Connaître saint Jacques - Comprendre Compostelle
page établie le 26 avril 2006
Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005   survol du site Page précédente
 

La légende du pendu dépendu à Castillon-en-Couserans

Castillon-en-Couserans, chef-lieu de canton de l’Ariège, est situé dans une haute vallée des Pyrénées, la vallée de Bethmale. Les comtes de Comminges en furent les seigneurs. De leur château dominant le village ne reste, semble-t-il, que la chapelle romane, vouée à saint Pierre. En 1997, lors de la restauration de cette chapelle furent mises à jour de nombreuses fresques dont l’une, sur le mur nord, à droite de la petite fenêtre romane illustre l’un des miracles les plus connus de saint Jacques, la légende du pendu dépendu.
Janine Michel, doctorante en Histoire de l’Art à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, sous la direction de Michel Pastoureau, analyse cette fresque en la situant parmi toutes les autres représentations iconographiques de cette légende réparties dans toute l’Europe.

La fresque du mur nord

Castillon en couzerans, le pendu-dépendu

Au centre se dresse le gibet où un enfant est soutenu délicatement par un long personnage qui semble être saint Jacques ; derrière lui une femme aux cheveux longs, la main gauche levée, approuve et encourage le miracle ; elle pourrait être la Vierge qui parfois aide ou remplace saint Jacques pour soutenir le pendu. A droite, deux personnages plus petits ne peuvent être que les parents du jeune pendu, revenant de Compostelle et découvrant leur enfant vivant. L’arc brisé trilobé qui surmonte la scène, soutenu à gauche par une colonne à chapiteau permet de dater approximativement la peinture, entre 1350 et 1450.
La légende du pendu, dont le premier écrit date du 12e siècle, raconte, dans sa première version, l’histoire de deux pèlerins allemands, le père et le fils, partant pour Compostelle. Ils s’arrêtent dans une auberge à Toulouse, où un hôtelier cupide les enivre et cache une coupe d'argent dans leurs bagages pendant leur sommeil. Le lendemain, il les dénonce, les pèlerins sont arrêtés, jugés et le fils est condamné à être pendu tandis que l’on attribue à l’hôtelier tous leurs biens. Le pèrecontinue son pèlerinage à Compostelle et au retour, découvre que son fils est encore vivant, soutenu et nourri par saint Jacques. Il se rend à la ville, « rassemble le peuple » qui voyant cela pense que l'aubergiste est le coupable et dépend le pendu « en grand honneur ». L'aubergiste, par « un jugement unanime » est condamné à mort et pendu « sur-le-champ ».

La légende initiale, rapportée par le Codex Calixtinus, a été complétée et diversifiée au cours des siècles : comme à Castillon, la mère participa fréquemment au pèlerinage ; puis l’hôtelier cupide fut souvent remplacé par la servante amoureuse du fils, éconduite par celui-ci, et décidant de se venger en cachant la coupe. Enfin s’ajouta le miracle des coqs quand le père s’adresse au juge pour demander la dépendaison : le juge ne croyant pas plus au fait que le fils soit vivant qu’il ne croit que les poulets rôtis puissent s’envoler et chanter voit, émerveillé, les poulets sortir de l’âtre en chantant !

Pourquoi ce thème ?

le pendu-dépendu en Europe

Les représentations de ce miracle sont très nombreuses en Europe. L’observation de la carte ci-contre (en cours de réalisation) montre en tout cas clairement qu'elles ne balisent pas les quatre «Voies Historiques», décrétées officielles, du pèlerinage à Compostelle. Pour expliquer leur présence une autre référence que le pèlerinage semble nécessaire. Dans le cas de Castilon, si cette chapelle Saint-Pierre est vraiment la chapelle castrale, la présence de ce miracle confirmerait l’hypothèse du choix fréquent de ce thème pour accompagner dans la mort les âmes des seigneurs qui y sont inhumés (autres exemples à Villeneuve d’Aveyron et à Canville-la-Roque en Normandie). En effet, l’Epître de Jacques qui, au Moyen Age, est souvent attribuée à « l’apôtre Jacques » sans autre distinction, est le texte fondamental d’où a découlé le sacrement de l’Extrême-Onction.

Castillon-en-Couserans entre Espagne et Auvergne

Plusieurs autres représentations de ce miracle sont situées dans l'ancienne grande Aquitaine :
A Jézeau (Hautes-Pyrénées), un retable de l’église Saint-Laurent, du 16e siècle, comporte une scène de la légende.
A Tarbes (Hautes-Pyrénées), un chapiteau du cloître du jardin Massey (14e siècle ?) originaire de Trie-sur-Baïse : deux épisodes sur trois faces. Cette représentation est peut être l’une des images du Paradis dont le clo ître est le symbole terrestre.
A Saint-Flour (Cantal), fresque du pendu dépendu du réfectoire du couvent des Jacobins (15e siècle ?).
A Villeneuve-d’Aveyron (Aveyron), fresque dans l’église du Saint-Sépulcre, chapelle nord (14e siècle)
A Virargues (près Murat, Cantal) sur le mur du chœur de l’église Saint-Jean-Baptiste, un grand saint Jacques et un petit gibet (15e ou 16e siècle)
A Murat (Cantal) dans une chapelle de l’église, sur un tableau d’un artiste espagnol, offert au 17e siècle par un marchand, le sieur Malasagne.
A Santo Domingo de la Calzada, le tombeau de saint Dominique situé dans le transept sud de la cathédrale montre, en bas relief, sur son socle (15e siècle) deux épisodes de la légende du pendu, soutenu bien sûr ici par saint Dominique
Au musée diocésain de Solsona (Catalogne), le retable de Saint Jaume de Frontanya présente dans une scène deux épisodes de la légende.

