Le prix de la foi
Commentaire de la Fondation sur un documentaire diffusé par
ARTE le 6 janvier 2006
A – Présentation du film sur le site Internet d’ARTE
Le texte suivant a été copié sur le site d’ARTE
:
« Des chercheurs font revivre le pèlerinage médiéval à Saint-Jacques à travers
les lettres d’un marchand parti en 1271 du sud de l’Allemagne.
Documentaire de Camilo Villaverde et Miguel Lopez (Espagne/Allemagne, 2005,
45 mn)
Durant l’hiver 1271, Friedrich Daum, un marchand qui rêve de trouver
de nouveaux débouchés pour ses affaires, se met en route pour
Saint-Jacques de Compostelle depuis Ratisbonne, dans le sud de l’Allemagne.
Chemin faisant, il écrit régulièrement à son épouse.
Cette passionnante correspondance, où les fantasmes mercantiles du sieur
Daum croisent des bandits de grand chemin, des cabaretiers obsédés
par l’appât du gain et de facétieux baliseurs de sentiers,
a été conservée dans un monastère bénédictin
de Bavière. Des spécialistes expliquent en parallèle comment
ces périples entrepris pour l’amour de Dieu et de ses saints ont
largement contribué aux échanges commerciaux et culturels de l’époque,
en semant les germes de l’Europe moderne. »
B – L’intervention de la Fondation David Parou Saint-Jacques
Après avoir vu ce documentaire le 6 janvier 2006, la Fondation
a immédiatement
demandé à ARTE les références du document qui lui
avait servi de base. En effet les récits de pèlerinage de cette époque
sont très rares et ce document pouvait être d’un intérêt
exceptionnel pour la recherche sur le pèlerinage. Le fait qu’il
n’ait été connu d’aucun des spécialistes allemands
de Compostelle laissait cependant planer des doutes sur son authenticité.
Un premier contact a été pris avec Monsieur A.C., désigné par
ARTE, le 26 janvier, comme le responsable du film dans la société productrice,
SAGRERA TV. Il a répondu le 22 mars 2006 aux questions posées
par la Fondation.
Quelle a été l’origine du film « Le prix de la
Foi » ?
L’envie de notre société de production de réaliser
un film sur le pèlerinage moderne à travers le Camino de Santiago
qui est un lieu de la mémoire européenne et une icône de
notre identité collective.
Quels organismes directement concernés par le chemin de Saint Jacques
(Comité d’experts du Camino, archevêché de Compostelle,
gestion du Camino de la Xunta de Galicia, associations d’amis du Camino,
etc) auraient vu le film et savez-vous comment il a été accueilli
?
Il y a eu un premier moment de méfiance, habituel dans ces cas parce
qu’on profite souvent d’un film documentaire pour dégrader
la culture religieuse du passé, rendre futile le pèlerinage ou
banaliser certaines pratiques blessant ainsi des sensibilités. Notre
film a soigné tous ces détails offrant en même temps un
cadre sans les anachronismes qui sont malheureusement présents dans
beaucoup de productions pour la télévision.
Le fil conducteur du film "Le prix de la foi" est un manuscrit
du XIIIe siècle du commerçant allemand Friederich Baum, comment
s'est-on assuré de l'authenticité de ce document ?
Le scénario est un produit littéraire basé sur une solide
et contradictoire investigation utilisant des sources originales telles que
les récits de pèlerins de la fin du XIII siècle, où l'action
se situe, et d'autres documents de la même époque qui ont permis
de reconstruire avec rigueur le coût du voyage d'un pèlerin de
position sociale élevée, un banquier allemand, dont la famille était
bien informée. Nous avons en notre possession tout ce matériel
et il constitue la base sur laquelle le scénario a été élaboré d'une
manière libre et adaptée aux besoins du média. Il s'agit
d'une opération tout à fait légitime utilisée déjà pour
des romans comme le "Baudolino" de Umberto Eco ou "L'aventure
d'un pauvre croisé" du réputé médiéviste
Franco Cardini. Le but était d'élaborer une histoire, basée
sur des sources originales et des données réelles et dignes de
confiance, dans la ligne historico-narrative de notre expert et scénariste
qui est l'un des représentants internationaux des plus connus .
