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Conférence de Jean Subrenat, Arles, oct. 2000
Si l'apôtre Jacques vénéré à Compostelle a pu, à diverses reprises, être invoqué comme saint combattant (le matamore), dans la chanson de geste française* en revanche, sa vénération ne se situe que rarement dans un contexte belliqueux. Lorsque les armées célestes descendent au secours des chevaliers chrétiens, ce sera le plus souvent sous la conduite de l'archange Michel, de saint Georges ou de saint Maurice. Or saint Jacques, dans cet ensemble de textes d'inspiration incontestablement militaire et également orientée vers la défense de la Chrétienté contre le péril sarrasin, joue un rôle beaucoup plus "pacifiant". C'est autour de cet apparent paradoxe que nous voudrions ordonner notre propos. Ainsi donc, après avoir délimité le genre de la chanson de geste médiévale, nous regarderons la place qu'y tiennent les pèlerins de Saint-Jacques et l'importance donnée à leur démarche pérégrine, pour nous intéresser à la fin au plus prestigieux d'entre eux, l'empereur Charlemagne, dont la très forte personnalité ne cesse de hanter la Chanson de geste. C'est en effet par lui, en quelque sorte, que le genre épique a pris ses racines dans la littérature française du Moyen Age. Car il faut toujours remonter à la Chanson de Roland qui commence ainsi:
Carles li reis, nostre emperere magnes
(Chanson de Roland, v v. 1-2) Dans ce contexte, la référence à saint Jacques tient moins à des raisons militaires (il faut certes maintenir le libre accès à son tombeau, comme d'autre part les chansons du cycle de la croisade en défendent également l'idée pour Jérusalem, à la même époque) qu'à un contexte idéologique, spirituel, et aussi tout simplement à des contingences matérielles ou des contraintes littéraires. C'est ainsi que l'on entend des fins de vers commodes "... par saint Jake" (trois syllabes) ou "... par le baron saint Jake" (six syllabes), de même que l'on trouvera en fonction des nécessités de la rime " Par saint Denis, Léonard, Vincent, Michel, etc.. Cela prouve du moins que l'apôtre Jacques fait partie de ces noms de saints qui viennent naturellement à l'esprit des poètes. Plus intéressante et plus précise sera cette formule à propos d'un serment: (Raoul de Cambrai, v. 3496)
Le verbe querir employé ici est d'apparence très banale, c'est "aller chercher" mais il tend à se préciser, dans de tels contextes, "aller chercher spirituellement, mener une recherche spirituelle, une quête spirituelle"2. Les formules seront variées, par exemple: (Aiol, v. 8122 ) Et par saint Jasques que quierent pelerin (Mort Garin, v. 4254) Et por saint Jaques qu'ai de mes piez requis (Garin le loherenc, vv. 6820-6821) E ot la barbe longue e fenestré* le chief, *chauve E escharpe a son col et .I. fust* de paumier*. *bâton *pèlerin Li dus l'a apelé, dejouste lui l'assiet. "Biaus meistre, de quel part ?" ce li a dit Garnier. "Sire, devers Espengne, de saint Jaque prier." (Aye d'Avignon, vv. 1795-1800) Qui revient de saint Jake ou il ot converssé* *séjourné Et en Jherusalem avoit .III. fois esté; Et n'avoit .I. seul lieu en la crestïenté Ne bon repaire nul ou il n'ait demoré Et son cors mainte fois travillié* et pené*. *épuisé *fatigué (Gui de Bourgogne, vv. 31-326)
Ja sont il pelerin de Rains ou de Sanlis, Et si vont a saint Jaque lor pechiés peneïr*, *expier Et qui bien lor fera bien lui sera meri*." *en aura sa récompense (Orson de Beauvais, vv. 914-917) On comprend que, dans ces conditions, l'habit faisant le moine en quelque sorte, il soit tentant de se déguiser en pèlerin dans des buts plus ou moins avouables, d'autant que le pèlerin bénéficie d'une certaine protection de l'Eglise. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, Maugis d'Aigremont, déguisé en pèlerin pour duper Charlemagne, lui dit: Car je vieng de .S. Jaque, le bon saint honoré, Et de Rochemador le leu bon eüré*. *l'endroit béni En Jerusalem fui au temple Domine; Si besai le sepucre ou Jhesus fu posez, Ces paumes* trenchai ge en l'ort* par verité *palmes *le jardin Ou Dex la quarentaine* ot por nos jeüné. *quarante jours El flum Jordain baignai cestui bordon ferré." (Maugis d'Aygremont, vv. 5021-5028)
