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mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil
 

Le blason de Conques (Aveyron) a 50 ans

Aujourd’hui, Conques affiche un blason ainsi décrit : « de gueules au pairle alaisé d’argent accompagné de trois coquilles du même ».
Interrogée sur la signification de ce blason, une jeune guide de la ville affirme : « les coquilles sont celles des pèlerins de Compostelle et le Y représente les chemins de Compostelle, un qui arrive à Conques et deux qui en repartent » En réponse à une question sur l’origine de ce blason, elle le fait remonter « au XIe siècle au moins » et se réfère « au passage de saint Jacques à Conques ».

 

Surpris de ces affirmations péremptoires, nous avons entrepris des recherches pour retrouver l'origine de ce blason. Cette jeune guide n'était pas effleurée par le doute lorsque nous l'avons interrogée. Pourquoi douterait-elle ? Comment douter, alors que, depuis 1998, l’abbatiale et le pont sur le Dourdou sont classés au Patrimoine Mondial de l’UNESCO comme « éléments essentiels de l’architecture au long des chemins de Compostelle » ?

les armes de conques définies en 1954

Le site Internet de la ville développe la symbolique des chemins sans donner d’indication de date. Il formule une hypothèse sur le Y en considérant comme évidente la position de Conques sur la route le Puy-Compostelle, entre Estaing et Figeac :

« la croissance urbaine a pu se réaliser à partir de l'embranchement de deux chemins, peut-être préexistants en forme d'Y : c'est le pairle héraldique (un Y aux bras inégaux) qui figure, accompagné de trois coquilles, sur les armes de Conques. Il s'agit d'abord de la via podiensis, la route de pèlerinage venue d'Estaing qui traverse le bourg dans sa plus grande longueur entre l'ancienne porte de Fumouze et la porte de la Vinzelle pour gagner Figeac. Sur cette rue Haute (actuelle rue Émile-Roudié) vient se greffer la rue Charlemagne qui descend à l'église, puis franchit la porte du Barry et dévale le versant jusqu'au pont romain sur le Dourdou. ».

On peut faire trois remarques :
- La dénomination via podiensis ne figure pas dans la traduction du dernier Livre du Codex Calixtinus publiée sous le titre de Guide du pèlerin en 1938. L'adjectif podiensis est évidemment utilisé dans l'original écrit en latin. La première utilisation contemporaine de ces termes que nous ayons trouvée figure dans le titre de la thèse soutenue en 1979 par Gérard Jugnot
- Conques était un lieu de pèlerinage médiéval très réputé, s’est-elle définie comme « une étape majeure » sur le chemin de Compostelle avant d’avoir connaissance de ce Guide ?
- Les pèlerins venant à Conques ne portaient-ils pas eux aussi des coquilles ?

Deux études sérieuses[1] et concordantes remarquent qu’aucun blason des abbés de Conques ne porte de coquille, mais que le blason de la ville porte une marmite, dite conca en occitan. Il pourrait s’agir alors d’armes parlantes, allusion au site dans lequel est bâtie l’abbaye, une vallée enchâssée dans des montagnes, une sorte de conca. C’est ce qui figure sur un sceau du 25 juillet 1303[2], une marmite à trois pieds et 2 anses surmontée d’une fleur de lys entourée de l’inscription : S’ CONSOLS D’CONCA

Il faut ensuite attendre L’armorial général de France, de Charles d’Hozier, juge d’armes de France, réalisé en 1696 à la demande du roi Louis XIV. Chaque ville et communauté devait déclarer ses armoiries afin qu’elles soient répertoriées, moyennant finances. Hormis quelques rares déclarations spontanées, la plupart des blasons ne sont que des créations dues à l’imagination parfois fertile, des employés de l’Armorial. Pour Conques, aussi bien pour la ville que pour le chapitre de l’abbaye apparaissent des perles et des coquilles d’huître, deux éléments aussi énigmatiques l’un que l’autre. Les huîtres seraient-elles une allusion à la conca ? Et la perle une allusion à l’abbaye, perle du village ? Ou aux trois pieds de la conca ? En tout cas, si le manuscrit descriptif permet d’hésiter entre la lecture « perle » ou « pairle » (le fameux Y panneau indicateur routier), le manuscrit des dessins n’autorise aucune confusion, il s’agit bien de « perles », ainsi qu ’on peut le vérifier sur les dessins ci-contre.

 


cliquer ici pour voir les descriptions détaillées de l'Armorial

les armes de l'abbé de Conques en 1758

Ces armes apparaissent d’autant plus fantaisistes qu’en 1758 les armes de l’abbé François-René d’Adhémar de Panat surmontant celles de la ville, portent encore en pointe les mêmes deux marmites à trois pieds que celles du XIVe siècle. Elles figuraient sur une croix en métal érigée sur la place de l’église (encore en place au début du XXe siècle, aujourd’hui au musée Joseph Fau)

Quant au pairle, n’est-il pas né, comme cela s’est déjà vu, d’une schématisation de la fleur de lys ? En 1938, Jacques Meurgey[3], qui n’avait pas vu les dessins, y a-t-il pensé quand il s’interrogeait : perle ou pairle ?

le blason moderne de Conques (1954)

Le pairle l’a emporté sur la perle fine, le 11 avril 1954, dans une délibération du Conseil municipal de Conques dont voici le texte tel qu’il fut retranscrit dans les registres :
« Après étude par MM. Marc-André Fabre et M. Robert Louis, le blason de Conques, tel qu’il est ci-dessous défini est approuvé par le Conseil De gueules au pairle alésé d’argent accompagné de trois conques du même, deux en chef, une en pointe. »

Faute d’avoir eu accès à cette étude on s’interroge sur sa teneur. Quelle symbolique les auteurs ont-ils attribuée aux meubles héraldiques et aux couleurs ? Ont-ils pensé à Compostelle ? On remarque simplement que le mot « coquille » n’est pas employé, seulement la « conque » ou conca.
En fait, la « coquille » semble n’apparaître qu’en 1995, sous la plume de J.J. Lartigue dans l’Armorial général des communes de France, p. 45. Il fait référence au ms. 15911 de la Bibliothèque nationale de France (malheureusement ce manuscrit n’a rien à voir avec l’héraldique) pour donner la définition du blason de Conques : « de gueules au pairle alaisé d’argent accompagné de trois coquilles du même ». Ensuite, comme partout, toute coquille sur un blason de ville vient à en faire une balise sur le chemin de Compostelle. Pourquoi ne pas y croire ?
Comme souvent, l’histoire est tissée d’erreurs, d’incompréhensions, d’interprétations erronées, le tout aboutissant à une réalité admise. C’est une évidence. Mais l’admettre ne devrait pas aboutir à l’ériger en vérité dogmatique. Pourquoi les pèlerins et les touristes ne pourraient-ils pas être intéressés à la genèse du blason de Conques ? Elle viendrait grossir le bouquet des mille histoires racontées, jour après jour, dans chacun des lieux traversés. De quoi alimenter les rêveries au long des kilomètres, et de quoi se souvenir au retour.

Jacques d'Anvailles


[1]Lançon, Pierre et Poulet, Jacques, « Le trésor héraldique de Conques et de son abbaye », Etudes aveyronnaises, 1995, p. 195-217 Izarny-Gargas, Louis d’., Armorial général Languedoc, 1992

[2]Paris, AN J 478 n°3. Exposé au musée d’histoire de France, D 5632

[3]Meurgey, Jacques, Armorial de l’Eglise de France, 1938

www.conques.com/visite

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