Où se conserve le document et sous quelle référence a-t-il été enregistré ?
Comme indiqué plus haut ce matériel se trouve en notre possession
comme résultat d'une longue investigation. Le manuscrit est une élaboration "créative" [guillemets
originaux] des scénaristes constituée grâce à divers
journaux de voyage et de nombreux documents d'archives pour ce qui concerne
les détails. Tout ce matériel se trouve dans les archives de
l'expert et scénariste de l'œuvre.
ZDF ARTE figure comme éditeur dans la fiche technique du film, quel
a été son rôle dans la production ?
ZDF ARTE a été coproductrice de l’idée originalement
conçue pour une soirée thématique. Notre documentaire
a été commandé par M. Olaf Grunert qui a été la
personne chargée, en tant que coproducteur, d’ajuster la ligne éditoriale
du documentaire au cadre où il serait présenté.
A part ARTE quelles autres chaînes de télévision ont acheté le
film ?
Le documentaire a été diffusé par ARTE et par la chaîne « Viajar » de
SOGECABLE. Actuellement nous commercialisons le film auprès de la télévision
de Galicia et des chaînes FORTA en Espagne qui pourraient être
intéressées. Nous préparons aussi une sortie en DVD.
SAGRERA a produit plusieurs documentaires historiques, en général,
comment votre société s'assure-t-elle de la véracité historique
des films qu'elle produit ?
Les programmes et les documentaires que SAGRERA produit sont historiquement,
scientifiquement et techniquement cautionnés par toute une série
de personnes de prestige reconnu : des professeurs, des historiens, etc. Dans
le cas du documentaire qui nous occupe il a été cautionné par
José Enrique Ruiz Domenech [qui est aussi scénariste du film]
professeur d’histoire médiévale dans l’université autonome
de Barcelone.
C – Informations fournies par la société réalisatrice
et commentaires de la Fondation
A la suite d’une intervention d'un responsable du GEIE
ARTE à Strasbourg,
la Fondation a reçu de Monsieur J-C H, DIRECTOR GENERAL
de SAGRERA TV un document en espagnol dont elle présente ci-dessous
une traduction avec ses commentaires.
PELERINAGE A SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE. Comment le scénario a été conçu et comment le
documentaire a été réalisé.
La place qu’occupent les récits historiques, entre les intérêts
des historiens et ceux du public, ne cesse de croître grâce surtout à des
transpositions réalisées pour le cinéma ou pour la télévision.
La description des événements du passé à travers
un personnage, possède une richesse et une charge de nouveauté qu’on
ne finira jamais d’explorer.
Notre documentaire respecte ces principes que le scénariste et responsable
scientifique [1] avaient déjà expérimentés dans
plusieurs livres.
Il est bien confirmé qu’il s’agit d’un documentaire
(selon le Petit Robert : film didactique présentant des documents authentiques,
non élaborés pour l’occasion, opposé à fiction).
Le premier alinéa n’énonce pas des principes mais au mieux
des constatations non étayées. Le responsable scientifique n’avait
sans doute écrit que des romans.
D’une certaine manière il s’agissait aussi de rendre hommage à un
des pères spirituels de l’Europe dans la mesure où on se
proposait de montrer avec le documentaire l’institution qui représente
le mieux l’aspiration européenne d’un monde en paix, en
harmonie, ouvert à l’initiative privée et fondé sur
la valeur morale du travail : le Camino de Santiago. Ce père spirituel
est Diderot qui, dans Jacques, le fataliste, imagina un voyage comme moyen
d’initiation à l’esprit européen.
le Camino de Santiago peut-il être qualifié d’institution
?
fondé sur la valeur morale du travail : en quoi le Camino est-il fondé sur
cette valeur ?
L’hommage à Diderot n’est pas repris par ARTE dans sa présentation.