Avant* a .S. Michiel irai ou sui voez*." *ensuite *consacré (Ibid. vv. 5037-2038) * * * Voici, à titre d'exemple, le déroulement du pèlerinage de Gerbert de Metz: Jusqu'a .i. terme que vos m'orrez conter, Qu'a Gerin prist talant* et volenté *désir Que a Saint Jaque en iroit por orer*. *prier (Gerbert de Mez, vv. 14555-14558)
Tant qu'al matin que il fu ajorné. Al mostier* vont le servise escouter, * à l'église Après la messe s'en sunt tot retorné. Les selles metent, es destriers sunt monté, Chascuns d'ex a .xx. chevalier menez. Trestot lor oire* ne voz sai raconter; *itinéraire Tant ont tenu lor droit chemin ferré* *empierré Qu'a Panpelune sunt .i. soir ostelé* *se sont logés Chiez un borjois manant et asasé*, * riche Qui celle nuit les tint en grant chierté*. *estime, attention, affection (Ibid., vv. 14582-14593) Le lendemain, il rendent visite à un ermite puis reprennent la route vers Compostelle: Tant ont ensanble chevauchié et erré* *avancé Que a Saint Jaque sunt trestot ostelé; Et l'endemain sunt al mostier alé. Le servise ont doucement escouté; Molt riche ofrande ont sor l'autel posé. Du mostier issent, es chevax sunt monté, En lor retor sunt maintenant entré. Tant ont ensanble chevaucié et erré Qu'a Panpelune viennent .i. avespré. Chiez lor bon oste* sunt la nuit reposé *hôte Ou il avoient a l'autre foiz esté. (Ibid., vv. 14666-14677) La raison du pèlerinage n'est pas explicitée; il a lieu quatre ans après la fin des hostilités et le sang coulera de nouveau après. L'auteur, après avoir fait allusion à l'office religieux qui précède leur départ, néglige délibérément d'entrer dans les détails de leur itinéraire, mentionnant seulement, à l'aller et au retour, une étape chez un riche bourgeois de Pampelune. A Saint Jacques même, ils trouvent un logis, passent une nuit reposante, vont entendre la messe à l'église, font une offrande et repartent sans s'attarder. Le second exemple que je citerai est tiré de Raoul de Cambrai, chanson extrêmement violente et complexe (les hostilités s'étendent sur trois générations) où, en fait, il y a deux pèlerinages, le premier à Saint Gilles (du Gard)3, le second à Compostelle. La paix faite et la réconciliation marquée par le mariage de Bernier avec Béatrice, une dame du camp adverse, Bernier réunit ses conseillers et leur tient ces propos: Pichiés* ai fais dont je grant paor ai, *péchés Maint home ai mors* dont je sui en esfroi. *j'ai tué Raoul ocis*, certes, ce poise moi. *J'ai tué Raoul Dusqu'a Saint Gile vuel aler demanois*; *maintenant Proierai li que plaidis* soit por moi * avocat, intercesseur Vers Damredieu* qui sires est et rois." *le Seigneur Dieu (Raoul de Cambrai, vv. 6405-6411) Il s'agit donc d'un pèlerinage de pénitence de la part d'un chevalier sur la conscience duquel pèsent les morts dont il se sent responsable pendant sa carrière chevaleresque. Il devrait donc y retrouver la paix de l'âme. L'on apprend beaucoup plus tard, après de nombreuses autres aventures, qu'il avait fait le vœu du pèlerinage à Compostelle. Il part donc avec Guerri, son beau-père (et ancien ennemi). La raison de ce départ n'est pas mentionnée, mais il y a tout lieu de penser qu'il s'agit d'un pèlerinage d'action de grâce. En effet, la décision est prise après huit jours de fêtes pour l'adoubement du second fils de Bernier et Béatrice par Guerri, son grand-père. (Ibid., v. 8117) nous dit l'auteur et le départ doit avoir lieu le dimanche in Albis, dimanche dans l'octave de Pâque, (v. 8129), c'est-à-dire un jour de joie. Voici le récit du voyage :
France trespassent et eintrent en Berri, Droit vers Poitiers aqueullent lor chemin, Dusques a Blaives sejornent molt petit, La nuit sejornent desci dusqu'au matin, Puis si en vinrent droit a Bordiax* la cit, *Bordeaux Parmi la lande aqueullent* lor chemin. *poursuivent De lor jornees ne sai conte tenir; Tant chevauchierent et par nuit et par dis, Par le bel tant et par le lait* ausis, *le beau temps et le mauvais Que a Saint Jaque vinrent à un mardi. Au mostier vont quant ostel orent pris. Le soir wellerent*, chascun un sierge espris*; *veillèrent *cierge allumé Au matinet vont le servise oïr. Del mostier issent quant li servise est dit, A lor