Sur les routes d’Espagne et du Portugal
avec les jeunes de Jussac et Vic-sur-Cère
Il y a une quinzaine de jours, vous nous avez laissés, chers lecteurs,
quelque part entre San Sébastien et Bilbao. Depuis ce moment-là et
jusqu’à notre triomphal tour de Square hier à Aurillac
et ces dernières ovations si méritées à l’adresse
de nos deux « gonies » de l’Aviation : Louis, l’énergique
directeur-intendant et François, le chauffeur émérite
de l’expédition, que d’événements se sont
déroulés ! Le chroniqueur voudrait vous raconter les épisodes
les plus pittoresques du voyage et vous faire part des impressions les plus
marquantes (blanc) de leur côté photographes et cinéastes
amateurs font l’inventaire d’une ample moisson d’images.
La fameuse tempête quasi-générale en Europe et dont il
a été tant parlé nous surprit sur la côte Cantabrique.
Grand vent du large et pluie océanique : adieu pour un temps les espoirs
de baignade, adieu les nuits sous la tente et le ciel étoilé rempli
du mystère du « camino francese » de Santiago ! Sans l’habileté de
nos cuisiniers et du chef de popote Jean-Marie, (spécialiste des « virages » nocturnes
de tentes) nous aurions même dû renoncer à préparer
nos repas sur les réchauds à gaz et hanter les auberges espagnoles à relents
d’huile d’olive brûlée et de poisson frit. Mais la
tempête nous permit de découvrir que la proverbiale hospitalité espagnole
n’est pas un vain mot. Nous ne serons jamais assez reconnaissants à l’égard
de tous ces prêtres, religieux et bonnes gens qui nous hébergèrent
si largement et de façon si désintéressée. Nous
ne sommes pas prêts d’oublier en particulier l’accueil reçu
au Grand Séminaire de Mondonedo. Sans doute tout avait goût de
poisson de mer, depuis la soupe du soir jusqu’au café au lait
du lendemain, mais la façon de donner vaut tellement mieux que ce que
l’on donne !
A travers les Asturies
Santiago de Compostela ! Durant l’interminable route à travers
les Asturies et la Galice, nous avions évoqué le souvenir de
ces pèlerins d’autrefois au bourdon et à la coquille symbolique.
En ces siècles de grande foi, de même que d’autres avaient
choisi la voie pénitente de Rome ou de Jérusalem, eux étaient
venus déposer le fardeau de leurs péchés aux pieds de
Jacques le Majeur et avaient « baisé dévotement le col » de
sa statue géante, toute d’or et d’argent. Nous avions évoqué le
souvenir des Grandes Compagnies d’Auvergnats chantées par notre
félibrige Vermenouze, « l’Espagnol » madrilain. Mais
que reste-t-il aujourd’hui de ce fastueux pèlerinage ? L’encensoir
géant d’argent massif ne se balance plus le long du transept et
ne parfume plus la vaste nef romane : il a disparu lors des guerres napoléoniennes.
Hélas ! l’hostellerie des pèlerins pauvres et malades est
devenue… un somptueux parador pour clientèle riche. Compostelle
est actuellement un centre de tourisme au même titre que Le Puy, Conques
et Roc-Amadour, ces étapes célèbres sur la route de Santiago.
Du moins le visiteur a-t-il encore le loisir de rêver dans ces ruelles
aux impressionnants dallages et devant cette incomparable cathédrale
de style oriental qui semble l’œuvre d’un enchanteur de conte
des mille et une nuits et non le fruit de la Foi médiévale.
Pays de paradoxes
L’impression générale de ce voyage en Espagne ? Tout se
résume en une série de paradoxes. Pourquoi une capitale ultra-moderne,
très américaine d’allure, a-t-elle surgi au milieu d’un
semi-désert ? Pourquoi sur les grandes routes, voit-on de petits ânes
côtoyer des automobiles dernier chic, tandis que les cantonniers portent
les cailloux des chaussées en réfection dans d’étranges
paniers ronds. Pourquoi avons-nous vu, dans le port de La Corogne, à côté des
grands transatlantiques, un chantier archaïque de scieurs de long au travail,
hommes et femmes ? Pourquoi les tracteurs voisinent-ils avec ces curieux traîneaux
attelés de bœufs ou de mulets, battant le blé sur l’aire
? Pourquoi un tel luxe côtoyant une misère si sordide (ces troupes
faméliques investissant parfois notre campement) ? Pourquoi ces mêmes
espagnols si doux et si hospitaliers éprouvent-ils tant de plaisir sadique à voir
sauvagement égorger un taureau ? Pourquoi les intellectuels des grandes
villes nous parlaient-ils avec tant d’insistance de « Napoléon
le voleur » (sic) et nous rappelaient-ils sournoisement le vieux proverbe
: « un espagnol ne pardonne jamais » ? Et pourquoi, l’instant
d’après évoquaient-ils avec tant d’émotion
leur séjour en France, pourquoi s’intéressaient-ils si
visiblement à « l’expérience de Gaulle) ? Et pourquoi
les Conchita et les Dolorès répondaient-elles avec tant de grâce
aux ovations de nos jeunes gars, et pourquoi, accompagnées de leurs
mères, venaient-elles parfois le soir danser et chanter pour égayer
nos soupers ?
Mais n’est-ce pas Pascal, le génial auvergnat, qui a écrit
: « Vérité au deça des Pyrénées, erreur
au-delà ? ».
J.A.
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