Nous commencerons par dire que l’objectif étant l’identification
du spectateur avec l’histoire racontée, nous avons décidé de
mettre au premier plan la confrontation entre le protagoniste, qui raconte
son histoire, et le spectateur, qui ne demande qu’à la suivre.
Cela signifie-t-il que le spectateur est considéré comme un être
passif ? Cette affirmation rappelle des propos tenus par le président
de TF1 pour lequel il s’agissait de rendre des cerveaux réceptifs à la
publicité. Est-ce la vocation de la série phare Théma
d’ARTE ?
La curiosité, l’arbitraire, les déceptions, les protestations,
sont les éléments d’un échange entre le personnage
et le spectateur et constituent le cadre dans lequel on bâtira l’effet
communicatif de la chronique. Notre objectif principal était de s’impliquer
dans l’histoire et s’interdire tout anachronisme.
L’arbitraire est-il la fidélité au document que l’on
prétend représenter ?
Avec ces points de départ nous devions choisir : 1.- L’époque
du voyage, le lieu du départ, le nom et la profession du voyageur. 2.-Le
récit du voyage. 3.-Les détails empiriques bien documentés
sur le coût d’un tel voyage ce qui permettait de justifier le titre «Le
prix de la foi » [2].
1.- L’EPOQUE DU VOYAGE, LE LIEU DU DEPART, LE NOM ET LA PROFESSION
DU VOYAGEUR
EPOQUE DU VOYAGE
Devant les nombreuses possibilités offertes par un phénomène
qui se déroule pendant plusieurs siècles (on a des témoignages
de pèlerins vers Compostelle de la fin du XIe ( lesquels
?) au XVIIe
siècles) nous avons décidé de choisir la deuxième
moitié du XIIIe et plus précisément, pour divers motifs,
son dernier tiers. Premièrement, les grands travaux du gothique dans
la péninsule ibérique, réalisés avec la participation
d’architectes, de sculpteurs et de maçons venus, pour beaucoup
d’entre eux, de France et d’Allemagne, étaient pratiquement
terminés. Deuxièmement, le risques d’anachronismes étaient
limités parce qu’on pouvait parfaitement filmer les monuments
des périodes antérieures. Troisièmement, nous étions
conscients que le spectateur associe pèlerinage et Moyen Age et que
le choix d’une autre époque aurait demandé une explication
trop longue pour la durée du programme (OK). Quatrièmement, le
choix du troisième tiers du XIII siècle nous permettait d’affronter
le changement climatique alors arrivé (une Europe plus froide) et filmer
le Camino dans des circonstances environnementales peu communes puisque le
public s’attend, pour l’Espagne, à trouver du soleil et
de bonnes températures.
Evidemment le public ne connaît de l’Espagne que les plages de
la Costa Brava en juillet et août ! Il ne connaît pas l’altitude
du plateau de la Meseta et n’imagine pas qu’il puisse y neiger … ni
qu’il y a des cols à franchir pour se rendre à Compostelle.
Il s’agissait de rendre un hommage ponctuel aux études actuelles
sur l’environnement qui alertent sur le réchauffement de la planète.
Quel rapport avec l’objet du documentaire ? ARTE
ne fait pas USHUAIA !
Ce choix permettait aussi de traiter du défi qu’un pèlerin
s’impose indépendamment de sa classe sociale et de ses objectifs.
On aimerait savoir en quoi ???
Cinquièmement, le dernier tiers du XIIIe siècle fut une période
d’intenses relations hispano-allemandes dues, entre autres motifs, à la
prétention d’Alphonse X Le Sage à la couronne impériale.
(pourquoi pas, mais beaucoup d’époques ont été des
périodes d’intenses relations hispano-allemandes !)
LIEU DU DEPART
Nous n’avons pas beaucoup hésité. Dans le large éventail
des villes et des régions européennes d’où sont
partis des voyageurs vers Compostelle, nous avons décidé de choisir
une ville allemande de manière à situer le documentaire dans
le contexte général qu’on nous avait suggéré.
