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Alain Demurger
Médiéviste, historien de la Croisade et des ordres religieux-militaires,
maître de conférences à l'université de Paris-1, 2002
Fondés en Terre sainte, le Temple et l'Hôpital ont reçu de nombreuses
donations en Occident et ont établi un véritable réseau de maisons : on sait
l'importance de l'hôpital de Saint-Gilles, ultime étape pour ceux (pèlerins,
croisés ou autres) qui embarquaient à Marseille pour gagner la Terre sainte.
De là à dire que les ordres religieux-militaires ont systématiquement établi
des maisons, des hôpitaux le long des routes de pèlerinage, il y a un pas qu'il
ne faut franchir qu'avec précaution, et parfois ne pas franchir du tout.
Il y a trois pèlerinages majeurs : Jérusalem, Rome, Compostelle et trois ordres
sont concernés : le Temple, l'Hôpital et Santiago.
Le Temple, l'Hôpital, Calatrava, Santiago. . .
etc, sont des ordres religieux avant d'être militaires. A ce
titre leurs membres, outre le fait qu'ils vivent selon une règle et mènent
une part de leur vie au couvent, ont des devoirs proprement religieux
et en particulier le devoir de charité. Ils doivent pratiquer l'aumône,
distribuer du pain, de l'argent aux pauvres, plusieurs fois par semaine
et à l'occasion des grandes fêtes du calendrier chrétien. Certains ordres
ont en outre un devoir d'hospitalité : c'est le cas de l'ordre des hospitaliers
de Saint Jean de Jérusalem : à leurs débuts les hospitaliers ne pratiquaient
pas d'activités militaires. L'Hôpital fondé à Jérusalem dès avant la première
croisade accueillait, hébergeait et soignait les pauvres pèlerins ; cette
activité s'est développée avec le succès de la première croisade et en
1113, le pape Pascal II érigeait en chef d'ordre l'hôpital de Jérusalem
et y affiliait de nombreux établissements hospitaliers d'Occident, mais
pas tous. C'est sur le modèle du Temple que l'ordre de l'Hôpital s'est
ensuite militarisé, sans jamais abandonner sa vocation primitive. Dans le royaume de Jérusalem, les hospitaliers hébergent
et soignent les pauvres pèlerins dans leur hôpital de Jérusalem, puis,
après 1187, à Acre. L 'hôpital est l'édifice emblématique de l'ordre.
Les hospitaliers en construiront un à Chypre, puis à Rhodes et enfin à
Malte, qui furent tour à tour siège de l'ordre. L'ordre du Temple a été
créé par quelques chevaliers désireux de protéger, au besoin en usant
de la force, les pèlerins qui, à partir de Jaffa, puis d'Acre se rendaient
à Jérusalem et au Jourdain. Des châteaux, des tours assuraient la sécurité
de la route (Château Arnaud, Toron des Chevaliers, Quaranteine). Très
vite cependant la mission des templiers s'est élargie à une mission proprement
militaire de défense des Etats latins d'Orient (l'Hôpital, en se militarisant,
fit de même). En Occident, les maisons des deux ordres, en dehors de l'Espagne où ils
participent aux opérations militaires de la reconquête, sont davantage des grosses
fermes, à la tête d'une unité d'exploitation, que des forteresses. On en tire les
ressources nécessaires à l'accomplissement des missions militaires en Orient ;
elles sont aussi des centres de recrutement, éventuellement des maisons de retraite
pour les frères âgés ou infirmes, et, aux yeux des fidèles, des maisons religieuses
tout aussi prestigieuses que les couvents bénédictins ou cisterciens. Les donations
faites au Temple et à l 'Hôpital furent nombreuses, variées et largement répandues
dans tout l'Occident. Les deux ordres ont-ils cherché à s'implanter (et donc à
orienter le flot des donations et à acheter) le long des grandes routes de
pèlerinages ? En Italie les établissements templiers et hospitaliers sont nombreux le long de la Via Francigena que les pèlerins venus de France empruntaient pour se rendre à Rome. Mais c'était aussi la voie empruntée par les croisés, par les recrues des ordres militaires qui, au delà de Rome, gagnaient les ports d'Italie du sud (Bari, Barletta, Brindisi) pour aller en Orient. L'un et l'autre ordre, de même que, au XIIIe siècle, l'ordre teutonique, ont des maisons importantes dans ces ports. En jalonnant les routes italiennes de leurs maisons, les ordres religieux-militaires n'ont pas pour objectif de « protéger » la route des pèlerins, mais de permettre l'acheminement vers l'Orient de ce dont ils ont besoin : hommes, chevaux, armes et équipements, vivres.
Beaucoup d'établissements spécialisés dans l'accueil des pèlerins sur les
routes menant à Compostelle ont été fondés et gérés par des collèges de
chanoines : l'hospice de Roncevaux, Cayac, Aubrac, etc. Les chanoines de Sainte
Christine du Somport étaient à la tête d'un réseau d'accueil dans la région. Ceci
étant dit, il est bien évident que sur une route fréquentée par les pèlerins dans les
montagnes pyrénéennes ou cantabriques, les établissements templiers ou
hospitaliers existant recevaient des pèlerins et leur faisaient l'aumône. L'ordre de
l'Hôpital avaient aussi des hôpitaux sur ces routes (Saint-Jean-du-Saint-Esprit à
Bayonne par exemple). Au XVe siècle, en 1408 l'Hôpital transforme l'ancienne
maison du Temple de Toulouse (on sait qu'à la suite de l'abolition de l'ordre du
Temple en 1312, ses biens revinrent à l'Hôpital) en hôpital pour pèlerins; un peu
plus tard le grand prieur de l'ordre en Navarre fonde un hôpital à Puente la Reina. Reste le cas de l'ordre de Santiago en péninsule
ibérique (il avait aussi des maisons en Gascogne) dont certaines traditions
historiques inventées après coup et sans aucun fondement font remonter
la naissance au Xe siècle et lui assignent la mission de protection des
pèlerins sur le chemin de Compostelle. Cela n'a rien à voir. L'ordre est
fondé en 1170-1175. A l'origine, le roi de Leon Ferdinand II confie la
garde de la forteresse de Càceres (sur le front de la reconquête, à plusieurs
centaines de kilomètres au sud de Compostelle et du Camino francès !)
à une confrérie de chevaliers qui, en 1171, s'engage à protéger les biens
appartenant à l'archevêque de Compostelle dans la région de Càceres. La
confrérie devient un ordre à qui l'archevêque donne la bannière de saint
Jacques (lequel est aussi le saint patron de la reconquête). L'ordre,
reconnu en 1175 par le pape, prend le nom de Saint-Jacques. A aucun moment
il n'a été question du pèlerinage. Rien dans la règle de l'ordre n'en
parle. L'ordre de Santiago combat les Maures, loin au sud en Estrémadoure,
pas en Galice ! Pour conclure, si le Temple a bien été fondé pour protéger les pèlerins sur
la route de Jérusalem, sa mission s'est étendue très vite à la défense des Etats
latins. Ce n'est que par le hasard des donations pieuses qu'il a hérité ici d'un
hôpital ou d'une maison-Dieu, là de biens, ailleurs de maisons ; dans le Sud-Ouest
comme ailleurs. Et de toutes façons l'action hospitalière du Temple, secondaire
mais réelle, n'a jamais été polarisée sur Compostelle. * J'ai moi-même fait cette erreur, Vie et Mort de l'ordre du Temple, Paris, Le Seuil. p. 112-113. Je ne partage plus sur la question les vues que j'exposais alors. |
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