page établie le 19 juin, 2003
mise à jour le 20 janvier, 2006 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente Accueil
 

Brigitte de Suède, « La Sybille du Nord »

En octobre 1999, Jean-Paul II la proclame co-patronne de l’Europe en même temps que Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (autres patrons : saint Benoît en 1964 et Cyrille et Méthode en 1980).
Nous publions ci-dessous de premiers éléments d'information sur sainte Brigitte et sa place dans l'histoire de l'Europe.

Donner à l’Europe de nouvelles bases.

Le christianisme est un élément central et caractéristique qui a façonné la culture européenne et a été mêlé de façon inextricable à son histoire. La route vers l’avenir doit tenir compte de cela.
Dans les temps les plus anciens les saints ont été considérés comme des protecteurs de régions et même de continents. Trois figures emblématiques du 2e millénaire qui touche à sa fin, dont deux au cœur du Moyen Age ont été proposés par l'Eglise comme patrons de l'Europe.
Brigitte, épouse, mère et prophète, renvoie à l’extrême nord de l’Europe. Choisie pour que se sentent proches d’elle et son mari ceux qui sont appelés aux occupations ordinaires de la vie laïque dans le monde. Ils ont fondé un hôpital, soigné des pauvres. Ils ont vécu à la cour de Stockholm où elle a puisé l’expérience lui permettant de donner des conseils aux princes. Elle participe à la construction de la communauté ecclésiale. Malgré des interrogations et des controverses, le Vatican a accueilli l’authenticité globale de l’expérience intérieure de Brigitte comme témoin significatif de la place que peut tenir l’Eglise. En particulier, les terres scandinaves s’étant détachées de la pleine communion avec le siège de Rome au cours du XVIIe siècle, la figure de la sainte reste un précieux lien œcuménique, renforcé par l’engagement de son ordre en ce sens.

Brigitte de Suède et son mari, pèlerins en 1341-1342

D’après la plus ancienne de ses Vies, écrite peu après la mort de la sainte par son confesseur Pierre de Skenninge et son secrétaire Pierre d’Alvastra. Puis d’après une autre Vie écrite par Burger, évêque d’Upsal, son contemporain. Puis par sa fille Catherine, et d’après ses Révélations.
Sainte Brigitte est née en 1302 à Finstad, dans l'Upplant près d'Uppsala dans une famille très noble, très riche et très pieuse qui lui donna au baptême le nom de la sainte irlandaise Brigide (sainte Brigitte la thaumaturge, au Ve siècle). Elle a ses premières visions à 10 ans : la Vierge lui apparaît. Elle épousa, en 1320, Ulf Gudmarson, sénéchal de Néricie, dont elle eut 8 enfants. Son mari fit partie du Conseil royal, le couple suit le roi à Stockholm.
En 1339, elle part en pèlerinage de Stockholm à Trondhjem, sur le tombeau de Olaff II de Norvège, gardé par les dominicains. 35 jours de marche, très difficiles car il faut traverser des montagnes. Elle ressent la nécessité de se convertir à une vie totalement spirituelle. Ses premières visions concernent le couvent qu’elle doit fonder à Vadstena, ordre nouveau du Saint-Sauveur (règles approuvées en 1370 par Urbain V). Puis elle s’immisce dans les troubles politiques de son pays. Elle soutient la haute noblesse contre le roi Magnus, soupçonné d’absolutisme.
La vie de cour ne convient pas au couple, qui décide, en 1341, au lieu de rentrer à Upsal, de quitter la Suède et d’aller en pèlerinages jusqu’à Compostelle. Ils font vœu de chasteté. Ils sont accompagnés de laïcs et d’ecclésiastiques, de moines (dont Pierre Olafson, prieur de l’abbaye d’Alvastra, qui se distinguait par sa vertu, et qui eut l’autorisation de ses supérieurs - mais c’est contredit par le procès de canonisation - et de prêtres, de frères mendiants de divers ordres. Premier sanctuaire, à 8 milles de Stockholm, sur un cap du lac Mælar, ils vénèrent Botvid, martyr du XIe siècle. En extase, elle voit le bienheureux. Ensuite Cologne (châsse des Mages), puis Aix-la-Chapelle et, sans transition, Tarascon sur le tombeau de sainte Marthe, puis ils montent à la Sainte-Baume, gardée par des dominicains. Le prieur du couvent de Saint-Maximin les fait entrer dans son église en construction. Ils s’embarquent à Marseille et arrivent par mer sur les côtes espagnoles.
Brigitte fut introduite, dit-on sous les voûtes du sanctuaire par les chevaliers de Saint-Jacques. Elle supplia saint Jacques de protéger la chrétienté et de réveiller chez les fidèles le désir de croisade. Mme. de Flavigny délire quand elle décrit les «suédois sortis de la chapelle souterraine», ouverte seulement depuis 1885 ! Aux pieds de l’apôtre restait le cistercien Dom Svenung, confesseur de Brigitte, miné par un mal chronique. Il eut une vision au cours de laquelle il vit Brigitte couronnée de 7 diadèmes.
Une voix lui dit qu’il allait guérir :