La suite a été assez simple : puisqu’il s’agissait
de choisir une ville allemande le mieux était de se décider pour
une Reichssdat, une ville impériale, à cause de leur signification
politique et de leur pratique des libertés individuelles (quel
rapport avec le pèlerinage à Compostelle ?). Le meilleur choix nous a
paru Regensbourg (Ratisbonne), mieux que Nuremberg, Ulm ou d’autres villes.
Nous connaissions sur Regensbourg d’excellents études : Der
Regenburger Fernhandel und der Kaufmannsstadt im 15. Jarhundert du professeur K. Fischer
;
Une étude sur le XVe siècle est effectivement un très
bon document pour éviter les anachronismes quand on a choisi de parler
du XIIIe,
une dissertation doctorale présentée en 1990 à Erlangen-Nuremberg
dont nous avons consulté la manuscrit ; Hochfinanz und Landesgeschichte
im Deutschen Hochmittelalter de N. Fryde en « Blätter für deutzsche
Landesgescchichte », 125, 1898, pp.1-12.
Le Haut Moyen Age n’est pas non plus le XIIIe siècle.
NOM ET PROFESSION DU VOYAGEUR Le choix du voyageur devait se faire en conformité avec certaines
règles de communication. Un, il était nécessaire de choisir
un notable de l’époque. Deux, son nom devait être facilement
retenu par les spectateurs (principe de catharsis lié à ce type
de travaux). Trois, il devait être vraisemblable. Il n’est pas
facile de convaincre un spectateur que les événements auxquels
il va assister peuvent arriver à n’importe qui (raisons
obscures)
; on avait besoin de quelqu’un de particulier et fort de caractère,
traits qui à l’époque n’étaient présents
que dans l’esprit capitaliste qui, comme aujourd’hui nous le savons,
commença bien avant la réforme calviniste (quel
rapport avec le sujet ?). Il commença dans l’Europe catholique en liaison avec
des voyages comme celui que nous avions l’intention de raconter. Le personnage
qui convenait le mieux était Friederich Daum, agent de douanes et monetarius de la ville impériale de Ratisbonne, mentionné dans des documents
de la septième et huitième décennies du XIIIe siècle
quand il devient promoteur d’un groupement financier international qui
avait accordé un prêt à Rudolf d’Hasbourg à l’origine
de la grandeur de cette dynastie influente en Espagne, en Allemagne et dans
toute l’Europe. Ce consortium financier, présidé par le
clan familial de F. Daum, peut être considéré comme un
précédent (il le fut en réalité) du système
moderne d’entreprise multinationale (anachronisme
!).
A la même époque existaient d’autres familles, les Straubinger,
les Gravenreuter, les Portner, les Gunpretch mais nous nous sommes décidés
pour Friederich Daum après avoir pris connaissance des retombées
de son travail dans sa ville en lisant les commentaires de F. Morré,
Ratsverfassung unid Patriziat in Regensburg bis 1400, en « Verhandlungen
des Historichen Vereins für Oberpfalz und Regensburg » 85, 1935,
pp.1-147.
2 .- RECIT DU VOYAGE Transformer le financier Daum en un voyageur vers Compostelle était
une opération difficile parce que les livres de voyages des pèlerins
pris séparément ne satisfaisaient pas à nos exigences.
On entre donc sans sourciller dans la fiction en abandonnant les exigences
du documentaire.
C’étaient des livres de très peu d’intérêt
du point de vue économique ou bien des œuvres où primait
la dimension onirique : ce qu’au moyen âge on appelait la dimension
du merveilleux, c’est à dire, le miraculeux dans la ligne retenue
pour la biographie de Bonne de Pise qui fit le Camino au début du XIII
siècle.
Bonne de Pise n’a pas écrit ses 9 pèlerinages, un biographe
en a fait, bien après sa mort (peut-être un siècle après),
un récit qu’on appelle récit hagiographique.