ostel manjuent un petit, Et puis montent sor les chevax de pris Et se painnerent molt forment del venir*. *pour revenir En .XXX. jors revinrent a Paris. (Ibid., vv. 8162-8180) Ici, l'auteur donne quelques points de repère dans l'itinéraire; on reconnaît des étapes. Mais ce qui frappe à nouveau, c'est la rapidité du voyage à l'aller comme au retour, ainsi d'ailleurs que la hâte du récit. Sur place les deux chevaliers ne passent qu'une nuit pour repartir dès le lendemain, comme l'avaient fait Gerbert et ses compagnons. Toutefois la ferveur se manifeste dans cette hâte même: A l'aller, ils chevauchent nuit et jour - sans donc prendre véritablement le temps de se reposer - et par tous les temps. Sur place, l'unique nuit qu'ils passent est une nuit de veille et de prière (la nuit est un moment privilégié de l'office monastique) qui débouche sur l'assistance à la messe matinale. Il n'est pas ici mentionné d'offrande; c'est manifestement la ferveur spirituelle (veillez et priez) qui intéresse l'auteur. On pourrait penser que c'est faire une bien longue route pour un trop bref séjour. L'ascèse du pèlerinage, de tradition biblique et chrétienne très anciennes, est d'abord dans l'effort du chemin (même s'il est ici fait à cheval) vers ... un lieu de dévotion, la Terre promise, la Jérusalem qui sera céleste, ... Et un chevalier n'avait pas une formation religieuse ou spirituelle suffisante pour aller bien au-delà de gestes de piété relativement rapides et simples.
A travers ces exemples, les données épiques pourraient paraître assez légères et elles le sont en un certain sens. On peut toutefois retenir : - que le pèlerin de Saint Jacques est un personnage que l'on est habitué à rencontrer et qui ne mérite pas toujours une attention particulière, mais qui peut rendre de grands services pratiques (des renseignements) ou spirituels ; - que la familiarité de sa fréquentation induit des mises en scènes de faux pèlerins, preuve que l'on peut rire et se moquer, à tout le moins prendre une certaine distance critique, même dans un genre littéraire assez austère: on verra Charlemagne en personne se déguiser en pèlerin pour aller espionner ses ennemis ; - que, plus profondément, l'apôtre est vénéré, à la fois par les personnages et par les auteurs, mais sans excès par rapport au pèlerinage de Jérusalem ou de Rome ; - que ce pèlerinage a une très forte charge spirituelle et affective pour les chevaliers qui sont avant tout des soldats dans un contexte où les fonctions sont réparties entre les trois ordres de la société (oratores, bellatores, laboratores). Leur piété (rapide et surtout formelle) est celle, normale, d'un laïc; effort physique de la route, messe, offrande. La nuit de veille de Raoul et Guerri marque un approfondissement assez rare. C'est dans ce contexte qu'il nous reste à voir la relation que le Charlemagne épique a nouée avec le sanctuaire. Mais, pour en comprendre la formation, il faut faire un détour par un ensemble de textes latins contenus dans le Liber sancti Jacobi, conservé à Saint Jacques de Compostelle dans un manuscrit que l'on appelle le codex Callixtinus4. Deux ouvrages de cet ensemble sont intéressants pour nous. L'un est un "guide du pèlerin", intéressant par les allusions qu'il fait, pour certaines étapes, à des événements de l'aventure carolingienne ou à la vénération de sépultures de chevaliers francs. L'autre, l'Historia Karoli Magni et Rhotolandi, souvent appelé "Pseudo-Turpin", car l'auteur se présente comme le célèbre archevêque qui ne serait pas mort à Roncevaux, contrairement au récit de la Chanson de Roland. Il aurait été près de l'empereur, témoin privilégié, crédible, qui écrit en Latin, c'est-à-dire dans la langue des clercs, des savants. Cette Historia sera souvent recopiée, traduite et va fournir des sources à l'historiographie officielle des Grandes chroniques de Saint Denis5. En fait, cette chronique utilise, dans bien des cas, des éléments empruntés aux chansons de geste. Mais elle aura le grand mérite de populariser des rapprochements entre le pèlerinage jacobite et la personnalité, devenue mythique nous l'avons dit, de Charlemagne. Elle va susciter des réécritures de la Chanson de Roland au XIIIe