 

«Ce frère suivait sainte Brigitte au voyage de Saint-Jacques. Il vit en esprit sainte Brigitte comme couronnée de 7 diadèmes et vit le soleil comme tout noirci. De quoi s’étonnant, il ouït une voix qui lui disait : « ce soleil obscurci signifie le prince de votre terre qui, ayant relui comme un soleil, sera méprisé par l’opprobe des hommes. Et cette femme que vous voyez aura l’épi d’une grâce de Dieu septuple, laquelle est signifiée par la couronne septuple que vous avez vue. Et ceci vous sera en signe que vous serez guéri de cette infirmité. Vous retournerez aux vôtres et serez élevé à une plus grande dignité. Etant retourné, il fut fait abbé, faisant progrès de vertu en vertu.» *

 

Brigitte visionnaire et politique

Au retour, les pèlerins traversent la France. Ulf tombe malade à Arras et manque de trépasser. Les époux décident de se séparer pour entrer en religion. Après la mort de son mari (en 1344, des suites de sa maladie), elle se retire au couvent d'Alvastra, où elle eut ses visions.
En 1345-1346 elle supplie son roi d’entreprendre une croisade contre les Russes pour les convertir. Message axé sur la colère de Dieu. Les Suédois puis les autres sont incrédules, superstitieux, immoraux. Besoin urgent de réforme. Monde corrompu et Dieu courroucé. Seuls des intermédiaires peuvent assurer le salut de l’humanité : Marie a choisi Brigitte pour la représenter. Le monde perdu par Eve sera sauvé par une femme, puisque les clercs n’en sont pas capables. Brigitte attaque très durement le clergé afin d’améliorer le fonctionnement de l’Eglise.
En 1347 ou 1348, le roi de Suède Magnus envoie un résumé des révélations, celles qui concernaient le conflit frano-anglais au roi Edouard III et au roi Philippe VI : saint Denis (apparition d’Arras, quand son mari est malade) demande à la Vierge d’intercéder pour que la guerre cesse. La Vierge répond que le roi d’Angleterre a plus de titres pour régner sur la France que Philippe VI, mais que celui-ci avait été élu et que donc il pouvait rester roi jusqu’à sa mort. Elle suggère qu’il adopte Edouard III comme son fils aîné et le reconnaisse comme son successeur.
1349, le Christ élargit sa mission en lui ordonnant d’aller à Rome et en lui promettant qu’elle verrait le pape et l’empereur revenir dans la ville Eternelle, ce qui se produisit en 1368 quand Urbain V et Charles IV entrèrent ensemble dans Saint-Pierre. Elle avait milité pendant près de 20 ans pour le retour de la papauté à Rome.
Pendant son séjour en Italie, elle fait connaissance d’un évêque espagnol devenu ermite, Alphonse Pecha, qui devient son directeur de conscience. Elle presse les papes d'Avignon, Clément VI et ses successeurs, de retourner à Rome. Elle veut y gagner le jubilé de 1350. Elle y reste. Elle visite Milan, Pavie, Assise, Ortona, Bari, Benevento, Pozzuoli, Naples, Salerne, Amalfi, le mont Gargano.
En 1371-1372 elle part à Jérusalem et elle meurt à son retour à Rome, le 23 juillet 1373. Son corps est ramené par sa fille Catherine, déposé dans son monastère à Vadsténa.
C’est Alphonse Pecha qui assure la mise en forme et la diffusion des Révélations (1392). Lors du Grand Schisme de 1378 Pecha prend parti pour le pape romain Urbain VI et utilise l’œuvre de Brigitte pour nier la légitimité des papes d’Avignon. Pecha envoie des exemplaires à l’empereur, à la reine de Naples, au roi de France, aux souverains de Chypre (Philippe de Maizières, anc. Chancelier du royaume de Chypre en a un ms, aux Célestins de Paris) et de Castille, à l’Ordre Teutonique et à l’Université de Prague. Texte de 1347 sur le conflit franco-anglais fut remanié par Pecha : il invite à un mariage (de Richard III avec la fille de Charles V, négociations ont eu lieu). Le roi d’Angleterre « a la justice pour lui ».


