Compostelle, archives de la Cathédrale,
saint Jacques,
Codex Calixtinus, liv.1, chap. 1, folio 4. |
1er
siècle :
Dans de brefs mais décisifs passages de l'Évangile, saint Jacques est mentionné
en même temps que Pierre et Jean. Seule une phrase des Actes des Apôtres le
concerne isolément, celle qui rapporte sa décollation. En l'absence d' informations plus
précises sur lui, sa qualité d'Apôtre, envoyé par Jésus, comme tous les disciples,
"jusqu'à l'extrémité de la terre", incitera à se représenter qu'il a dû
aller jusque au bord de l'océan.
4e-5e siècle :
Les Commentaires de saint Jérôme, inspirés de l'Épître aux Romains,
soulignent la place de l'Espagne dans la diffusion du message chrétien en opposant
celle-ci à l'Illyrie. L'évangélisation du monde y apparaît en relation avec le
mouvement apparent du soleil d'Est en Ouest, tandis que chaque apôtre est censé reposer
là où il a prêché l'Évangile.
6e siècle :
Les catalogues apostoliques apocryphes, qui suivent le plus ancien
attribué, à tort, à saint Jérôme, mentionnent pour saint Jacques, sa prédication
en Espagne, son tombeau en Achaïe Marmarique, et sa fête le 25 juillet.
Le premier thème découle d'une contamination avec saint Paul, le second
d'une confusion avec saint Jacques le Mineur, le troisième d'une assimilation
avec le dieu antique Hermès/Mercure dont la fête se célébrait à cette
date, le jour de la Canicule, et qui, selon Tite-Live, possédait en Espagne
son tombeau (tumulus Mercurii, près de Carthagène). Jacques et Jean représentent,
en outre, dans le registre chrétien >les Dioscures, Castor et Pollux,
auxquels sont attribués les deux crépuscules du matin et du soir.
Dans le quatrième livre de son Histoire du combat apostolique, composée en
Gaule Narbonnaise, qui rapporte l'évangélisation du monde par les Apôtres et leur
martyre, un auteur qui signe du pseudonyme Abdias, évêque de Babylone, fournit un récit
détaillé du martyre de saint Jacques. Ce récit démarque la rencontre de saint Philippe
avec Simon le Magicien en racontant la conversion du magicien Hermogène et de son acolyte
Philète, dont le nom est emprunté à la deuxième épître de saint Paul à Timothée.
Il s'inspire aussi de la vie de saint Pierre guérissant un paralytique sur le chemin de
Lydde, pour montrer saint Jacques faisant de même, et convertissant deux sbires, à
l'instar de saint Paul et des deux archers de la garde impériale envoyés pour le
conduire au supplice. 8e siècle :
Une hymne de la liturgie mozarabe, datable de la fin du 8e siècle, parce qu'elle comporte
un acrostiche du roi asturien Mauregat (783-789) célèbre saint Jacques comme
l'évangélisateur et le patron de l'Espagne. De nombreuses églises dédiées à saint
Jacques sont construites dans le Nord du pays.
9e siècle :
Le tombeau de saint Jacques est découvert dans les premières décennies
du 9e siècle. Aucun texte galicien relatant directement sa découverte
et les raisons de son identification n'a été conservé. La mention de l'Achaïe
Marmarique dans les catalogues apostoliques, la plupart du temps déformée
par la tradition manuscrite, a pu suggérer l'identité avec le lieu du
tombeau appelé arcis marmoricis. Les martyrologes français d'Adon et Usuard
qui évoquent le tombeau face à la mer de Bretagne, à la suite de la version
messine de Florus, pourraient être les premiers reflets textuels de cette
Invention.
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10e siècle :
La première version de la Lettre apocryphe du pape Léon (vraisemblablement Léon
III, grand pourfendeur du priscillianisme) rapporte la translation des reliques de saint
Jacques à Compostelle, en opérant la synthèse de deux récits : a) celui qui relate la
translation de l'hérétique Priscillien, dont l'acrostiche apparaît en filigrane à
travers les toponymes (Bisria + Ilicinus = Priscillianus) ; b) celui qui raconte
l'évangélisation de l'Espagne par sept apôtres, selon le modèle de la légende grecque
des sept dormants. La première version de la lettre papale donne lieu à la rédaction
d'hymnes liturgiques chantées lors des offices par les pèlerins et dont le texte
diffusera la connaissance de saint Jacques en dehors de la Galice. Il existe trois
versions épistolaires postérieures de ce texte, qui diffèrent toutes par quelques
détails ; la dernière est reprise dans les compilations attribuées au pape Calixte.
11e siècle :
1005 ou 1027 : Sans doute en liaison avec le prieuré normand de Saint-James de Beuvron,
la translation des reliques fait l'objet d'un sermon d'apparat à Fleury (aujourd'hui
Saint-Benoît-sur-Loire). 1072 : Un accord passé entre l'évêché de Compostelle et le
monastère d'Antealtares sur le partage des bénéfices pendant la construction de la
cathédrale débute par un paragraphe qui raconte l'invention du tombeau par l'évêque
Theodemir, à la suite d'une révélation faite à l'ermite Pélage, fondateur du
monastère. 12e siècle :
1103 :
Peut-être en relation avec une visite de Diego Gelmirez, évêque de Compostelle, à
Saint-Martial de Limoges, le récit de translation dit de Gembloux est rédigé dans la
forme d'une liturgie de Saint Martial. Il sera repris dans les compilations placées sous
le patronage du pape Calixte.
