En 1601, dans l'église de Larchant, pendant six
semaines, eurent lieu pendant six longues semaines des séances
d’exorcisme visant à débarrasser du démon Mathurin
Dupetit, en proie à une démence furieuse. Voici le résumé
du procès-verbal de 22 pages qui en fut dressé par le curé
6 août
« Mathurin Dupetitz estant venu à
l'église dudict saint Mathurin, il y fut environ une bonne heure
à dire son petit service et comme il vouloict lire la vie et
légende de Monseigneur sainct Mathurin, le démon se prend
à cryer selon sa coustume. Et luy fut faict par le vicaire commandement
de permetre à la créature de lire et pryer dans ladicte
légende ; à quoi respond le démon : « II
me tormente, qu'il se taise ». Et luy faict jecter loing la dicte
légende. Alors je luy fais impératif commandement de luy
permetre de pryer, à quoy, avec adjuration il obéist et
tout à l'instant, touttes fois, il jexte derechef la dicte légende
et se lève, s'enfuyant de l'église. Et s'en fust allé,
n'eust esté arresté par Maistre Vincent Amyot et Maistre
Estienne de La Rivière. Et après que j'euz cellebré
la messe, le vicaire faict comunier la créature more solito,
avec deffences audict Astaroth de ne poinct inquiéter et empescher
icelle, sur les peines de l'excomunication majeur et mineur, ains de
fyur devant la face de Dieu »
Le vicaire adjure le démon et lui demande son nom.
« Je l'adjure qu'il eust à me dire son nom et respond :
« Astaroth » ; je lui demande s'il estoict seul, et respond
: Etiam, et adjure d'où il venoict, a responsif : « De
ce corps » Et je luy a faict commandement de venir en la main
senestre, lequel vint à la main dextre ; et estant adjuré,
il obeist et vint à ladicte main dextre et la bransloict devant
et la monstroict au peuple combien que la créature feust en fureur
»
7 août
Le dialogue se poursuit longuement, en latin et en français. Des
prêtres de passage interrogent le démon et continuent à
insister pour savoir comment il se nomme.
«Puys, affin de congnoistre davantage son nom, on luy a [crié]son
nom fort souvent et failloit allors neuf ou dix hommes pour le tenir,
encores ne le pouvoient-il pas tenir»
Le démon se plaint d'être combattu par l'archange Gabriel
qui se tient avec lui dans le corps de «la créature»
et il se dit lui-même tourmenté.
12 août
Le possédé est conduit à la procession annuelle et
le démon l'agite. II essaie de le précipiter dans un puits
et dans les fossés de la ville.
« La messe parroissialle cellebrée
par Messire Guillaume Grosboel, auparavant ayant faict la procession
qui fut à la grande cité à l'occasion de la feste
de la dedicasse, où le pauvre homme posseddé fut mené
et pandant icelle, le démon voulut précipitter dans ung
puitz appellé le puitz Dufour, et estant près de la croix,
appellée la croix Caumet, il prist la course jusques à
la porte de Melun, où il fut suyvy habillement de six ou sept
hommes qui l'empeschèrent de le fère précipiter
dans les fossez dessoubz le pont de la porte. Puys fut admené
avec grande force à l'église et estant à l'église
durant ladicte messe, ne fist aucun bruict sinon quand ung Cordellier
accompaigné de deulx aultres qui estolent du pays de Savoye et
venoient des estudes de Paris, fist la prédication. Lequel démon
dist : « Tays-toy, tays-toy » puys fut adjuré de
dire où il estoict et dist : « Au coste gaulche ».
II luy est faict commandement permettre à la céeature
qu'elle reçoyve son Créateur, et à grande difficulté
il a obtempéré ».
13 août
Le lendemain, Mathurin DUPETIT se confesse avant la « messe haute
de Saint Mathurin » ; tous ces moments sont entrecoupés de
dialogues avec Astaroth. On voudrait bien que ce dernier fasse un signe
extérieur, à une vitre. « En quelle forme sortiras-tu
? - lnvisiblement - II faut que tu sortes en fumée » mais
Astaroth se dérobe toujours. II n'est rien relate d'autre jusqu'au
28 aout.
28 août
« L'adjuration a esté continuée par le bon père
Paphe et ce après avoir adjuré l'Esprict Maling, luy a faict
commandement d'aller au bras droict et de parler par icelluy et s'est
pris à cryer fort hault en disant : « je brusle » et
luy a faict derechef commandement d'aller audict bras et de parler et
a dict : « Nenny » ; Et comme luy commandoict sans cesse qu'il
parlast par ledict bras luy disant : « Tu peulx aussi bien parler
par le bras comme tu faisois aux Indes par les ydolles » Et le démon
responsif : « Je n'ay plus ceste force-là, elle m'a esté
ostée depuis » Interrogé où il est, a dict
: « Je suys dans l'espaulle »
Lorsqu'il lui est commandé de parler par le bras ul nom de Jésus,
le démon répond : « Ce nom est très admirable,
terrible aux méchants et excellent aux bons ». On lui montre
des reliques, il est adjuré par le Père, le Fils et l'Esprit
Saint de dire de qui sont les reliques. II répond exactement :
de Mathurin, puis du père, puis de la mère de saint.
29 août
La créature communie malgré la résistance d'Astaroth.
On demande au démon où il est mais c'est « la créature
ayant ses sens » qui montre le lieu où il est. On applique
les reliques à cet endroit, ce qui ne plait pas à Astaroth.