Il fallait trouver une juste mesure entre ces deux mondes. C’était
le commencement de notre tâche. Nous avons réuni une grande quantité de
témoignages de voyageurs allemands (vous les annonciez
de la fin du XIIIe siècle et ils sont tous du XVe) qui avaient réalisé ce
qu’à l’époque (quelle époque ?) on appelait
la obere Strasse : départ d’Allemagne, traversée des Alpes
en direction de Nîmes, continuation par le midi français jusqu’à Toulouse,
arrivée à Roncevaux et suite par le camino francés jusqu’à Compostelle.
Nous avons aussi rassemblé du matériel pour suivre la nieder
Strasse qui depuis les Pays-Bas entrait en Allemagne par Aquisgran et se ramifiait
vers toutes les grandes villes comme Ratisbonne. On a rassemblé les
pièces concernant ces voyageurs (on disait dans le courrier précédent
qu’il s’agissait : le récit d’Arnold von Harff, de
la fin du XV siècle ; celui de Léon de Rozmithal antérieur
de quelques années ; celui, postérieur, d’un certain Shaschek
raconté en latin par Stanilas Paulowsky en 1577. Le plus intéressant était
le récit de Gabriel Tetzel, noble allemand de Nuremberg, qui raconta à la
première personne son voyage à Compostelle.
Le rédacteur ne paraît pas savoir que Rosmithal n’a pas
publié lui-même de récit de son voyage. Shaschek et Tetzel
qu’il cite l’ont accompagné et raconté son voyage.
Il n’y a pas trois pèlerins comme semble le penser le rédacteur
du scénario. 1577 est la date de traduction en latin du récit écrit
en tchèque en 1466. L’auteur a-t-il lu les récits dont
il parle ?
On a trouvé aussi des détails importants dans Itinerarium sive
peregrinatio, récit d’un médecin originaire du Tyrol Jeroniumus
Munzer (XVe siècle), habitant de Nuremberg, qui comporte des descriptions
intéressantes de la vie en Galice et de la ville de Compostelle et ses
affaires. Nous nous sommes procuré des guides des pèlerins de
l’époque. Le plus utilisé a été celui du
pèlerin allemand Herman Künig von Vach, moine qui fit le camino
depuis Strasbourg en Alsace jusqu’à Compostelle à la fin
du XV siècle. Nous n’avons pas oublié la possibilité que
notre personnage « ait lu » le fameux « guide du pèlerinage » qui
fait partie du Codex Calixtinus puisque, d’après les experts Alison
Stones et Jeanne Krochalis (« Qui a lu le Guide du pèlerin de
Saint-Jacques » [3]), il y avait une grande tradition de lecteurs pour
les versions résumées ou fragmentées et pour les anthologies.
Le rédacteur ne semble pas avoir lu Alison Stones qui écrit,
p. 11-12 de l’article cité : « pendant les 8 premiers siècles
de son existence, ce Guide jouissait en fait d’une réception extrêmement
limitée. Car il n’y a que 12 manuscrits dont 10 produits dans
la péninsule ibérique, un en Angleterre, 1 en Italie, aucun en
France ni dans l’Empire germanique. Nous pouvons peut-être ajouter
autant de copies perdues, mais le manque de citations de passages tirés
de ce texte chez d’autres auteurs nous empêche absolument de supposer
qu’il existât de nombreuses copies lues, utilisées et jetées
par la suite. Une vive tradition orale aurait laissé des traces. Ce
ne fut certainement pas le texte qu’emportait tout pèlerin dans
son aumônière ; ce ne fut pas non plus le manuel d’instruction
dont il se servait chez lui ou dans sa paroisse pour préparer son voyage ».
Ajoutons que parmi les 12 copies, trois seulement sont complètes. Voilà qui
est clair !
Nous nous sommes également inspirés de la vie du marchand Jean
de Tournai qui, en 1488, quitta sa ville de Valenciennes pour marcher jusqu’à Compostelle.
