|
La littérature sur le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle
est abondante.
Parmi elle, il faut distinguer les ouvrages destinés à un large
public, les guides pour les randonneurs d'aujourd'hui qui souhaitent mettre
leurs pas dans ceux des pèlerins d'hier, et enfin les ouvrages scientifiques.
Si le livre de Denise Péricard-Méa, issu d'une thèse, appartient
bien sûr à cette dernière catégorie, il ne traite
pas directement du pèlerinage à Saint-Jacques en Galice. La
problématique
est plus subtile, plus novatrice, puisqu'elle aborde plus particulièrement
le culte envers saint Jacques dans la France médiévale. Dans son
introduction, où elle expose les raisons de son enquête, l'auteur
dresse le bilan des études sur Saint-Jacques-de-Compostelle. Les recherches
débutent à la fin du XVIe siècle avec la lutte de Clément
VIII qui, pour déstabiliser l'Espagne de Philippe III, attaque son patron
(saint Jacques) et prive le sanctuaire espagnol de toute authenticité historique.
Après une partie consacrée à l'Ancien Régime, il
est question des recherches compostellanes au cours du XXe siècle. Vers
1930, le contexte historique est à nouveau particulièrement intéressant,
puisque les travaux sur Compostelle sont encouragés par Franco, Galicien
d'origine. Quelques années après, des historiens et historiens
de l'art français se lancent dans le champ des études compostellanes.
C'est notamment à ce moment que naît l'engouement pour les « chemins
de Saint-Jacques-de-Compostelle », dont on mesure encore la ténacité.
Cette fortune critique a permis à l'auteur de trouver sa propre problématique
pour le développement de laquelle elle s'est, autant de fois que possible,
référée aux nombreuses sources disponibles (archives diverses,
chroniques, récits de voyages, etc.). Aussi est-elle arrivée au
constat suivant : au Moyen Âge, saint Jacques présente un « visage
composite ».
|
Pour mener à bien l'étude de la
dévotion de saint Jacques
en France, l'ouvrage est divisé en deux grandes parties : la première
est consacrée au saint et à son culte, la seconde vouée
aux hommes, aux pèlerins. Saint Jacques lui-même n'a pas échappé à une étude
de fond, celle qui se nourrit aux sources. Qui était saint Jacques dans
les croyances médiévales confrontées à un saint « Majeur », à son
homonyme dit « Mineur » et à des Jacques orientaux ? Le saint était-il
perçu de la même manière par le religieux et par le laïc
? L'étude de textes essentiels comme l'Epître de Jacques révèle
les spécificités du saint et amène à la mesure de
son extraordinaire popularité. Ce texte frappe parce qu'il traite de
la maladie, de la mort, de la fécondité, etc. Si ces maux et autres
inquiétudes sont communs à toutes les sociétés,
ils étaient au Moyen Âge autant de domaines sur lesquels saint
Jacques pouvait intervenir. En effet, le saint guérit les maladies, exorcise
les possédés, protège les hommes des mauvaises récoltes,
calme les caprices des mers et des fleuves. En comparaison avec les spécificités
attribuées aux autres apôtres, celles de saint Jacques sont nettement
plus nombreuses. Plus encore, le rôle du saint au moment du trépas
et du Jugement dernier est essentiel pour une population soucieuse de
l'onction des malades et des mourants, et qui prête aussi à saint
Jacques le pouvoir de redonner la vie. Ces patronages ont façonné l'extraordinaire
renommée du saint. Celle-ci se mesure notamment à l'aune des images
de l'apôtre sur les tombeaux, dans les chapelles funéraires. De
même, les restes d'un habit et des attributs de pèlerin dans une
sépulture, ou encore les hôpitaux portant le nom de l'apôtre,
confirment la protection de saint Jacques et trouvent plutôt leur origine
dans le texte de l'Epître que dans l'accomplissement d'un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Ainsi, on arrive au cœur même de l'étude : le lointain sanctuaire
de Galice n'a pas pu être le seul lieu de sépulture, d'autres églises
de proximité ont assuré un culte plus quotidien, faisant de Compostelle
un mythe. Saint Jacques est « un et multiple », et cette multiplicité se
révèle surtout par le grand nombre de reliques du saint qui provoquent,
comme celles conservées en Galice, des miracles. II y avait un bras à Liège,
un autre à Würzbourg, un os du bras à Paris, un os du pied à Pistoia.
Des corps du saint apparaissent aussi bien à Échirolles qu'à Toulouse, à Angers
ou encore à La Chapelle-d'Angillon. Arras et Toulouse disaient conserver
la tête. Il y avait aussi des reliques diverses à Provins, à Reading,
etc. S'ils évoquent la multiplicité des cultes en l'honneur de
saint Jacques, ces chapitres, précieux et fortement intéressants,
introduisent dans l'univers passionnant des croyances médiévales.
L'étude se poursuit avec les thèmes liés au culte de saint
Jacques, en évoquant les confréries et les hôpitaux. Là, à nouveau,
un travail des textes révise des poncifs à la vie dure.
Les confréries,
par exemple, ne réunissaient pas que d'anciens pèlerins de Compostelle
; elles comprenaient peu d'adhérents, et leur origine sociale était élevée.
Le thème des trop fameux « chemins de Saint-Jacques » est
abordé par une synthèse des études infirmant cette appellation
trompeuse qui n'indique pas obligatoirement une route menant à Compostelle
mais celle conduisant à un de ces sanctuaires de proximité voués à l'apôtre.
De même, les quatre routes énoncées dans le Guide du pèlerin — qui
a été pratiquement inconnu au Moyen Age et jusqu'à sa publication
par Jeanne Vieillard en 1938 — retrouvent une plus juste réalité dans
le contexte des déplacements des hommes d'alors et de la symbolique médiévale.
Après l'étude des sites et des structures d'accueil, la seconde
partie de l'ouvrage aborde les pèlerins. Il y avait bien sûr les
pèlerins anonymes — pas aussi nombreux qu'on a bien voulu le dire —,
les prestigieux (rois, princes, prélats) et ceux idéalisés
parce que nés de l'imagination des poètes. Il est aussi question
des raisons du pèlerinage qui pouvait être par procuration — un
pèlerinage « immobile » —, post mortem ou pénitentiel.
Si la dévotion est la motivation pèlerine la plus connue aujourd'hui,
il ne faut pas négliger les raisons commerciales, politiques, diplomatiques
ou militaires, mais aussi la volonté de quitter son quotidien, de voir
du pays.
Justice est rendue à ces sanctuaires locaux que l'historiographie avait
souvent éclipsés au profit du grand et mythique Saint-Jacques.
C'est la disparition des lieux saints de proximité après la Contre-Réforme
qui a favorisé l'émergence de Compostelle comme sanctuaire unique
voué à saint Jacques, qui n'est pourtant pas une réalité médiévale.
Aussi la recherche compostellane — vieille de cinq siècles —,
essentiellement singulière et nombriliste dans une grande partie du siècle
que nous venons de quitter, devient-elle ici plurielle et équitable.
Saint-Jacques est remis à sa place médiévale au profit
d'une meilleure connaissance des croyances de l'homme médiéval.
,
Denis BRUNA
|