1105 :
Sans doute à l'occasion de la dédicace de la cathédrale de Compostelle,
le 21 avril, soit un an jour pour jour après la basilique de Vézelay,
maître Panicha refond les hymnes liturgiques attribuées au pape Léon qui
figureront désormais sous cette double attribution.
1120 :
A l'occasion du concile de Reims, qui représente un moment important dans
le conflit des investitures, le pape Calixte II fait rédiger à Saint-Denis,
entre autres par Hugues de Porto, représentant de Diego Gelmirez au concile,
l'histoire de Charlemagne et de Roland en latin. Celle-ci, connue actuellement
sous le nom de Chronique du pseudo-Turpin
est une autobiographie fictive attribuée à Turpin, archevêque de Reims, pour
inciter la chevalerie française à partir en croisade en Espagne. Le pape
Calixte meurt à la veille
de Noël 1124, avant que ce projet n'ait été exécuté. Mais le texte du Pseudo-Turpin
deviendra un des plus répandus au Moyen Age (plus de 300 manuscrits). C'est
lui qui imposera aux siècles ultérieurs l'image du preux Roland, dont la Chanson en
langue romane, beaucoup moins répandue - on n'en connaît qu'une dizaine de
manuscrits -, ne sera redécouverte qu'après 1830.
1131-35 :
Sur arrière-plan de schisme pontifical, le patriarche de Jérusalem, Guillaume
de Messines, envoie le chanoine régulier de saint Augustin Aimeric Picaud à Compostelle
par Cluny, pour rallier Diego Gelmirez à la cause du pape Innocent II. Aimeric
est porteur de pièces liturgiques et de miracles composés par Guillaume de
Messines en l'honneur de saint Jacques. Il accroîtra en cours de route sa
collection de miracles italiens, de miracles de saint Gilles et de miracles
rhodaniens en remontant vers Cluny, puis
d'emprunts aux miracles de saint Léonard en redescendant vers Compostelle,
où il
recueillera enfin quelques miracles espagnols. Sa collection ne va pas au-delà de
1135. Les chanoines de Compostelle, jusque là sous la règle de saint Isidore
et seulement associés aux chanoines réguliers de saint Augustin, deviennent
alors des Augustins à part entière. C'est aussi l'année ou s'achève la
cathédrale de Compostelle, et les Miracles qui montrent saint Jacques
protégeant inlassablement ses pèlerins sur les chemins sont bien faits
pour inciter les fidèles à ne pas redouter les dangers du pèlerinage.
La Translation de Marchiennes qui mentionne la pierre, trouvée lors
de la réfection de l'église de Padron en 1134 et qui aurait pris la
forme du corps de saint Jacques est sans doute contemporaine.
1139 :
La mort de Diego Gelmirez marque l'achèvement de l'Historia Compostellana écrite
à sa gloire et dans laquelle figurent un récit de Translation des Reliques
et un récit
de l'Invention du Tombeau. L'ancien abbé de Vézelay, Albéric, cardinal d'Ostie,
et légat pontifical, ajoute le dernier miracle à la collection d'Aimeric
Picaud et suggère
peut-être de placer un recueil des textes jacquaires que l'on possède sous
le patronage du pape Calixte II.
1140 :
La première version de cette compilation comporte la Chronique de Turpin dans sa
version brève, la lettre-préface du pape Calixte, un dossier sur la Translation, - avec
la quatrième version de la lettre du pape Léon, la Translation de
Limoges/Gembloux et les trois solennités de saint Jacques - , et les Miracles,
attribués au pape Calixte. Cette compilation ne paraît pas avoir de titre.
1144-45 :
La compilation qui prend le nom de Liber Miraculorum sancti Jacobi
change l'ordre et la nature de ses composantes. Les Translations passent
en tête, et sont suivies des Miracles, puis de la version longue de la
Chronique de Turpin. Entre ces recueils apparaissent des textes
satellites, sur saint Eutrope de Saintes, sur les Navarrais, sur la mort
de Turpin, sur l'émir de Cordoue, etc. A la fin de la compilation figure
un poème d'Aimeric Picaud, qui n'est qu'une table des matières versifiée
du recueil de miracles, ainsi qu'une authentification apocryphe de l'ensemble
par le Pape Innocent II, elle-même confirmée par des cardinaux.
1160 :
Les textes satellites isolés tendent à se regrouper en un volume qui occupe la
quatrième place et deviendra le Guide du Pèlerin. Une très vaste compilation
liturgique de sermons et d'offices prend la première place, les Miracles la seconde,
tandis que les Translations passent à la troisième. Le Pseudo-Turpin semble avoir été
provisoirement écarté au profit de textes plus spécifiquement religieux. Cette forme du
recueil pourrait être contemporaine de la réalisation du Portail de la Gloire de la
cathédrale.
1165 :
La canonisation de Charlemagne redonne une actualité religieuse au Pseudo-Turpin et
incite à le réintégrer parmi les autres textes. Il y prendra la quatrième place, entre
les Translations et le Guide du Pèlerin qui glisse à la cinquième. C'est la forme sous
laquelle se présente aujourd'hui le Codex Calixtinus ou Livre de
Saint Jacques de Compostelle, ouvrage de luxe dont les copies ont été très peu nombreuses, tandis que
diverses versions du Liber Miraculorum sancti Jacobi qui en est la source ont continué à
être diffusées au XIIIe et au XIVe siècle.
Bernard Gicquel, 2002
voir
des illustrations du Pseudo-Turpin et du Codex Calixtinus |