De cette expérience il a laissé un manuscrit de 466 folios, que
nous avons consultés à la bibliothèque de Valenciennes,
et dont les 315 premiers feuillets contiennent une description détaillée
du voyage. Un autre personnage qui nous aida à dessiner les contours
du nôtre fut le seigneur de Caumont qui voyagea à Compostelle
au XV siècle et raconta son expérience dans un « récit
sur le pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle ».
Toujours de sérieuses références pour le XIIIe siècle
! C’est comme si on utilisait des récits contemporains pour raconter
un pèlerinage du XVIIIe.
Sur l’assistance aux pèlerins, sur les hôpitaux, les routes,
les auberges etc. la documentation est immense. Nous avons utilisé des œuvres à caractère
général ou des études plus précises quand le personnage
passait dans un endroit qui avait fait l’objet d’un travail concret.
Dans une scène, finalement non retenue pour le du film, nous le faisions
s’arrêter à l’hôpital de Saint-Blaise, en partie
pour la magnifique architecture du bâtiment et en partie à cause
des excellentes études de Pierre Dubourg-Noves. Nous avons fait appel à la
riche tradition épistolaire en langue allemande du bas Moyen Age et à sa
littérature amoureuse pour confectionner les lettres adressées à l’épouse
dans le contexte de l’époque. L’utilisation d’expressions
et des termes qui font référence à la caritas matrimoniale
fait partie du bagage culturel d’un homme cultivé du XIII siècle
comme celui présenté dans le documentaire. Ces termes apparaissent
aussi dans les documents de fiançailles et dans les lettres de dot qui
utilisent des expressions poétiques pour énumérer les
biens remis à l’épouse le jour du mariage. Quant au moment
critique du vol enduré par notre personnage, nous nous sommes inspirés
des récits des voyageurs allemands (lesquels ?) qui aux XIIIe et XIVe
siècles subirent des vols sur le chemin et qui sont présents
dans l’œuvre de Lopez Ferreiro. Pour le miracle de Santo Domingo
de la Calzada nous avons utilisé le témoignage du voyageur allemand
raconté dans les Cantigas (CCXVIII) qui fait référence à Villasirga.
3.- DONNEES EMPIRIQUES BIEN DOCUMENTEES SUR LE PRIX D’UN VOYAGE A L’EPOQUE
PERMETTANT DE JUSTIFIER LE TITRE « LE PRIX DE LA FOI »
L’aspect économique du voyage a été cadré par
la considération générale que le chemin de Saint Jacques était
une voie de développement marchand et artisanal, dans la ligne indiquée
par Luis Garcia de Valdeavellano dans son discours d’entrée à l’Académie
Royale d’Histoire : Sur les bourgs et sur les bourgeois dans l’Espagne
Médiévale. Le camino francés était entouré de
villes dont le développement économique a été bien étudié.
Ainsi Pampelune, Estella ou Najera ont des livres de comptes (dates
?) que
nous avons utilisés pour rassembler des données. Nous avons utilisé « l’itinéraire
de Senlis », conservé dans le livre de la confrérie de
Senlis (1690 !), pour connaître le prix d’un péage pour
traverser une rivière ou pour louer une barque.
Un ouvrage de la fin du XVIIe aura ainsi permis d’éviter aussi
des anachronismes sur le prix d’un voyage au XIIIe !!!
Les documents des confréries de Bayonne, d’Obanos et d’autres
villes, (dates ?) nous ont donné d’excellentes informations pour
fixer les prix des objets ou des animaux. Des documents d’archives, comme
les comptes-rendus des visites pastorales à l’hôpital San
Marcos de Leon (dates ?) (dans les archives historiques nationales des ordres
militaires) nous ont permis d’évaluer les coûts du mobilier,
du linge, des vêtements, etc. Grâce aux contrats des prêts,
des donations, des hypothèques nous avons pu fixer exactement la valeur
des choses et par extension le prix du voyage. Nous avons pris connaissance
des tarifs douaniers des péages de Jaca et de Pampelune, conservés
aux archives de cette ville, des dispositions d’Alphonse X Le Sage sur
la protection des pèlerins et sur leurs droits à faire testament.
