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Vézelay, pèlerinage à Sainte-Marie-Madeleine

Dans le monde des pèlerins de Compostelle, Vézelay est connue comme le "point de départ" d'un des quatre chemins dits historiques. Mais ces notions de point de départ et chemin historique sont récentes. Au XIIe siècle, Vézelay a une histoire liée à celle de Compostelle par l'intermédiaire de Cluny. Ce n'est pas pour autant que des foules de pèlerins s'y sont rassemblées pour rejoindre la Galice. Par contre elle a été choisie en 1977 par deux journalistes Pierre Barret et Jean-Noël Gurgand qui ont fortement contribué à la naissance du pèlerinage contemporain. Elle n'a pas su profiter du succès de leur ouvrage "Priez pour nous à Compostelle"

Vézelay

Au début du XIIe siècle la chanson de geste Girart de Roussillon rapporte que l’abbaye Saint-Pierre et Saint-Paul de Vézelay a été fondé au IXe siècle par le héros mythique Girart, comte de Bourgogne. Au siècle suivant, ce monastère accueille les reliques de sainte Marie-Madeleine. Elles furent apportées par des personnages dont le nom varie selon les chroniques : Girart lui-même ou un moine nommé Badilon qui les aurait volées en revenant de Jérusalem, ou encore des moines provençaux pour les soustraire aux invasions sarrasines. Jusque là, les reliques de la sainte, arrivée avec ses compagnes, après la mort du Christ aux Saintes-Maries-de-la-Mer, étaient conservées sur les lieux de sa mort, dans une grotte au flanc de la falaise de la Sainte-Baume. Là, pendant trente-deux ans, elle avait été exclusivement nourrie d'un nectar divin distribué, sept fois par jour, par des anges qui l'enlevaient au-dessus de son précipice pour la déposer au haut de la montagne.

En 1050, le pape Léon IX proclame la sainte comme patronne de l'abbaye de Vézelay, preuve que son corps y repose, ce que confirme le pape Etienne IX, en 1058. Les pèlerins affluent. Après un incendie de l'église, en 1120, un nouvel édifice est construit, longue nef et majestueux narthex que l'on connaît aujourd'hui. Le pape Calixte II confirme alors les privilèges conférés à l’abbaye par le pape Pascal II.

Sans doute par reconnaissance, Vézelay porte alors un intérêt au culte de saint Jacques à Compostelle et, parallèlement, le nom de Vézelay apparaît assez fréquemment dans les textes compostellans relatifs à saint Jacques.

- Dans le dernier livre du Codex Calixtinus (le Guide du pèlerin), l’abbaye de Vézelay est désignée comme un point de passage du chemin vers Saint-Jacques de Compostelle qui continue ensuite par Saint-Léonard de Noblat et Périgueux[1]. On la retrouve dans cette même fonction dans la version primitive et dans la version remaniée du Pèlerinage à Saint-Jacques.[2]Cette dernière comporte en outre, dans la présentation détaillée du sanctuaire, un bref résumé de la légende de Marie-Madeleine[3].

Toujours dans le Codex Calixtinus, dans le sermon Vigiliae noctis sacratissimae (Livre I, ch. II)[4]les chemins de Vézelay figurent en tête d'une énumération qui se poursuit avec « les chemins de Saint-Jacques, Saint-Gilles et Rome », tandis qu'une séquence analogue reprenddans le sermon Veneranda dies (Livre I, ch. XVII)[5] : « les chemins deVézelay, Saint-Jacques, Saint-Gilles et Jérusalem ». Ce rapprochement avec des noms prestigieux montre en quelle estime était tenu, à Compostelle, le sanctuaire de Vézelay.

D’autre part, dans le Livre I, l’auteur du Codex, le pseudo-Calixte, semble avoir repris à son compte et amplifié les chants liturgiques et les offices en usage à l’église Saint-Jacques d’Asquins desservie parVézelay (voir plus bas)[6].