Sainte Brigitte de Suède

Elle fut canonisée par Boniface IX le 7 octobre 1391. Très vives controverses aux conciles de Bâle et de Constance, en particulier de Jean Gerson. Mais sainteté confirmée 2 fois au XVe siècle (1415 par Jean XXIII et Martin V le 1er juillet 1419). Hostilité des grands docteurs de l’Université de Paris. Pierre d’Ailly, Jean Gerson, la faculté de théologie de Paris s’opposent. 1415, Gerson, à la fin du concile de Constance déplore que la papauté canonise sans l’avis des conciles. Ne s’agit-il pas de visions fausses, illusoires ou frivoles qui entraîneraient les fidèles dans l’erreur. Dangereux aussi de les rejeter alors que dans d’autres pays on en dit du bien : scandale chez les chrétiens et ébranlement de la foi populaire. Grégoire XI, dit Gerson, se serait amèrement repenti d’avoir suivi les avis des visionnaires qui lui avaient conseillé de quitter Avignon pour Rome, allusion claire à Brigitte. Au concile de Bâle, le théologien allemand Mathias Döring tire 123 propositions hérétiques ou suspectes qu’il tente de faire condamner. Mais la méfiance du concile vient de ce qu’elle apparaît comme une adepte de la conception monarchique de la papauté romaine qu’elle a exaltée.

Fin du Grand Schisme en 1415, l’Eglise de France est gallicane, conciliariste et antiromaine. D’où, dès la première moitié du XVe siècle, une large diffusion dans les pays relevant de l’obédience romaine : Italie, pays scandinaves, Angleterre, Allemagne (incunable en 1492 puis en 1500) et même traduction en tchèque. Luther la traite de folle mais la Contre-Réforme la remet à l’honneur (reédition à Rome en 1628) Quantité d’autres prophéties lui sont attribuées : apologie de la pauvreté, critique de la papauté d’Avignon, exaltation du rôle de telle ou telle dynastie. La France fermée d’une manière générale à la lecture des textes mystiques, ce type de littérature connaissant un grand essor en Italie, Allemagne, Pays-Bas. Ils n’intéressent que dans un contexte politique, et non religieux.


Des leçons et un modèle pour aujourd'hui ?

Les phénomènes surnaturels constituent une forme de pouvoir qui ne peut pas laisser indifférents les pouvoirs civils ou ecclésiastiques. Le Moyen Age n’a pas été crédule, mais au contraire a témoigné d’un esprit critique pouvant aller jusqu’à l’indifférence vis-à-vis des phénomènes surnaturels. Visionnaires et prophètes à la sensibilité vibrante qui fait d’eux des témoins particulièrement intéressants des espoirs et des peurs de leur temps. Prophétie authentique ou falsifiée, peu importe. Besoin de se rassurer sur les malheurs du temps et aux changements dont la signification échappe. Désir de prévoir l’avenir pour le maîtriser et, si possible pour l’orienter. Les puissants de ce monde ont cherché à apprivoiser les prophètes et les visionnaires et à mettre leurs révélations au service de leurs intérêts.

Saint Jean l’Evangéliste, auteur de l’Apocalypse est un voyant et un prophète. A partir du XIIe siècle se développe un courant prophétique en dehors de l’Eglise. 1147, le pape approuve les visions d’Hildegarde de Bingen. Mi XIVe, dév. considérable : malheurs des temps. Place des femmes que Dieu charge de délivrer aux hommes des révélations sur le présent et l’avenir.

 

Attributs : plume, encrier et livre
 
* Citation :

Revelationes S. Birgittæ, éd. J. Keerbergium, Anvers, 1611, Livre VI, chap. 36
Révélations célestes de Ste. Brigitte, Paris, trad. Jacques Ferraige, Paris, 1624,
VI, XXXVI p. 638, éd. 1850, t.III, p.303.


Bibliographie :
Flavigny (ctesse de), Sainte Brigitte, Paris, 1892
Vauchez, André, Saints, prophètes et visionnaires, le pouvoir surnaturel au Moyen Age, Paris, Albin Michel, 1999
Jean-Paul II, Lettre apostolique, 1er octobre 1999, Paris, Pierre Téqui, 1999

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