siècle; elle va suggérer ensuite de nouvelles aventures épiques de l'empereur, où le chemin de Saint-Jacques deviendra parfois un enjeu militaire de la lutte contre les sarrasins d'Espagne. Dans la mesure où, poétiquement, presque toute l'action épique se passe au temps de Charlemagne, l'empereur qui a épuisé sa vie à défendre la Chrétienté contre les païens6, il était dans l'ordre des choses du point de vue de l'idéologie épique, qu'il ait la responsabilité du chemin de Saint Jacques, qu'il vénère l'apôtre et soit protégé par lui, comme il l'était par saint Denis en d'autres circonstances. Il est donc alors indispensable d'expliquer et de raconter pourquoi Charles est resté set anz toz pleins [...] en Espaigne et comment il a agi pour "pacifier" l'Espagne et libérer le chemin de Saint Jacques. Cela fera l'objet de deux chansons importantes du XIVe siècle, donc assez tardives, ce qui prouve la persistance du mythe: l'Entrée en Espagne, longue de 15 000 vers et sa suite, la Prise de Pampelune, dont il reste un peu plus de 6 000 alexandrins. D'après ces deux poèmes épiques, Charlemagne avait autrefois promis de libérer le chemin de Compostelle et, au début de l'Entrée d'Espagne, il informe son conseil qu'il vient d'avoir, trois nuits de suite, trois apparitions de l'apôtre lui rappelant son engagement :
"Troi nuet l'une pres l'autre, que ne dormoie mie, "Demonstrez m'est saint Jaqes, que fort mo contrallie* *harcèle "Que je aile ostoier* sor la gent paganie, *faire la guerre "Si com je l'ai promis au filz sante Marie "Et au barons saint Jaques, cui ai ma foi plevie* *à qui j'ai donné ma parole "Que je restorerai son chemins e sa vie." (Entrée d'Espagne, vv. 74-80). La chanson contient de très nombreuses péripéties souvent empruntées d'ailleurs à la chronique du Pseudo-Turpin et l'auteur prétend avoir composé sur ordre de l'archevêque en personne qui lui serait apparu en songe. Dans cette chanson, le cri de ralliement de l'armée impériale n'est plus "Montjoie saint Denis", mais "Chevaliers Saint Jaques". Et l'intercession de l'apôtre est réclamée :
" ... sancte Glise* *sainte Eglise
(Ibid., vv. 3416-3417)
"... Ai ! bon saint de Galise,
(Ibid., vv. 7221-7225)7 Dans la Prise de Pampelune, c'est l'arrivée de Roland qui permet de s'emparer de la ville. Charles continue alors sa progression selon un itinéraire précis. L'extrait conservé du texte (6117 vers) de cette chanson s'interrompt à la prise d'Astorga. Mais la tension de l'empereur vers son but est vive. Par exemple, il affirme : A conquir le cemin dou seint prediceour, Ce est le baron seint Jaques de Yesu serviour. (Prise de Pampelune, vv. 5656-5658) Et on l'entend donner des ordres comme Vers le cemin seint Jaques a non le* Creatour". *au nom du (Ibid. vv. 5671-5672) En fait, cette légende du siège de Pampelune avait déjà été exploitée, vers 1220, dans une courte chanson de geste (4 300 vers) sans doute un peu parodique ou ironique, Gui de Bourgogne. L'auteur imagine que la campagne impériale en Espagne a duré non pas sept ans (comme le dit la Chanson de Roland), mais vingt-sept ans, si bien que les jeunes fils des chevaliers sont devenus des adultes qui partent à la rescousse de leurs pères. Ils trouvent la "grande armée" dans un état pitoyable: le cuir des boucliers est pourri, les chevaux sont déferrés, les chevaliers marchent nu-pieds, ils n'ont plus de chaussures. Evidemment, le dynamisme de la jeune génération fait merveille. Et s'il n'est guère question du chemin de Saint-Jacques , toutefois, pendant le siège de Luiserne se passe cet événement: Aussi com s'il tenist un grand chierge alumé. "Karles", ce dist li angres, "dirai toi verité : Ne sui pas hons* terestre, ains sui esperités*; *homme * pur esprit Ce te mande li Sires qui en crois fu penés* * fut torturé / a souffert Que tu ailles en Galisce por saint Jakes adorer." (Gui de Bourgogne, vv. 4094-4099)
