page établie le 15/04/2004
Accueil mise à jour le 9 septembre, 2005 Connaître saint Jacques. Comprendre Compostelle. survol du site Page précédente

En 1958, le retour triomphal de jeunes cantaliens
revenant de Compostelle et autres lieux

Vincent Flauraud, vice-président de l'Association pour le Développement de l’Histoire et de la Recherche en Auvergne (ADHRA), a retrouvé dans les notes prises en vue de sa thèse de doctorat d'histoire consacrée à la Jeunesse Agricole Catholique, un article de la Voix du Cantal du 13 septembre 1958.
En voici des extraits, en attendant de retrouver la première partie du récit (ce qu’un dépouillement attentif des numéros précédents n’a pas permis). Un groupe de jeunes gens de Jussac et Vic-sur-Cère vient de rentrer de Santiago et Fatima. Ce voyage a revêtu pour eux une telle importance qu'avant de regagner leurs foyers, ils éprouvent le besoin d'exécuter un « triomphal tour de Square » à Aurillac, la place centrale du chef-lieu du département, avant d'en livrer le récit détaillé aux lecteurs de la presse catholique diocésaine.
Le curé de Vic-sur-Cère était alors l’abbé Joubert. Encadrait-t-il le voyage ? Toujours est-il que cet érudit local passionné d’histoire n’a vraisemblablement pas manqué de conter au groupe de jeunes sur le départ la geste mythifiée des pèlerins d’antan. Cela pourrait expliquer les références précises de l’article au passé du pèlerinage (au prix d’une certaine déception devant son caractère « mort »), et l’allusion aux liens historiques privilégiés entre l’Auvergne et l’Espagne.
Il est possible, sans que cela soit assuré, que ces jeunes voyageurs aient été des jacistes : des groupes existaient dans les deux paroisses de départ, et la JAC dès la fin des années 1940 s’est mise à jouer un rôle capital dans l’ouverture des jeunes ruraux au monde extérieur et aux pratiques touristiques, par l’intermédiaire de voyages organisés, usant souvent du prétexte d’un pèlerinage inséré dans le circuit. Les parcours des jacistes du Massif central méridional, limités à la France du Sud jusqu’au milieu des années 1950, ont gagné ensuite le Nord ou l’étranger, et le présent récit s’inscrirait tout à fait dans cette tendance.

Sur les routes d’Espagne et du Portugal
avec les jeunes de Jussac et Vic-sur-Cère

Il y a une quinzaine de jours, vous nous avez laissés, chers lecteurs, quelque part entre San Sébastien et Bilbao. Depuis ce moment-là et jusqu’à notre triomphal tour de Square hier à Aurillac et ces dernières ovations si méritées à l’adresse de nos deux « gonies » de l’Aviation : Louis, l’énergique directeur-intendant et François, le chauffeur émérite de l’expédition, que d’événements se sont déroulés ! Le chroniqueur voudrait vous raconter les épisodes les plus pittoresques du voyage et vous faire part des impressions les plus marquantes (blanc) de leur côté photographes et cinéastes amateurs font l’inventaire d’une ample moisson d’images.
La fameuse tempête quasi-générale en Europe et dont il a été tant parlé nous surprit sur la côte Cantabrique. Grand vent du large et pluie océanique : adieu pour un temps les espoirs de baignade, adieu les nuits sous la tente et le ciel étoilé rempli du mystère du « camino francese » de Santiago ! Sans l’habileté de nos cuisiniers et du chef de popote Jean-Marie, (spécialiste des « virages » nocturnes de tentes) nous aurions même dû renoncer à préparer nos repas sur les réchauds à gaz et hanter les auberges espagnoles à relents d’huile d’olive brûlée et de poisson frit. Mais la tempête nous permit de découvrir que la proverbiale hospitalité espagnole n’est pas un vain mot. Nous ne serons jamais assez reconnaissants à l’égard de tous ces prêtres, religieux et bonnes gens qui nous hébergèrent si largement et de façon si désintéressée. Nous ne sommes pas prêts d’oublier en particulier l’accueil reçu au Grand Séminaire de Mondonedo. Sans doute tout avait goût de poisson de mer, depuis la soupe du soir jusqu’au café au lait du lendemain, mais la façon de donner vaut tellement mieux que ce que l’on donne !

A travers les Asturies

Santiago de Compostela ! Durant l’interminable route à travers les Asturies et la Galice, nous avions évoqué le souvenir de ces pèlerins d’autrefois au bourdon et à la coquille symbolique. En ces siècles de grande foi, de même que d’autres avaient choisi la voie pénitente de Rome ou de Jérusalem, eux étaient venus déposer le fardeau de leurs péchés aux pieds de Jacques le Majeur et avaient « baisé dévotement le col » de sa statue géante, toute d’or et d’argent. Nous avions évoqué le souvenir des Grandes Compagnies d’Auvergnats chantées par notre félibrige Vermenouze, « l’Espagnol » madrilain. Mais que reste-t-il aujourd’hui de ce fastueux pèlerinage ? L’encensoir géant d’argent massif ne se balance plus le long du transept et ne parfume plus la vaste nef romane : il a disparu lors des guerres napoléoniennes. Hélas ! l’hostellerie des pèlerins pauvres et malades est devenue… un somptueux parador pour clientèle riche. Compostelle est actuellement un centre de tourisme au même titre que Le Puy, Conques et Roc-Amadour, ces étapes célèbres sur la route de Santiago. Du moins le visiteur a-t-il encore le loisir de rêver dans ces ruelles aux impressionnants dallages et devant cette incomparable cathédrale de style oriental qui semble l’œuvre d’un enchanteur de conte des mille et une nuits et non le fruit de la Foi médiévale.

Pays de paradoxes

L’impression générale de ce voyage en Espagne ? Tout se résume en une série de paradoxes. Pourquoi une capitale ultra-moderne, très américaine d’allure, a-t-elle surgi au milieu d’un semi-désert ? Pourquoi sur les grandes routes, voit-on de petits ânes côtoyer des automobiles dernier chic, tandis que les cantonniers portent les cailloux des chaussées en réfection dans d’étranges paniers ronds. Pourquoi avons-nous vu, dans le port de La Corogne, à côté des grands transatlantiques, un chantier archaïque de scieurs de long au travail, hommes et femmes ? Pourquoi les tracteurs voisinent-ils avec ces curieux traîneaux attelés de bœufs ou de mulets, battant le blé sur l’aire ? Pourquoi un tel luxe côtoyant une misère si sordide (ces troupes faméliques investissant parfois notre campement) ? Pourquoi ces mêmes espagnols si doux et si hospitaliers éprouvent-ils tant de plaisir sadique à voir sauvagement égorger un taureau ? Pourquoi les intellectuels des grandes villes nous parlaient-ils avec tant d’insistance de « Napoléon le voleur » (sic) et nous rappelaient-ils sournoisement le vieux proverbe : « un espagnol ne pardonne jamais » ? Et pourquoi, l’instant d’après évoquaient-ils avec tant d’émotion leur séjour en France, pourquoi s’intéressaient-ils si visiblement à « l’expérience de Gaulle) ? Et pourquoi les Conchita et les Dolorès répondaient-elles avec tant de grâce aux ovations de nos jeunes gars, et pourquoi, accompagnées de leurs mères, venaient-elles parfois le soir danser et chanter pour égayer nos soupers ?
Mais n’est-ce pas Pascal, le génial auvergnat, qui a écrit : « Vérité au deça des Pyrénées, erreur au-delà ? ».

J.A.

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