Miracle V du Livre des miracles de saint Jacques (XIIe siècle)
DU PÈLERIN PENDU AUQUEL SAINT JACQUES
PORTA SECOURS PENDANT TRENTE-SIX JOURS SUR SON GIBET.
PAPE CALIXTE

Il est bon de transmettre à la postérité le souvenir de certains Allemands qui, en l’an 1090 de l’incarnation de notre Seigneur, se rendant en pèlerins sur le tombeau de saint Jacques, arrivèrent dans la ville de Toulouse avec beaucoup de moyens et se logèrent chez un riche aubergiste. Ce méchant, qui simulait sous un extérieur avenant la douceur d’un agneau, les accueillit avec sollicitude et, sous couvert d’hospitalité, les incita traîtreusement à s’enivrer en leur servant diverses boissons. Ô, avarice aveugle, ô, mauvais esprit enclin au mal ! Tandis que les pèlerins dormaient d’un sommeil encore alourdi par l’ivresse, l’hôte malhonnête, poussé par l’esprit de cupidité, cacha en secret dans l’un des sacs des dormeurs une coupe d’argent, afin de les convaincre de vol et de s’approprier ensuite leur pécule. Le lendemain, lorsqu’ils furent partis après le chant du coq, cet hôte inique les poursuivit avec une troupe armée, vociférant : « Rendez-moi, rendez-moi l’argent que vous m’avez dérobé ! » Ceux-ci lui répondirent : « Si tu trouves quelque chose sur l’un d’entre nous, tu n’auras qu’à le faire condamner. »
On les fouilla, trouva la coupe dans le sac de l’un et, confisquant injustement les biens du père et du fils, on les traduisit tous les deux en justice. Le juge cependant, avec une certaine indulgence, ordonna de libérer l’un et de conduire l’autre au supplice. Ô entrailles de miséricorde ! Le père, voulant libérer son fils, se rendit au supplice, tandis que le fils, au contraire, estimait injuste que son père perdît la vie pour son fils et que c’était au fils de subir la peine à la place de son père. Ô vénérable joute de bonté ! Finalement le fils est pendu à sa propre demande pour que son père soit libéré. Quant au père, il poursuit son chemin jusqu’à Saint-Jacques dans les pleurs et l’affliction. Après avoir été sur le vénérable tombeau de l’apôtre, le père prit le chemin du retour et, alors que trente-six jours s’étaient écoulés, fit un détour pour voir le corps de son fils encore pendu. Pleurant, gémissant et se plaignant à fendre le cœur, il disait : « Malheureux que je suis de t’avoir engendré ! Comment puis-je continuer à vivre en te voyant pendu ! » Comme tes œuvres sont magnifiques, Seigneur ! Le fils pendu console le père, lui disant : « Ne t’afflige pas, père très aimant, de mon châtiment, car ce n’en est pas un. Mais réjouis-toi plutôt, car ma vie est plus suave maintenant qu’elle ne l’a été dans toute mon existence passée. En effet, saint Jacques, me soutenant de ses mains, me réconforte avec plein de douceurs. » Entendant cela, le père se rendit en hâte à la ville et rassembla le peuple pour qu’il soit témoin d’un tel miracle de Dieu. Venant et voyant que le pendu vivait encore après un tel laps de temps, les assistants comprirent que l’insatiable cupidité de l’aubergiste était à l’origine de cette accusation et que sa victime devait son salut à la miséricorde divine. Cela a été fait totalement par le Seigneur et c’est admirable à nos yeux. Ils descendirent alors le pendu de son gibet en grand honneur. Quant à l’aubergiste, comme il avait démérité, un jugement unanime le condamna à mort et il fut pendu sur-le-champ. C’est pourquoi quiconque porte le nom de chrétien doit veiller très attentivement à ne pas tromper ses clients ni ses proches, de cette manière ni en quelque façon. Qu’il s’attache au contraire à témoigner aux pèlerins une bienveillance charitable et obligeante, afin de mériter la récompense de la gloire éternelle que Dieu leur donnera.

Trad. B. Gicquel, La légende de Compostelle, Paris, Tallandier, 2003, p. 478

La propriété intellectuelle du contenu de ce site est protégée par un dépôt à la Société des Gens de Lettres

Page précédente haut de page Accueil

nous écrire