D’une manière générale, bien que ce ne soit nulle part énoncé explicitement, les relations entre Vézelay et Compostelle ont très vraisemblablement joué un rôle déterminant dans la rédaction des miracles de saint Jacques, puisque le prêtre de Parthenay, Aimeric Picaud, qui semble les avoir rédigés appartenait à un prieuré Sainte-Madeleine de Vézelay[7]. C’est peut-être à l’occasion du passage à Compostelle en 1139 d'Albéric d'Ostie, ancien abbé de Vézelay, que fut ajouté à la collection des vingt-deux miracles de saint Jacques un vingt-troisième, censé avoir ce prélat pour auteur et qui rapporte une histoire imitée de la Bible mais prétendue arrivée à Vézelay[8].

« Du pèlerin réduit à la pauvreté auquel le bienheureux Apôtre vint en aide.
« En l’an 1139 de l’Incarnation du Seigneur, sous le règne de Louis, roi des Français, et sous le pontificat du pape Innocent, un homme nommé Brun, du prieuré de Vézelay consacré à sainte Marie-Madeleine, se trouva manquer de ressources au retour de Saint-Jacques. N’ayant pas une seule pièce de monnaie pour acheter du pain, et se trouvant un jour encore à jeun à la neuvième heure, honteux de mendier et très inquiet, il s’assit sous un arbre, implorant de tout son cœur l’aide du bienheureux Jacques. Là, il s’endormit un bref moment et rêva que le bienheureux Jacques, l’Apôtre de Dieu, lui donnait de quoi manger. Lorsqu’il s’éveilla, il trouva près de sa tête un pain, dont il se nourrit pendant quinze jours, jusqu’à ce qu’il revînt chez lui. Chaque jour, il en mangeait deux fois suffisamment, et le lendemain, il retrouvait le pain entier dans sa besace. Ô admirable renouvellement de ce qui advint au prophète Élie. Mais parce que le Seigneur l’a fait, cela ne doit pas nous étonner. »
>A cette date, l’abbé de Vézelay est Albéric, ancien sous-prieur de Cluny puis évêque d’Ostie. En 1139, depuis Cantorbéry, il se rend à Rome par mer. Il est possible qu’il ait fait escale à la Corogne et se soit rendu à Compostelle.

La paroisse Saint-Jacques d’Asquins

Pour l'accueil des pèlerins de Vézelay une « église des pèlerins » est fondée par les moines de l’abbaye en 1138 à Asquins, au pied de la colline. Peut-être pour continuer à honorer la dette de reconnaissance de Vézelay envers Compostelle, cette église est mise sous le vocable de saint Jacques. L’abbaye de Vézelay était d’autant plus intéressée par tout ce qui pouvait en rehausser les célébrations, que la fête de saint Jacques du 25 juillet s’inscrivait à la suite de la fête de la Madeleine célébrée à Vézelay le 22 juillet. En fêtant le lendemain de la Madeleine puis, le 24 juillet, la vigile de saint Jacques, l’abbaye de Vézelay avait ainsi la possibilité de constituer un espace de spiritualité qui se prolongeait par l’octave de saint Jacques. Ces célébrations étaient donc susceptibles de drainer les foules pieuses qui ne manqueraient pas de visiter la foire locale qui se déroulait en même temps !

Il est ainsi fort possible de penser que les chapitres liturgiques repris par Compostelle aient été l’antiphonaire et le Missel de Saint-Jacques d’Asquins, composés par les moines de Vézelay. Vers 1150, une « once du pouce de saint Jacques » (unam quoque unciam pollicis beati jacobi fratris domini) fut découverte à Vézelay[9]. C’est encore Hugues le Poitevin qui signale cette découverte : après l’incendie au-dessus de la crypte, on a envoyé à la réparation une image (ou un tableau). Quand on l’a décrochée, on a entendu un bruit de cavité. Dedans, une cassette pleine de reliques dont celle de saint Jacques. Il est vraisemblable que cette relique fut alors transférée à Asquins. Est-ce celle dont on garde le buste reliquaire vide, daté du XVIe siècle ? Théoriquement, un buste contient tout ou partie du chef du saint, mais au fil des siècle, les identifications évoluent…

L’auteur du Guide du pèlerin, un moine de Vézelay ?