Le vicaire donne ce qui ressemble a une absolution collective :
« Ledict jour je commence à adjurer le démon. Auparavant
je donne l'absolution au pauvre homme posseddé et aussy à
toutte l'assistance qui avoient dict leur Confiteor par mon commandement
»
10 septembre
« Passant troys pellerins allant à Romme qui estoient sçavoir
deulx du pays d'Escosse et l'aultre d'Espaigne dont les noms sont icy
dessoubz nommez, nous les avons pryez d'interroger le démon en
leur langue chacun particulièrement, ce qu'ilz ont faict après
avoir invocqué l'aide de Dieu et pris la bénédiction
du vicaire susdict. Le plus aagé d'iceulx, nommé Jacques
Estuard (Stuart), gentilhomme escossoys, a premièrement interrogé
ledict démon en sa langue, luy demandant la cause et pourquoy il
estoict entré dans ce corps... Plus l'aultre qui estoict Espaignol,
nomme Lucques de Auchayres, lui a commencé à dire: «
Astaroth, hable me Espaignol . Et a dict : « Nenny » ; Hable,
hable me, responde me Espaignol « Nenny » Et voyant iceulx
pellerins qu'il ne leurs vouloict autre chose respondre, s'en allèrent
iceulx pellerins.
12 septembre,
Le curé de Guercheville dit la messe pour « la créature
» et reprend l'exorcisme. Il demande à Astaroth si c'est
saint Mathurin qui l'empêche de sortir. Il refuse de répondre,
« faisant des hurlementz, en tendant les mains de la créature,
voulant agripper les surpliz des prestres qui estoient auprès de
ladicte créature, et ne voulant nommer sainct Mathurin, a esté
néantmoings contrainct par adjuration de dire, et a dict par une
véhémente voix par troys foys : « sainct Mathurin
».
14 septembre
Astaroth avoue qu'il a essayé de plonger la créature dans
le désespoir
«mais je ne sceu. Il ne m'a pas voulu
croire. Je lay conseillé de se tuer durant toutte la nuict. Ceste
créature estoict bier si faschée de quoy je ne respondois
poinct qu'il ne sçavoict que dire et je luy faisoys accroire
que ce n'estoict que toutte sorcellerye et nigromancie, et je lay faict
en aller de la messe quand on est allé à la procession
et, à la mesme heure, je lay solliciter de se tuer et je n'ay
sceu touttes foys. Je feusse venu ceste nuict au-dessus de mes intentions
n'eust esté que la créature avoict hyer adoré du
bois de la Vraye Croix. Ceste croix avoict este apportée par
le Sieur de Chastenoy».
Aux questions en latin le démon répond en français
et pourtant, remarque le vicaire de Guercheville
« Je suys esbahy comme il y en a qui ne croyent pas
que c'est ung diable formé qui est dans ceste créature,
qui n'a poinct aprys le latin et touttes foys il respond en françoys
bien à propos du latin à quoy on l'interroge »
Le cure de Châtenoy l'interroge même en breton
et l'atteste par un certificat :
«Je certiffie avoir interrogé le demon Astaroth
dedans l'église de Monsieur Sainct Mathurin de Larchant en langue
bretonne, pourquoy il avoict usurpé et ravy le corps de ceste créature.
Il m'a respond qu'il n'a poinct usurpé et que Gabriel l’a
introduict. De plus je lay interrogé : « Combien il y a de
temps que tu possèdde le corps ?»
A dict : « Six sepmaines et deulx jours ». Plus
l’ay interrogé combien de temps il avoict encores à
le possedder. A dict qu'il ne sçait rien sinon tant qu'il plaira
à Dieu le metre hors par Gabriel. Item je lay interrogé
derechef pourquoy il avoict usurpé la créature qui est à
Dieu et luy apartient. Et m'a respondu et dict qu'il n'a pas usurpé
et qu'il n'est pas à luy mays qu'il est mys par Gabriel et sera
audict corps, comme dict est, jusques à tant que Gabriel le metra
dehors. Je soubz-signé presbre curé de Chatenoy en Gastinois,
diocèse de Sens, certiffye les interrogation et responce cy dessus
tenir verité. Et pour certiffier ceulx qui verront ceste lettre,
ay signé de ma signature le quatorziesme jour de septembre mil
six cens et ung, ainsy signe : TEXIER.
Le démon est une dernière fois pressé
de dire son nom :
« Dic ergo interpretationem tui nominis Astaroth »
Et a dict ledict demon : « Cela porte conséquence. Je ne
le diras pas ». « Tu le diras » « Nenny »
« Nous te le commandons tous d'une voix que tu aye à dire
la signification de ton nom Astaroth » Et n'a voulu respondre.
Sur ces derniers mots se termine le manuscrit.
Le dialogue se réduit à trois questions principales
:
Quel est ton nom ? D'ou viens-tu ? Quel signe feras-tu ?
Le démon dit se nommer Astaroth. Dans l'Ancien Testament, c'est
le nom d'une déesse orientale, Astarthe, déesse mère,
déesse de l'amour et de la fécondité dont le culte
se répandit dans tout le bassin de la Mediterranée en se
mêlant à celui de Vénus.
1) Extrait de Verdier, Marc, « A propos d’un
exorcisme en l’église Saint-Mathurin de Larchant en 1601
», Amis des Monuments et sites de Seine-et-Marne, n°14, 1983,
p. 1-16
2) Paris, Arch. nat. S 305 B
NDLR Un dialogue daté de 1601 qui ressemble étrangement
à celui du XIIe siècle lors de l’exorcisme par saint
Jacques de la possédée d’Oviedo. Ici c’est un
homme. On comprend mal comment le démon peut parler par le bras
ou par l’épaule, mais les assistants n’en ont pas l’air
surpris. En revanche, ils sont étonnés de voir Mathurin
Dupetit comprendre le latin, l’anglais, l’espagnol et même
le breton.
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