Nous avons utilisé les précieux inventaires des confréries
(dates ?) de Puente la Reina et d’autres endroits, qui contiennent des
données concrètes sur les prix. Dans le déjà cité récit
du seigneur de Caumont on trouve en détail les dépenses journalières
dans une sorte de livre de comptes qui a inspiré le nôtre (Les éditeurs
du voyage de Nompar de Caumont n’ont jamais parlé de livre de
comptes. Les auteurs l’ont-ils trouvé dans le manuscrit conservé à Londres
?). Le livre de raison d’un bourgeois de Lyon au XIV siècle [3],
qui raconte l’expérience du pèlerinage à Saint Jacques
de Compostelle de Jacquemin du Puy, a été d’une grande
aide.
Ce livre consacre six lignes aux noms des pèlerins : le fils de l’auteur,
Hombers, et cinq de ses amis et cousins et vingt lignes aux dépenses
du pèlerinage. Là encore, comment comparer des prix à ¾ de
siècle de distance ?
OBSERVATION FINALE Le fait que notre création ait pu être prise pour une histoire
réelle dénote parfaitement que tous les détails de la
reconstruction correspondent à la réalité. Ce n’est
pas en vain que cette reconstruction a été réalisée
sur la base de documents d’époque (quelle époque ?), après
avoir minutieusement analysé les sources et sélectionné les
plus significatives en accord avec les objectifs du documentaire.
Cette observation finale montre à quel point le producteur se moque
des téléspectateurs.
Dès les cinq premières minutes de projection de ce film, annoncée
comme un documentaire basé sur un document réel, nous avons été dubitatifs
: l’image du manuscrit rapidement présentée à l’écran
ne semblait pas correspondre pas à une écriture du XIIIe siècle,
F. Daum avait le Guide du pèlerin dans sa poche ... Son voyage présentait
ensuite tous les poncifs habituels de la littérature sur le pèlerinage
ce qui a fait croître nos doutes. Les producteurs avaient certes annoncé qu’ils
avaient « brodé » sur ce manuscrit original. Soit ! Nous
avons espéré l’existence de ce manuscrit. Mais il y a eu
mensonge à son sujet et les « broderies » étaient
trop grossières pour être crédibles. Nous n’avons
pas pris cette création pour une histoire réelle. Ceux qui y
ont cru ont été trompés par la confiance accordée à la
série Théma qui lui apportait sa caution.
Notes du traducteur :
[1] Le professeur José Enrique Ruiz Doménech auteur de ce texte.
[2] Tous les guillemets correspondent à l’original
[3] En français dans l’original.
D – Conclusions de la Fondation
Nous sommes bien conscients qu’on peut « élaborer d'une
manière libre et adaptée aux besoins du média » mais,
contrairement aux affirmations du producteur, rien n’a été « reconstruit
avec rigueur ». Les « sources originales et les données
réelles et dignes de confiance » ont été traitées
avec une légèreté et une incompétence inadmissibles.
Coller bout à bout tous les poncifs qui traînent partout n’a
pu que continuer à « dégrader la culture religieuse du
passé, rendre futile le pèlerinage ou banaliser certaines pratiques,
blessant ainsi des sensibilités ».
Quoi qu’en disent les producteurs, ce film a contribué à diffuser
encore plus les « anachronismes qui sont malheureusement présents
dans beaucoup de productions pour la télévision ».
Sans connaître le cahier des charges qu’ARTE a imposé à son
fournisseur, nous ne pouvons nous empêcher de conclure que celui-ci a
fourni un produit qui ne correspond en rien à un documentaire que les
téléspectateurs sont en droit d’attendre de la série
Théma, émission culturelle phare de la chaîne et qu’ARTE
a été bernée.
Nous espérons fermement que SAGRERA et ARTE prendront en considération
nos critiques et qu’elles sauront en tenir compte tant pour l’information
des téléspectateurs qui ont déjà vu ce film, faussement
appelé documentaire, que pour sa promotion qui ne peut être faite
que sous le titre de fiction ou roman historique.
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