Ces trois textes situent leur action avant le désastre de Roncevaux. Il faut maintenant s'interroger sur ce qui s'est passé après la riposte impériale qui a été foudroyante comme la Chanson de Roland la décrivait déjà. Une chanson, Anséis de Carthage (Carthagène), présente d'une manière très romanesque et sans fondement historique la suite des événements. Les terres sarrasines conquises, Charles confie le royaume d'Espagne à une jeune roi Anséis. Ce seigneur, vassal de Charles, ne parvient pas à asseoir correctement son autorité, si bien que le vieil empereur, - trop vieux pour chevaucher, il se fait porter sur un char - doit une nouvelle fois repasser les Pyrénées. Ce qui est intéressant pour notre propos, c'est que, pour le poète, aller au secours d'Anséis en Espagne, c'est en fait dégager le chemin : Del bon apostle k'on doit glorifiier. (Anséis de Carthage, vv. 8485-8486)
"Jhesus te mande, li rois de paradis, Ke tu secores ton baron Anseïs Et si aquite la terre et le païs Et le cemin ke tu as Dieu promis Del bon apostle ki doit estre servis. Va, si encauche* les paiiens maleïs, *pourchasse Car encor iert el voiage garis Mains hon, qui fust et damnés et peris." (Ibid., vv. 9304-9312) Cevaucant va li rois par le païs Et fait refaire mostiers et edefis ... Droit a Saint Jaque est Karles revertis, L'ofrande fait; au saint congié a pris. (Ibid., vv. 11318-11323) Et l'on constate (miracle ?) qu'il a trouvé un regain de vigueur puisqu'il peut à nouveau chevaucher (Cevaucant va li rois)9. En définitive, il faut sans doute revenir à notre idée de départ. Le culte de saint Jacques n'a pas eu, dans la littérature épique un retentissement considérable. L'apôtre de Galice ne fait pas d'interventionnisme militaire, alors qu'il est pourtant sans cesse aux marches de royaumes païens ou sarrasins; il n'est pas un saint familier ou quotidien. Saint Gilles l'est plus que lui et saint Denis est invoqué par Charles dans un plus grand nombre de chansons. C'est d'ailleurs plutôt à Notre-Dame que les chevaliers demandent d'intercéder auprès de son Fils. Toutefois les allusions, à sa personne, à son tombeau, à son chemin, à la Galice, à ses pèlerins, font partie, comme naturellement, de la vie courante. Guillaume (qui deviendra Guillaume d'Orange), déguisé en marchand (non en pèlerin) prétend, sous les murs de Nîmes revenir de Galice, où son négoce l'aurait vraisemblablement conduit. Tel auteur, faisant allusion à un monument, vous dira que les pèlerins de Saint Jacques peuvent encore le voir ou en voir les ruines, prouvant ainsi la véracité de ses dires. Bref, cela fait partie d'un fond de culture commun. C'est sur ces bases que, peu à peu, l'épopée médiévale lui donne une place modeste. C'est un saint dont le tombeau est en terre lointaine, sous la menace sarrasine (comme le tombeau du Christ à Jérusalem). C'est un devoir pour les chevaliers chrétiens - et leur empereur - de maintenir la relique insigne qu'il représente en terre chrétienne, car un chevalier chrétien doit défendre et étendre la chrétienté. Mais, dans ce cas précis, les implications spirituelles ne sont pas minces. On se rappelle le désir ardent de Gerbert et Gerin, de Guerri et Bernier, d'aller prier à Compostelle. On se rappelle l'ange insistant sur le fait que le chemin devait être aquité parce qu'il est une voie du salut éternel. A partir du moment où les traditions rolandiennes (épiques) et turpiniennes (religieuses) se sont croisées, une relecture de l'épopée carolingienne s'est faite. Il était intéressant littérairement de donner à Charlemagne, qui avait, dans une autre chanson, accompli le pèlerinage de Jérusalem, un nouveau champ de gloire et de grâce. Il était intéressant religieusement pour le pèlerinage et les différents sanctuaires de pouvoir prétendre avoir eu dans les temps héroïques (et un peu mythiques) de l'Empire un aussi illustre pèlerin. La littérature donnait alors une confirmation profane de ce que suggéraient des traditions religieuses. L'on songe évidemment ici à la très belle verrière de Charlemagne à Chartres où l'on voit l'empereur déposer une offrande sur un autel et surveiller la construction d'une église. La gloire de Charlemagne et la gloire de saint Jacques font en quelque sorte cause commune.
1 La foi attribuée à l'adversaire est un syncrétisme d'Islam, de paganisme et de satanisme. Les noms donnés à ses fidèles sont variables: païens, sarrasins, mahométans, ainsi que des noms de peuples divers. |
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