La mise en relation d'Aimeric Picaud avec Asquins repose sans doute sur une lecture fautive de l'authentification apocryphe du Livre des Miracles de saint Jacques par le pape Innocent II[10]. Mais, dès lors que l’on recherche à Vézelay un Poitevin connaissant l’histoire récente de son abbaye et susceptible de rédiger l’itinéraire, le regard ne peut que se tourner vers Hugues le Poitevin. Grand chroniqueur de Vézelay au xiie siècle, il a déclaré dans l’une de ses œuvre[11]qu’après les troubles considérables induits par le soulèvement communal de Vézelay (largement aidé par l’abbaye de Corbigny, très critiquée dans le Guide), l’abbaye a connu sous l’abbé Ponce de Montboissier, frère de Pierre le Vénérable, cinq ans de calme après 1155. Cinq années pendant lesquelles le chroniqueur a pu remanier l’itinéraire de pèlerinage, peut-être sur les indications de quelque moine qui aurait accompagné le comte de Nevers dans son pèlerinage à Compostelle en 1150.

En 1265, sous la pression d'événements extérieurs, les moines de Vézelay veulent prouver qu'ils détiennent les reliques de sainte Madeleine. En présence de hautes dignitaires ecclésiastiques, ils creusent sous le maître-autel et exhument un coffre de cuivre contenant des restes humains entourés de soie. Est-ce bien elle ? Oui, car ces restes sont accompagnés d'une abondante chevelure féminine (les cheveux dont Marie-Madeleine a essuyé les pieds du Christ) et d'un certificat d'authenticité signé de Charles le Chauve, évidemment aussi faux que la chevelure. A Pâques suivantes, date symbolique où Marie-Madeleine vit le Christ ressuscité, une translation solennelle eut lieu suivie d'une concession d'indulgences faite par le pape Clément IV aux pèlerins visitant Vézelay « où repose son corps ».

Cette notoriété nouvelle dura peu. En 1279, le comte de Provence, Charles d'Anjou, sans doute jaloux, ordonne des fouilles à Saint-Maximin. Ce qu'on retrouve est encore plus convaincant que la chevelure, bien qu'en contradiction avec les Evangiles : dans un sarcophage, une grosse tête entièrement entourée de chairs putréfiées sauf à l'endroit touché par le Christ lorsqu'il apparut à Marie-Madeleine, le matin de Pâques, où un peu de peau intacte et des cheveux adhèrent encore aux os. Immédiatement, le pape Boniface VIII revient sur la décision de son prédécesseur et procède à une reconnaissance officielle. Cette conviction papale sonna le glas de Vézelay qui ne garda que la perfection de son église et quelques pèlerins du voisinage. Les bâtiments de l'abbaye furent rasés à la Révolution mais l'église, pourtant très endommagée, fut sauvée par Mérimée qui en confia la restauration à Viollet-le-Duc, de 1840 à 1859[12].

 Cet article reprend des travaux de Bernard Gicquel développés dans La légende de Compostelle


[1]B. Gicquel, La Légende de Compostelle / Le Livre de saint Jacques, Paris, Tallandier, 2003, p. 96.

[2]Ibid. p. 597.

[3]Ibid. p. 613-614.

[4]Ibid. p. 245.

[5]Ibid. p. 371.

[6]Ibid. pp. 176, 179, 180, 183 passim.

[7]Ibid. p. 113.

[8]Ibid .p. 121.

[9]Hugues le Poitevin, Monumenta Vizeliacensia, éd. R.B.C. Huygens, Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis, XLII

[10]Ibid. Bernard Gicquel p. 732.

[11]Au début de son quatrième livre.

[12]Chocheyras, Jacques, Les Saintes de la mer, Orléans, Paradigme, 1998

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