontre de pèlerins ». Dommage, une seule ligne pour
saint Roch qui a supplanté saint Jacques comme patron de la
fontaine. Belle occasion perdue de raconter un culte ancien à saint
Jacques.
Hélas, on ne fait pas grâce de la fausse histoire véridique
de la fondation d’Aubrac. Pourquoi ne pas accepter qu’il
ne s’agit que d’une légende bâtie au Moyen
Age et qui s’est perpétuée au long des siècles
? Pourquoi ne pas raconter le récit du passage en ce lieu d’un
vrai pèlerin au XVIIe siècle, un italien qui a bien failli
y périr un soir de novembre ?
p. 61 et suivantes : pourquoi ne pas mentionner la confrérie
Saint-Jacques de Saint-Côme ? Au moins, le « cheminant » pourrait
rêver à des pèlerins en chair et en os. Puis re-les
Templiers. Puis Estaing et sa procession auxquels participent des pèlerins.
Depuis quand ? Pas moins de six siècles dit le guide. A vérifier.
p. 90 Dans tout cela, tellement peu de saints Jacques que le « jacobipète » cheminant
risque de se décourager : on lui en trouve un à Cajarc.
Tant pis s’il s’agit d’un saint Roch pèlerin,
tellement identifiable par son bubon sur la jambe et son chien. En
ce même Cajarc, le pont fut construit, bien évidemment,
pour les pèlerins !
p. 106 « Saint-Rémy (hors chemin) conserve l’hôpital
fondé en 1286 pour les pèlerins de Compostelle ».
Mais alors, pourquoi le pèlerin moderne n’y passe-t-il
pas ? Sans doute parce que cet hôpital fut fondé, comme
partout ailleurs, pour les pauvres passants, voyageurs et pèlerins
de toutes destinations. (On retrouve de même, hors GR, l’itinéraire
d’un pèlerin de 1699, p. 152)
p. 118 : voici la « cathédrale
de Moissac » Moissac n’a jamais été siège
d’un
diocèse et ne peut avoir de cathédrale, il s’agit
de l’église
de l’abbaye. Le « jacobipète
cheminant » n’a
pas besoin de ce type de précision. Il n'est invité ni à
voir le reliquaire du « doigt » de saint Jacques présenté au
musée ni à s’arrêter
devant le saint Jacques du cloître. Mais on lui conseille de
regarder les fresques de l’église Saint-Martin, totalement
fermée
au public, où, peut-être, se devine un saint Jacques pèlerin
sur des fresques à peine dégagées et loin d’être
restaurées et visitables.
p. 135 un joli paragraphe sur la Romieu. Et de nouveau les Templiers
et le souvenir d’un hôpital Saint-Jacques, balise indiscutable
sur la route de Compostelle… Mais à Condom,
il saura qu’au XVIIe siècle, « l’armagnac à remplacé le
pèlerin dans l’économie de la ville ». Il
y a sans doute une belle histoire hospitalière, mais qui n’est
qu’évoquée.
p. 142 une demi-vérité : au pont d’Artigues, des
possessions au XIIe siècle de l’évêque de
Compostelle. Mais ce pont avait été construit pour tous
les voyageurs, et l’évêque y percevait un droit
de péage, comme partout.
p. 147 « hospice » est un mot employé seulement
au XVIIIe siècle. Et à nouveau les Templiers à Manciet
où, il est vrai, se rencontre l’ordre gascon de Saint-Jacques-de-la-Foi.
p. 159 et 180 on n’échappe pas aux poncifs : « deux
signes du passage des sen-jacquets à Arzacq-Arraziguet : un
vitrail de saint Jacques dans l’église et trois coquilles
d’or dans les armoiries communales » ; « reçut
jusqu’à cinq mille pèlerins » : quand ? en
combien de temps ? pèlerins allant où ? D’où sort
cette affirmation péremptoire ?
A propos des repères ...
Un plaisir : à quelques exceptions près, saint Jacques
orthographié ainsi quand il s’agit du saint et Saint-Jacques
quand il s’agit du lieu.
Un étonnement, l’invitation au
porteur du bourdon à s’en servir comme d’une « gaule
pour le ramassage des fruits ». Depuis quand le jacobipète
a-t-il le droit de voler autrui ? Le jacobipète, majoritairement
citadin, a plus besoin d'apprendre le respect du travail des
ruraux, même s'il rencontre çà et là des arbres fruitiers abandonnés
Pourquoi les articles sur le catharisme
et l’hérésie ?
Pourquoi chercher à définir « chemin
et itinéraire » ?
Aucun dictionnaire ne définit le second comme « un
témoignage
décrivant le chemin parcouru ». Se tenir au langage
courant et ne pas inventer de définitions personnelles sont un
bon moyen pour tenter d'être compris par le plus grand nombre.
De quels ouvrages ou dictionnaires sont tirées les définitions
telles que « lieux de pèlerinages chrétiens, magie
et thaumaturgie, occitanie, reliques, etc, etc « ? Un seul universitaire
cité comme historien, Jacques Chocheyras, lequel est littéraire
et aurait certainement apprécié de figurer dans la bibliographie.
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